Page images
PDF
EPUB

sortir de la longue léthargie où la terreur les avait trop longtemps entretenus. Les sections opprimées par des comités révolutionnaires, composés en général d'hommes nouveaux, d'hommes qui portaient sur leur front le cachet de la honte, et qui, ne devant leur existence politique qu'à leurs crimes, ne pouvaient la conserver que par des forfaits; les sections, dis-je, commençaient à voir revenir dans leur sein les hommes vertueux que l'intrigue et l'audace en avaient expulsés. Une lutte s'établit alors entre le crime et la vertu, et la victoire restait presque toujours à cette dernière. Les sections du Mail, des Champs-Elysées, de la Butte des Moulins, présentèrent des pétitions énergiques; elles jurèrent de maintenir la liberté de la Convention, de maintenir son intégrité et de la défendre contre les attaques trop multipliées que le peuple soudoyé des triumvirs dirigeait chaque jour contre les représentans du véritable peuple.

Plusieurs adresses des départemens vinrent en même temps électriser les bons et faire pâlir les méchans ; des députés de Nantes, de Marseille et de la Gironde, parurent successivement à la barre ; ils y parlèrent le langage de l'honneur et du patriotisme; le vieux de la montagne trembla, et ses satellites incertains parurent cesser un moment d'aiguiser leur poignards; enfin, Robespierre, qui n'est brave qu'au milieu des tombeaux et des cadavres, disparut pendant trois ou quatre jours; mais l'on conjure aussi dans les souterrains!

L'anarchie était sur le penchant de sa ruine, elle était prête à tomber elle-même dans le précipice qu'elle avait creusé pour ensevelir les victimes de la nouvelle septembre qu'elle méditait : elle sentit donc la nécessité de faire un dernier effort.

Je viens de dire qu'il s'était formé à Paris quarante-huit conciliabules révolutionnaires; ce fut du sein de ces quarante-huit repaires; ce fut du sein d'un autre repaire fameux, et qui avait été longtemps l'asile de l'homme de bien, le temple du patriotisme, le sanctuaire de la liberté, que s'échappa une horde de conjurés qui tinrent des sabbats nocturnes à l'Évêché, sabbatsauxquels assistaient les Chaumet, les Hébert, les Pache, les Varlet,

les Henriot, quelques membres gangrenés du corps électoral, de la commune de Paris; enfin, tous ces hommes de boue et de sang, dont les noms sont liés à tous les genres de crimes, qui auraient terni notre révolution glorieuse, si des hommes vertueux et persécutés n'en avaient pas assis les bases, et si, au milieu des proscriptions et des poignards, ils n'avaient combattu sans cesse le monstre du despotisme nouveau qui se revêt des honorables livrées de l'indigence, qui dégrade le titre respectable de sans-culotte, pour ravir, sous ce déguisement imposteur, les propriétés de l'homme qui a, et les propriétés plus sacrées encore de l'homme qui n'a point; c'est-à-dire, les inépuisables ressources du travail, trésor auquel on ne supplée point par les pillages, par les brigandages et par tous les excès révoltans dont tels proconsuls ont fait l'apologie.

Les conjurés eurent beau s'envelopper des ombres du mystère; leurs motions liberticides, leurs projets funestes, ne tardèrent point à être connus; ils étaient d'ailleurs retracés dans les libelles d'un homme odieux, dont l'existence politique est une monstruosité, et dont l'existence physique et morale est un tort de la nature et des lois; ils étaient retracés dans un écrit périodique du substitut de la commune, Hébert, qui, sous l'enveloppe grotesque du père Duchêne, prêchait encore trois fois par semaine l'oubli de tous les principes, le mépris des plus saints devoirs.

Une fermentation sourde régnait d'ailleurs à Paris. Des femmes excitées par les Furies, sans doute, se rassemblent; elles s'arment de pistolets et de poignards; elles prennent des arrêtés, courent les divers carrefours de la ville, portant devant elles l'étendard de la licence. En vain dénonce-t-on ce délit à la Commune; en vain veut-on en faire sortir les dangereuses conséquences, Pache répond qu'il n'y a rien à craindre. Que dis-je !... ces bacchantes avaient été reçues au sein du conseil-général ; elles y avaient été accueillies, fétées, et elles y avaient reçu l'accolade fraternelle. Et que voulaient-elles, que demandaient-elles? elles voulaient en finir; elles voulaient purger la Convention;

elles voulaient enfin faire tomber des têtes, et s'enivrer de sang. Les bons citoyens de Paris ne purent pas voir avec indiffé rence de pareils excès; la Convention, forcée de délibérer sous le couteau des assassins, nomma une commission de douze membres, dont la probité et les vertus civiques jetèrent l'effroi dans l'ame des conspirateurs et ranimèrent l'énergie des bons citoyens, qui s'empressèrent d'aller y déposer la connaissance qu'ils avaient de la trame ourdie contre la Convention et contre la République entière.

L'anarchie est d'abord si atterrée, que plusieurs de ses apôtres disparaissent; les plus audacieux sentent alors la nécessité de se sauver par de nouveaux attentats; s'ils n'avaient pas pour eux la majorité des citoyens, ils avaient au moins toutes les autorités ; ils avaient une Commune corruptrice et corrompue; ils avaient leurs brigands; ils avaient de l'argent pour les soudoyer, et les recrutemens pour la Vendée avaient fourni des sommes considérables, perçues arbitrairement et sur des mandats, dont quelques journaux ont donné la forme, et qui serviront de pièces à l'histoire de l'anarchie.

Le conciliabule de l'Évêché se fait cependant renforcer par tout ce qu'il y avait d'hommes perdus à Paris. Varlet, que la commission avait fait arrêter à l'instant où il provoquait sur des tréteaux les groupes du peuple, et dont la prison s'était ouverte à la voix des brigands; Henriot fameux dans les massacres de septembre; Maillard, qui dans ces journées de sang avait présidé le chef-lieu des meurtres, et duquel il existe un acte daté du 9 septembre, dans lequel il prend le titre de juge souverain des fameuses journées et d'autorité constituée par le peuple; enfin, les Hassenfratz et autres hommes de cette espèce, étaient réunis pour aviser aux grandes mesures. Tel était l'état des choses, lorsque le bruit se répand qu'on va sonner le tocsin, que l'on va faire tirer le canon d'alarme; Lanjuinais, le digne Lanjuinais, prévenu par moi de tout ce qui se passe, et qui d'ailleurs avait eu des renseignemens, monte à la tribune, dans la séance du jeudi soir; il dénonce spécialement Chabot; mais la Montagne

couvre sa voix, et Chabot et plusieurs autres agens du complot ont eu l'impudente audace de traiter de chimères, de vaines terreurs d'une ame pusillanime, la dénonciation d'une trame qui devait avoir son exécution dans quelques heures.

En vain aurait-on voulu conjurer l'orage; il semblait que tout était d'accord pour que la foudre tombât avec plus d'éclat.

La Convention avait été insultée, et le maire Pache avait répondu qu'il n'y avait pas de complot, qu'il ne s'agissait pas de tocsin, et que tout était tranquille.

On avait consulté le procureur-syndic du département, et il avait répondu ou écrit qu'il n'y avait pas de complot, qu'il ne s'agissait pas de tocsin, et que Paris était tranquille.

On avait interrogé le ministre de l'intérieur, et Garat, toujours fidèle à son système, ne voyait dans tous ces mouvemens que des effets ordinaires de l'inquiétude; et à l'heure même où le son du tocsin funèbre allait frapper les airs, il ne prévoyait aucuns complots; il annonçait la tranquillité, le bon ordre.

Et cependant, au moment où la Convention levait sa séance de nuit, à cet instant même les prétendus commissaires des sections de Paris, qui n'étaient autre chose que l'extrait impur des comités révolutionnaires, arrêtaient au nom du peuple de Paris, au nom de la majorité de ce peuple, ami de la paix et des lois; au nom de la saine partie de ce peuple qu'il faut bien se garder de confondre avec ce ramas de brigands, la plupart étrangers à cette grande ville; ils arrêtaient, dis-je, que Paris était en insurrection, que le tocsin serait sonné (1), que le canon d'alarme serait tiré, que la municipalité serait cassée.

En effet, le premier coup de tocsin parti de la Cité fut le signal pour toutes les autres sections. Des brigands se présentent aussi pour tirer le canon d'alarıne; mais l'officier de poste s'y oppose, et ce ne fut guère que sur les onze heures ou midi qu'on l'entendit pour la première fois.

(4) On envoya sur-le-champ des ordres à des hommes apostés pour sonner le tocsia, et il a été remis en mains sûres une preuve de ce fait; c'est un reçu de l'ordre relatif au tocsin.

Les prétendus commissaires des sections, cependant, s'étaient rendus au conseil-général, où ils avaient préparé une parodie de ce qui s'était passé dans la nuit du 10 août, ils signifièrent à la Commune qu'elle était cassée; et la Commune, docile à son rôle, cède la place à ces sauveurs de la patrie; ses membres se dépouillent de l'écharpe, mais bientôt ils s'en revêtent de nouveau à la voix de la nouvelle autorité qui déclare qu'elle les recrée, et qu'elle vient les renforcer pour opérer le salut de la patrie en danger, de la patrie prête à être dévorée par les douze ogres de la commission extraordinaire. >

Les citoyens de Paris avaient cependant couru aux armes; mais, sans ordres et incertains, ils s'étaient réunis à un drapeau qui flottait à la porte de chaque capitaine. Ce fut dans cette journée (1) mémorable que la Commission, après une lutte d'une journée entière, fut enfin suspendue (2) sans qu'on voulût l'entendre, non pas pour sa justification, l'intention de ses membres n'était pas d'y descendre, mais sans qu'on voulût écouter un rapport qui allait déchirer le voile et mettre au grand jour les trames des conspirateurs.

Il importe, avant de passer outre, de rappeler ici un fait : l'attitude de Paris avait été si imposante dans cette journée, les bons citoyens s'étaient levés en une telle masse, que les conjurés tremblèrent pour eux-mêmes; cependant pour venir à bout de leur dessein, et dominer les délibérations de l'assemblée incertaine de ce qui se passait au-dehors, ils l'avaient fait environner par leurs affidés; ils eurent recours aussi à un autre stratagème qui pouvait avoir des suites funestes.

(1) La journée du 29 mai.

(2) On se rappelle ce qui s'était déjà passé deux jours auparavant. Isnard, succombant à la fatigue, avait cédé le fauteuil à Fonfrède; des cris, des hurlemens s'élèvent contre celui-ci. C'est un membre de la Commission, c'est un scélerat, s'écrie-t-on! à bas! - Fonfrède est obligé de se retirer pour faire cesser cet horrible vacarme. Héraut, avocat général du ci-devant roi, s'empare du fauteuil, introduit de son autorité privée une députation des soi-disant quarantehuit sections; on demande les pouvoirs; ce ne fut plus alors que de prétendus députés de seize sections. Enfin, sans délibération, Héraut a l'effronterie de prononcer le décret qui fut rapporté le lendemain par un appel nominal.

« PreviousContinue »