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des fonctionnaires publics, vous paraîtront sans doute peu importantes, mais elles prouveront notre exactitude à vous présenter tout ce qui pourrait fonder ou détruire les soupçons qui se sont élevés sur les correspondances de l'ex-ministre.

Il me reste cependant à vous rendre compte de quelques pièces d'un genre tout différent, et qui se sont trouvées, je ne sais par quel hasard, dans les papiers de Roland. Ce sont diverses adresses à Louis Capet, des 20 et 21 juin de l'année dernière, et par lesquelles on lui demandait d'un ton impérieux le rappel du ministre Roland, en lui présentant comme règle de conduite cette fameuse lettre du 10, qui a fait tant d'honneur à son

auteur.

Comment ces adresses se trouvent-elles entre les mains de Roland, toutes en original et revêtues d'un grand nombre de signatures, à l'exception d'une qui n'est qu'une simple copie? Roland n'était plus ministre lorsqu'elles furent adressées à Louis. Les aurait-il retirées de ses bureaux lorsqu'il est rentré dans le ministère ? ou a-t-il pris sur lui de se les approprier, afin de les conserver comme un témoignage flatteur pour son amour-propre, ou les aurait-il reçues directement, après les avoir dictées luimême pour épouvanter l'homme qu'il voulait faire marcher à son gré? ou enfin les aurait-il retirées de l'armoire de fer avec tant d'autres papiers?

Roland s'est plaint de ce qu'un des commissaires avait joint aux pièces une lettre qu'il avait envoyée à sa femme, et par laquelle il l'entretenait des affaires publiques. Ce n'est pas ce commissaire qui mit de l'importance à cette pièce : mais l'empressement que le mari et la femme mettaient à conserver ce chiffon dont le contenu n'était pas bien clair, joint à l'obscurité du langage, déterminèrent les deux commissaires à le conserver, car tous deux furent d'accord à cet égard. Vous les auriez jugés, citoyens, coupables de négligence, si vous aviez appris que dans une mission délicate ils avaient cédé aux instances de l'ex-ministre et aux sollicitations de sa femme.

Le comité de sûreté générale a cru convenable de faire impri

mer toutes les pièces dont je viens de vous rendre compte, parce qu'il importe que la nation connaisse les moyens qu'on peut employer pour captiver l'opinion publique et la maîtriser pour son intérêt particulier.

La découverte de cette manœuvre employée par des intrigans ( car je n'en accuse encore ni Roland ni son épouse) préviendra désormais ces opinions factices que trop souvent on a regardées comme le vœu du peuple, et qui n'étaient qu'un jeu de machines mises en mouvement par une main adroite; elle préservera le peuple des piéges qu'on ne cesse de lui tendre) et il reconnaîtra que l'homme qui le détourne de son travail est un corrupteur, et que les largesses d'un perfide cachent les plus noirs projets :

......Timeo Danaos et dona ferentes.

La classe industrieuse rendue à elle-même, à sa bonté naturelle, à la pureté de son instinct, ne concevra que des opinions justes et qui affermiront, éterniseront la République que vous avez fondée.

Comme Roland a écrit que les lettres dont j'ai parlé ne sont que des avis anonymes qui lui paraissent dictés par le zèle ou le bon esprit d'un observateur qui fréquentait les lieux publics, ce qui est une sorte de dénégation que l'auteur eût une mission particulière, je crois devoir observer que cet homme, dont les lettres n'étaient pas signées, et que le comité est enfin parvenu à découvrir, recevait de la part de Roland ou de son épouse des sommes destinées à faire boire et manger ceux dont il voulait travailler l'esprit; aussi écrivait-il : « Il faudra me faire passer par l'Allemand Gobel une somme de 600 livres au moins, ce soir en assignats de 50 livres, de 3 livres, et quelques-uns de plus petits. Elles prouvent, ces lettres, que Roland et son épouse lui écrivaient; on lit dans l'une: votre mot d'hier m'est utile; dans une autre: rien de plus juste que les motifs de la concitoyenne; et dans toutes on voit une manière de rendre compte qui suppose des ordres précédens, une organisation corruptrice dont

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Gadol était le principal agent, et que cet homme avait des sousordres et des satellites connus du ministre.

Pour parvenir à cette découverte, le comité a mandé le nommé Gonchon désigné pour avoir reçu 50 livres pour faire une pétition concertée avec Roland; Gonchon a désigné ce Gadol qui s'est trouvé absent depuis quelque temps. L'inspection des papiers qu'il a laissés a fourni des preuves de comparaison de son écriture avec les lettres par lui écrites à Roland ou à son épouse. Toutes ces lettres constatent qu'il est l'auteur de celles dont s'agit, et qu'il avait reçu du conseil exécutif provisoire des commissions particulières pour la Belgique.

Cet intrigant et sa clique s'étaient vendus à Roland. Gadol demandait de l'emploi tantôt dans les colléges, tantôt dans les affaires étrangères auxquelles il se croyait également propre ; et quoiqu'il flagornât, ainsi que bien d'autres, Roland et sa femme, il est à remarquer que ses corrupteurs ne partageaient pas plus que lui l'illusion qu'ils voulaient faire aux autres sur le ministre. Voici le compte que l'un d'eux (le citoyen Salvador) rendait à Gadol de la situation de Paris, le 8 février dernier.

( Vous me demandez des nouvelles de Paris; je vais vous satisfaire Paris est toujours calme comme il l'a été depuis l'ouverture de la Convention. Le ministre Roland, qui souhaitait du trouble dans Paris, n'ayant pas pu y réussir, a fini par demander sa démission; et l'homme qui trois jours auparavant placardait de vouloir vivre et mourir à son poste, finit, trois jours après, par le quitter. Oh! inconséquence des hommes ! quand on marche de bonne foi dans une carrière politique, on est plus modestement pour le bien général, et on pense moins à soi qu'aux

autres. ›

D'après cette lettre signée et authentique, Roland ne faisait point illusion à ceux qui l'approchaient; ils le peignaient aux autres bien différent de ce qu'ils le voyaient eux-mêmes : aujourd'hui que le masque est tombé, que tout est dévoilé, c'est au public à prononcer, c'est à son jugement que vous devez renvoyer toutes ces manœuvres : le comité n'a pas cru devoir prendre au

cune conclusion particulière; l'assemblée prononcera à cet égard ce qu'elle jugera convenable.

Copie d'une lettre de Gadol à la citoyenne Roland.

15 octobre 1792.

Je suis bien aise que l'on suspende la discussion de cette prétendue garde prétorienne : le silence de l'assemblée à cet égard les tue.

Il y aura et il faudra une garde quelconque ; et les gens sensés le conçoivent. Pourquoi, me demandent les crieurs? parce que c'est à Paris où résident les titres, l'argent, et en général la chose entière de la République. Mais nous les garderons bien nousmêmes; n'avons-nous pas bien gardé jusqu'à présent?

Non, puisque vous avez laissé piller le garde-meuble; puisque votre ville est le réceptacle de tous les voleurs, le foyer de tous les incendiaires.

A propos, ce bon homme, auteur de la pétition, se trouve, sans s'en douter, environné des agens du trouble, et notamment lié avec celui qui devait s'emparer de Roland. Le pauvre diable n'a pas cette souplesse et ce tact moral qui conviennent à un pareil rôle je suis fort embarrassé pour lui dessiller les yeux. Ou je parviendrai à l'arracher de pareilles mains, ou je retirerai ces hommes de dessous leur hideux drapeau, pour en faire les agens d'une meilleure cause.

Il faudra me faire parvenir, par l'Allemand Gobel, une somme de 600 liv. au moins, ce soir, en assignats de 50 liv. et de 5 liv. et quelques-uns de plus petits, s'il se peut. J'ai déjà bien dépensé, et j'ai besoin de me faire des amis; car je me fais craindre et haïr. Une petite fête remet les choses; et dans une conversation, au dessert, je persuade, je découvre des projets. Enfin, on semble, ou vouloir me convertir, ou m'attirer dans le parti, comme opposant trop gênant. Ma fermeté particulière et ma

jonction intime avec des Marseillais aussi braves que raisonnables, me donnent une force et un crédit de patriotisme qui dé

concerte.

Il est heureux que la saison rende la terrasse des Tuileries et les autres lieux de ce genre impraticables. Ces messieurs trouvent moins de sots; patience! ça ira.

de ma

P.-S. En leur offrant à dîner, en fraternisant avec eux, nière à leur laisser croire qu'on admire leur patriotisme, et en les plaçant, par le moyen du vin, dans cet état de franchise et d'abandon qui fait tout découvrir, alors il est facile de les détourner, moyennant qu'on leur ouvre un moyen d'exister; j'en ai fait l'expérience : j'ai cru découvrir que le trouble qui commence est attisé par les envieux des députés et ministres, dont j'ai parlé plus haut; par des administrateurs ou commissaires des sections à la ville, que le règne des lois annihile ou réduit à des comptes; par des aristocrates, et enfin par tous ceux qui existaient dans le tourbillon contraire à l'ordre social.

Paris est sans administration; il faut que les plumes, les langues et les corps des vrais patriotes agissent à la fois d'ici à quinze jours.

Copie d'une lettre en date du 10 octobre 1792, écrite par Gadol à la citoyenne Roland.

10 octobre 1792.

Il existe un parti qui se prononce dans Paris, contre les députés et les ministres, dépeints sous la dénomination du parti Brissotin. Les émissaires de ce parti appuient leurs furieuses déclarations sur l'apparence du plus ardent patriotisme, et le connaisseur y a vu la rage de l'agonie d'une coterie Marat, Robespierre, etc.

Il a crié si haut aujourd'hui, et ses calomnies étaient si barbares, qué les sages s'en sont alarmés. L'état actuel des choses ne me semble néanmoins offrir aucun moyen répressif, si ce n'est la présence de gens éclairés qui discutent, avec une sage fermeté,

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