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DU CITOYEN

BRIVAL,

Député de la Corrèze,

A TOUS LES HABITANS DE SON département, pour les instRUIRE SUR LA NATURE ET LES MOTIFS DE L'INSURRECTION QUI A EU LIEU LE 31 MAI ET JOURS SUIVANS.

Citoyens, ne vous laissez pas séduire par les récits infidèles que la malignité, féconde en impostures, pourrait faire des mouvemens qui nous ont agités depuis quelques jours. Je vais vous parler avec la candeur et la loyauté d'un républicain. Je vous dois la vérité : je ne connus jamais d'autre langage.

Le peuple de Paris, indigné depuis long-temps de la perfidie d'une faction liberticide, s'est levé pour la quatrième fois; il a repris la massue d'Hercule pour nettoyer les étables d'Augias. Oui, il s'est levé, non avec la hache et les poignards des assassins, mais avec la noblesse et la dignité de républicains qui veulent vivre et mourir libres. Il eût pu user de ses forces pour punir des enfans rebelles il ne les a déployées que pour protéger. Les personnes et les propriétés ont été respectées; aucun acte de férocité n'a terni l'éclat du triomphe national. Cent cinquante mille hommes armés pouvaient dicter des lois à la faiblesse; ils n'ont été, et ne voulaient être que ses défenseurs; leur réclamation s'est bornée à demander qu'on coupât les racines corrompues de l'arbre de la liberté. Ce peuple juste et humain sait que ce n'est point avec la torche des furies qu'on éclaire les esprits, ni avec le sang et la fortune des citoyens qu'on affermit l'autel de la liberté. Si ce peuple immense s'est montré avec l'appareil im

posant de ses forces, s'il a paru redoutable, il a constamment persisté à être humain et juste.

Des calomniateurs effrontés pourront vous dire que l'Assemblée n'a pas été libre, et que le glaive a été sans cesse suspendu sur la tête de vos représentans. Je conviens que vos représentans n'auraient pas été libres de faire le mal, s'ils en avaient formé le dessein.

Voici ce qui en est: La voix de quelques orateurs turbulens fut parfois étouffée; c'est qu'elle vomissait alors des blasphèmes contre les droits du peuple. Et vous, mes concitoyens, vous Corréziens, vous qui avez si bien mérité de la patrie; vous aussi, portion chérie du peuple français, comme les Parisiens, vous eussiez été indignés ; comme eux, vous vous seriez armés en faveur de toute la République ; comme eux, vous auriez montré l'appareil imposant de vos forces et de votre courage: fallait-il laisser propager le crime pour vous mettre ensuite dans la nécessité de le punir ?

C'est sur les faits que vous devez asseoir vos jugemens ; les voici, ces faits:

L'Assemblée a été libre lorsqu'elle a décrété l'emprunt forcé d'un milliard sur les riches; elle était libre lorsqu'elle a décrété l'impôt progressif; elle était libre lorsqu'elle a décrété la vente du bien des émigrés, et le prélèvement d'un arpent de ces mêmes biens en faveur des citoyens qui sont sans propriété; elle était libre lorsqu'elle a décrété le partage des communaux par tête, sans aucun égard pour les grands propriétaires. Dire que l'Assemblée n'était pas libre lorsqu'elle s'est déterminée à détruire le tribunal inquisitorial de la commission des Douze ; qu'elle n'était pas libre lorsqu'elle a décrété l'arrestation de trente-deux de ses membres soupçonnés de répandre la contagion et d'être les assassins de la liberté, c'est dire que celui qui arrête un voyageur pour lui enlever la fortune ou la vie, n'est pas libre, parce que ce voyageur présente les armes pour se défendre. Est-ce qu'elle n'a pas été libre lorsqu'elle a décrété Marat d'accusation, fait enlever et traduire d'Orléans à Marseille?

Reportez-vous, citoyens, à ces époques où l'Assemblée constituante, où l'Assemblée législative furent forcées de faire le bonheur de la France. Doit-on se laisser prévenir par la bête féroce qui s'élance pour dévorer? Au surplus, c'est la force de la raison, et non la terreur des baïonnettes, qui dans cette circonstance dicta ce décret salutaire.

N'en doutez pas, citoyens, les membres de la Convention ne se laissent jamais maîtriser, ni par les menaces, hi par la crainte; tous ils sont déterminés à périr à leur poste plutôt que de céder à des impulsions étrangères et tyranniques; et qu'auraientils à redouter, vos représentans, lorsqu'on veille sans cesse autour d'eux ?

Ceux qui calomnient les Parisiens avec le plus d'aigreur, ne savent-ils pas que leur vie est en sûreté? Est-ce en vain que les habitans de cette cité ont juré qu'il faudrait percer leur sein avant que le poignard des assassins parvînt jusqu'à nous?

Depuis la régénération de la France, Paris s'est montré grand et majestueux : c'est là que la sentinelle a veillé pour le salut de la patrie. La destruction de la Bastille, et la révolution de 1789; les mouvemens du 20 juin, le triomphe sanglant du 10 août, l'abolition de la royauté, sont son ouvrage, et seront les monumens de sa gloire; nous n'avons été grands qu'en suivant son exemple; nous n'avons été grands qu'en adoptant ses maximes.

Dans les momens les plus orageux, dans ces instans où Paris faisait les plus généreux sacrifices à la nation, cette ville a trouvé quelques ingrats; la malignité jalouse lui à reproché d'affecter une suprématie injurieuse aux autres départemens. Je conviens avec vous, citoyens, que Paris n'est qu'une section de la République, et que malgré son immense population, elle ne peut rien décider sans le consentement des autres; mais il est des circonstances critiques où il faut agir plutôt que de délibérer; il est des circonstances où la lenteur trop circonspecte laisse une libre issue à l'explosion : c'est quand les vents et les flots mugissent que les navigateurs jettent à la mer leurs plus précieuses richesses; il n'y a que les fous qui, pour se sauver du na ufrge, attendent la

permission de l'armateur. Quelle idée auriez-vous d'un poste qui, attaqué per l'ennemi, attendrait l'ordre du général pour se défendre? Que de reproches n'auriez-vous pas à faire à Paris, s'il n'avait pas fait ce qu'il a fait ? Manquer l'occasion de sauver la République, c'est la perdre pour jamais. Paris l'a saisie, cette occasion, et il vous a sauvés : qu'on n'accuse donc plus cette ville d'aspirer à la suprématie. Elle a celle des talens et des lumières, et ne veut rien de plus.

Oui, je le répète, Paris a toujours reconnu qu'il n'était qu'un membre du corps politique, et que l'ensemble de ce corps résidait dans les départemens réunis. Si quelquefois il a agi sans les consulter, la nécessité et le salut de la République lui en ont fait une loi; s'il n'eût pas saisi l'instant pour briser vos fers, s'il n'eût pas découvert et déconcerté les projets de vos ennemis, vous n'auriez pas vu luire l'aurore de la liberté, vous auriez été enchaînés de nouveau.

Rappelez-vous, citoyens, ces époques fameuses où le tyran et ses complices, marchant par des voies obliques, minaient sourdement l'édifice de la liberté; faliait-il attendre le consentement des autres départemens pour réprimer ces attentats? A l'instant où l'on découvre la trame, il faut en couper le fil; ce n'est pas le moment d'imiter la prudente lenteur de Fabius, c'est celui d'exécuter, c'est celui de frapper. Si tous les Français eussent été dans Paris, n'eussent-ils par ordonné l'abolition d'une commission qui livrait indistinctement tous les citoyens aux vengeances d'une faction qui se cachait sous le masque du civisme? Lorsqu'il s'agit du salut de la patrie, tous les Français ne sont-ils pas solidaires les uns envers les autres? Brutus consulta-t-il les Romains avant d'exterminer leur tyran? Je le répète, citoyens, si ce tribunal liberticide n'eût pas été aboli par un mouvement précipité, Paris n'eût été qu'une prison où auraient gémi les plus ardens défenseurs de vos droits; vous auriez vu se répéter dans vos villes les scènes meurtrières dont Lyon et Marseille présentent le spectacle déchirant.

Je n'ai garde de préjuger coupables vos représentans mes coi

lègues, mis en état d'arrestation (1); mais la sûreté exigeait peutêtre cette mesure. Tout bon citoyen doit quelquefois à sa patrie le sacrifice de sa liberté; d'ailleurs, le décret lancé contre eux ne préjuge rien. L'homme le plus vertueux peut se lier quelquefois avec le plus scélérat, parce qu'il ignore ses intentions; c'est peut-être la seule faute qu'on puisse leur reprocher. Croyez, citoyens, qu'après avoir prouvé qu'ils n'ont point sali la robe de l'innocence, ils rentreront plus purs dans le sanctuaire des lois; j'aime à le croire, et je le désire.

Si décrié par les factieux, Marat, dont le patriotisme fut quelquefois porté à l'excès, a été long-temps persécuté, lui qui, le premier, a été le dénonciateur de Lafayette et de Dumouriez, dans un temps où ces Catilina et ces Cromwell modernes étaient les idoles d'un peuple aveuglé et séduit; c'est à cette époque qu'il voulut les précipiter du char de la victoire pour les livrer à la vengeance de la nation: eh bien! cet homme, ce Marat, dont j'ai souvent improuvé le zèle trop outré, vient de confondre ses détracteurs en se suspendant provisoirement de ses fonctions.

On ne peut se dissimuler qu'il existe des conspirateurs ; les éloges prodigués par Dumouriez à une portion de la Convention, les anciennes liaisons avec le tyran, dont on trouvé des preuves; les brigandages de la Vendée, de la Lozère, de Lyon et de Marseille, sont autant de témoins qui déposent qu'il existe des complices. C'est inutilement que pour établir des conspirations on exigerait des preuves matérielles; les conspirateurs sont trop adroits pour en laisser : il n'en existe pas moins des preuves morales.

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On disait, sous l'Assemblée constituante, que les membres du côté droit ne conspiraient pas pour établir leurs conspirations, on demandait de ces preuves matérielles. Eh bien ! après la session de l'Assemblée constituante, ces conspirateurs ont émigré, et se sont mis à la tête des enfans dénaturés de la patrie; ce sont eux qui commandent les armées des révoltés, celles de la Vendée, de la Lozère, de Lyon ; ce sont eux qui sèment partout le (1) Chambon et Lidon.

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