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D'UN GRENADIER DU BATAILLON DE LA BUTTE-DES-MOULINS

A UN CITOYEN DU DÉPARTEMENT De la gironde.

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De Paris, le 14 juin 1792, l'an deuxième de la République. Ov

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Je vous écris, mon cher Giresse, pour vous témoigner ma surprise de la lettre que je viens de lire dans le journal de Paris, que les habitans de Bazas viennent d'adresser à la Commune de Paris (ville célèbre, qui le fut et le sera toujours), avec improbation de tout ce qui venait de se passer dans son sein, pour dé- : fendre la cause de la liberté, et la maintenir dans les triomphes qu'elle a remportés sur ses ennemis depuis le commencement de la révolution : n'est-ce pas Paris, mon cher Giresse, qui toujours sentinelle la plus avancée, a toujours veillé sur les at. Laques projetées contre le peuple par les habitués de la Cour et ses vils fauteurs? Peut-on ignorer que c'est toujours le peuple de Paris, qui, par ses murmures ou ses justes insurrections contre le système oppressif de plusieurs de nos rois, les a forcés à des sentimens plus doux pour le soulagement de tout le peuple français, et principalement pour l'habitant des campagnes, de nos ci-devant provinces les plus éloignées, dont les cris et les gémissemens ne pouvaient, le plus souvent, parvenir jusqu'aux oreilles de ceux de Paris, qui auraient pu être leurs zélés défenseurs auprès de notre ci-devant cour? Si Paris n'avait pas toujours eu l'énergie de s'opposer contre elle à l'oppression vers laquelle on l'a toujours vue incliner et tendre avec audace, il est certain que les ci-devant provinces, dans leur éloignement, auraient toujours plus souffert que la capitale, de la cupidité et des cruautés des agens d'une cour qui serait parvenue à légitimer son despotisme par rapport au silence de Paris. Paris et la

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France ne seraient maintenant habités que par des esclaves, et ce beau sol présenterait, sans doute, un aspect aussi sauvage et aussi désert que celui de l'empire de Turquie, celui de l'Allemagne et de tant d'autres contrées, où le despotisme règne avec plus ou moins de force et d'étendue : l'Angleterre même fut toujours moins florissante que la France, c'est ce que l'on a encore vu dans ce siècle, parce que la vénalité de son parlement y a toujours montré moins d'énergie contre les invasions du pouvoir de la cour d'Angleterre, que le peuple français contre celles de leur cour. Mais enfin la corruption des ci-devant parlemens de France en était venue à un tel point qu'ils nous ont nécessité de faire, avec la raison et la sagesse, la Révolution actuelle. Les trahisons et les stratagèmes découverts de Louis Capet nous ont même conduits à donner encore plus de lustre à cette révolution, en rétablissant sur la terre les anciennes républiques d'Athènes et autres de la Grèce dans toute leur pureté; nulle distinction n'existait chez les premiers peuples de la terre; les premiers liens de famille seuls unissaient ces peuples, dont la souche et l'origine n'étaient pas encore anciennes ; ils n'avaient d'autres lois entre eux dans leurs républiques que celles, pour ainsi dire, que leur inspiraient les sentimens de fraternité qu'ils éprouvaient au berceau des premiers peuples.

"C'est ce que Paris, ainsi que Versailles encore, qui a perdu beaucoup en voyant renverser la cour; c'est ce que les départemens de Seine-ei-Oise, où se trouve Versailles, et de Paris, ont la haute émulation d'entreprendre et de réaliser, en dépit de leurs ennemis, les ci-devant privilégiés, qui voudraient se reproduire sous une autre forme : c'est ce qu'ils auront l'héroïsme de conduire au but, malgré la rage des despotes. Le peuple de Paris a toujours été qualifié de bon peuple, et ce qui vient de se passer dans cette capitale, le 51 mai, les 2 et 3 juin, doit encore plus lui donner des droits à cet éloge; nul acte de violence illégitime n'y a été commis, non-seulement envers les députés, mais encore envers ceux des citoyens, dont l'aristocratie a percé évidemment par quelques traits dans ces trois jours. Je suis de la

section de la Butte-des-Moulins, ou du ci-devant Palais-Royal; on avait cherché, par toutes les suggestions les plus perfides et les plus scélérates, à faire croire aux sections du faubourg SaintAntoine en insurrection, comme les autres, que notre section était aristocrate; que nous avions arboré le pavillon blanc, que nous avions des canons cachés, chargés à mitraille; les nôtres n'étaient ni déplacés ni chargés seulement. On nous racontait, à nous, que le faubourg marchait contre nous avec vingt pièces de canon, pour nous désarmer. Il arriva, et vint se placer sur la place du ci-devant Palais-Royal; nous étions dans les cours, et toutes communications, je ne sais pourquoi, nous étaient interdites avec nos frères du faubourg. Je voulus au moins, moi, sortir pour aller au milieu d'eux leur parler pour m'éclairer; la garde m'en empêcha. Cependant je ne voulus pas m'en contenter, et le sort me servit assez pour avoir entendu sur-le-champ un de nos frères du faubourg, qui cherchait de son côté à s'éclairer sur des inquiétudes dont il ne pouvait se défendre, d'après ce qu'il avait entendu ; je le saisis par la main, je l'introduis dans nos cours; les explications furent les plus amicales; nos frères du faubourg furent détrompés; l'union, la confusion entre nous offrit une scène attendrissante. Nous étions dans les mêmes principes qu'eux sur la pétition, où l'on demandait le décret d'arrestation contre des députés, auquel plusieurs à ma connaissance, depuis mon retour à Paris, n'ont que trop donné lieu par leurs écrits et leur opinion révoltante dans l'assemblée, contre une ville aussi digne que Paris de l'estime et de l'admiration de l'univers dans cette révolution, et dans les siècles antérieurs. Au surplus, ces députés sont mis sous la sauve-garde la plus loyale, et la loi seule les dégradera ou les innocentera. Nous allâmes ensuite conduire nos frères du faubourg, tambours battans, drapeaux déployés, dans leurs sections respectives.

Pourquoi donc régnerait-il des nuages dans les départemens contre Paris? Ne lui doivent-ils pas tous les prodiges des arts qui ont civilisé successivement tous les départemens de la France et beaucoup d'autres peuples? Que l'on veuille donc être juste

et reconnaissant envers Paris; qu'on lui manifeste au contraire une reconnaissance nouvelle pour sa surveillance continuelle au bonheur du peuple; car celui de Paris est le même que celui des départemens : il a besoin de la paix et de la liberté, avec lesquelles le travail reprendra sa plus grande force pour fournir à la nourriture du peuple et à ses autres besoins. Le peuple a besoin des comestibles journaliers, et la funeste cupidité des ambitieux ou des contre-révolutionnaires leur fait accaparer tous les objets de commerce d'une utilité journalière pour les vendre à un taux excessif. On a dans cette capitale des preuves multipliées de ce reproche à faire aux ennemis du bonheur général. Nous en sommes à un point, après tant de patience, où il faut que le marchand fortuné sacrifie le tiers ou le quart de sa fortune au besoin pour sauver le reste, ou des mains de l'ennemi extérieur, à qui le peuple lassé serait contraint de tendre les bras, ou pour se soustraire à une taxe nécessaire. Vous savez, sans doute, quel vient d'être le sort de la Pologne, partagée de nouveau par trois puissances qui viennent de saisir les biens des plus riches Polonais. Ce dépouillement s'étendra encore à des particuliers moins riches, suivant le caprice et l'avidité dissolue des injustes conquérans. Le Stathouder, en Hollande, vexe encore les habitans les plus riches qu'il accuse d'être ses ennemis; mais il est plus probable, au contraire, que le peuple français, trop fier pour se soumettre à des étrangers, dont il a été victorieux dans tous les siècles, malgré leurs projets souvent renouvelés d'envahir la France; mais il est plus probable, dis-je, que le peuple des villes et des campagnes ferait par lui-même, à main armée, la police pour exiger que l'on mît les comestibles et autres objets journaliers de commerce à un prix raisonnable, pour qu'il en puisse jouir. Aussi a-t-on vu autrefois, sous les règnes de troubles du roi Jean-le-Bon, de Charles V et de Charles VI, le gouvernement forcé de taxer tout, ainsi que la journée des ouvriers, pour aller au-devant de plus grands fléaux dont la France était menacée, comme aujourd'hui, sous ces régnes et quelques autres; la collection des

lois et ordonnances des trois premiers en offre la peuve. Il est naturel de descendre le prix de la journée des ouvriers proportionnellement à la diminution du prix des denrées; car chacun dans ces circonstances critiques, doit faire de nouveaux sacrifices à la patrie, et je me sens la douce et fraternelle prévention que la classe des ouvriers y sera la première et la mieux disposée.

Je désire infiniment que notre département commun mette à profit ces vérités, qu'elles passent ensuite, à l'aide des vrais patriotes, des vrais amis du peuple et de la chose publique, qu'elles passent, dis-je, de ce département dans les autres, et que les fabricans et marchands se décident d'eux-mêmes à diminuer le prix de leurs marchandises, en sacrifiant même quelque chose de leur capital, avant d'attendre que la Convention leur en ait fait une loi, qu'elle ne peut, selon moi, se dispenser de porter, quant aux objets de fabrique nationale et de première nécessité. Les bons citoyens, d'un autre côté, chercheront à fabriquer une suffisante quantité de ces objets, pour que leur prix ne vienne jamais à trop augmenter. Je crois vous en avoir assez dit pour vous prouver mon amitié, à laquelle je vous prie de croire en républicain.

BRUN-LAFONT.

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