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entière hors de la salle, et vers la force armée, achevât de porter le dernier coup à la liberté publique.

Il fallait qu'un chef insolent, qu'un chef tout couvert encore du sang des malheureuses victimes du 2 septembre, méconnût la Convention nationale, osât la braver, et, par la plus monstrueuse contradiction, intimât les ordres du peuple au corps dépositaire de la confiance du peuple, qu'il portât l'audace au point de donner des ordres qui ne laissaient aux législateurs que l'alternative de périr ou de reculer devant ce chef parricide.

Il fallait que les représentans du souverain, qui s'étaient vus environnés de canons, qui avaient vu sur leur poitrine des sabres menaçans, parcourussent humblement les rangs de la force armée; que repoussés partout, trouvant à toutes les issues des baïonnettes dirigées contre leur sein, ils fussent rappelés par un membre que la prudence avait jusqu'alors tenu à l'écart (1) ; qu'ils rentrassent dans cette enceinte où ils venaient de jurer de s'ensevelir sous les ruines de la liberté, et y consommassent cet acte

ver les consignes, rentrer ensuite et lever la séance. Et ce que l'on n'apprendra pas sans un étonnement mêlé d'indignation, c'est que Delacroix, qui s'était plaint à l'assemblée de la consigne, qui avait annoncé que, regardant dans la cour par l'une des fenêtres du vestibule, il avait été, lui et plusieurs de ses collègues, conchés en joue ; que Barrère qui, réclamant contre la consigne, avait appelé le fer de la loi sur la tête de son auteur, tous deux, après être rentrés, concoururent au décret; que Barrère, dans un rapport qu'il fit deux jours après, au nom du comité de salut public, se soit borné à dire : « Son silence, depuis cette époque, » a dù être entendu par vous et par la nation entière..... » Barrère, aurais-tu été intimidé par l'apostrophe de Robespierre, qui te dit en ma présence et en celle de quelques-uns de tes collègues : « Quel gâchis venez-vous de faire ? » et qui osa te menacer.... Ah! Barrère !....

(1) Au moment où l'assemblée sortait, son président à sa tête, des femmes du côté gauche pressaient les membres de la Montagne de ne pas quitter la salle. L'Assemblée était en face du pont tournant, lorsqu'elle aperçut Marat avec une troupe de citoyens, tournant le grand bassin et criant : « Arrêtez les mandataires » lâches qui quittent leur poste, qu'on les y fasse retourner. »

Et l'on ose dire que la Convention a été libre, qu'il n'y avait aucun projet sinistre ! et l'on ose se faire gloire de ce qu'aucune goutte de sang n'a coulé!

Qu'on se rappelle au surplus la réponse de Henriot.... « Hérault, nous savons que tu es bon patriote, que tu es de la Montagne: réponds-tu sur ta tête que les vingt-deux membres seront livrés sous vingt-quatre heures ?—Non,» répond le président.

» En ce cas, reprend Henriot, JE NE RÉPONDS DE RIEN, et il s'écarta; il fit à sa troupe un geste, et l'on entendit ces cris : « Aux armes, canonniers, à vos

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impie, contre lequel ils avaient long-temps opposé une résistance héroïque.

Tel a été le déplorable résultat de cette journée malheureuse, qui a vu s'anéantir le fruit de quatre années de peines, de convulsions et de sacrifices.

A l'instant même s'est dissoute la Convention nationale; ce corps qui doit être composé d'élémens essentiellement libres, est rompu ; son intégrité a été attaquée par un acte de violence inouï jusqu'à nos jours, et dont aucune révolution, chez aucun peuple, n'a jusqu'ici offert d'exemple.

Il n'est pas besoin de raisonnemens pour établir cette vérité; et s'il était quelques hommes à qui le désir de la paix, le vœu d'un meilleur ordre de choses, fascinât encore les yeux, je leur dirais; lisez et prononcez; et si ces faits ne vous arrachent pas le fatal bandeau, considérez les circonstances qui ont accompagné cet acte qui enlève à leurs fonctions des législateurs contre lesquels aucune preuve ne s'élève encore; qui, lorsqu'une Constitution, attendue par la République entière, doit occuper les momens de tous ceux qui la représentent, enlève à plusieurs départemens les dépositaires de leur confiance.

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>> pièces.» Les canonniers prennent la mêche, la cavalerie tire le sabre, et l'infanterie couche en joue la Convention,

Et Henriot est libre !

Aussitôt que l'assemblée fut rentrée dans la salle, Camboulas interpella solennellement le président Herault, au nom de la Convention nationale et de la France entière, de déclarer les réponses qui lui avaient été faites, soit par Henriot, soit par les commandans des divers postes; sa voix fut étouffée.

Et Couthon obtient un paisible silence, et Couthon s'écrie: « N'avez-vous pas vu que vous êtes libres, n'avez-vous pas entendu ces témoignages d'attachement et de respect d'un bon peuple, qui ne vous demande que des lois et la Constitu tion? » et Couthon termine son éloquent discours par demander l'arrestation de ses collègues !

Au moment où l'Assemblée se promenait librement dans les jardins et dans les cours d'où elle ne pouvait sortir, on fut instruit de ce fait à la Commune qui était assemblée, et d'où se dirigeaient tous les mouvemens. Hebert monte à la tribune, compare la conduite de la Convention à celle du tyran dans la nuit du 9 au 10, qui passa en revue les troupes sur lesquelles il comptait, et Hebert s'écria : « Puis» que la Convention est sortie en masse contre le peuple, il faut que le peuple → tombe en masse sur la Convention. » Et Chaumet demanda l'arrestation d'Hébert, qui ne fut pas arrêté.

Trente-deux députés sont frappés par ce décret.

Vingt-deux avaient été dénoncés à l'époque de la trahison de Dumouriez ; ils étaient ses complices; conspirateurs au-dedans, ils assuraient par leurs manœuvres les succès de ce général coupáble. Un décret solennel a vengé ces membres d'une dénonciation déclarée calomnieuse. La République avait applaudi au décret, elle avait imposé silence à la faction qui établissait ses succès sur la perte d'hommes vertueux et fidèles.

La liste est reproduite deux mois après; trois des membres qu¡ avaient l'honneur d'y être rangés disparaissent pour faire place à trois autres contre lesquels on n'articule pas plus de faits que contre les premiers ; et dans cette agitation qui accompagnait toutes les actions d'hommes livrés au despotisme de la force armée, on change encore cette liste, on la décompose; Marat indique ceux auxquels il faut faire grace, ceux qui, au lieu d'avoir pour prison leur appartement, auront comme tous leurs collègues, la ville de Paris; et, sans respect pour les ordres intimés par les autorités constituées de Paris, on met aux voix cumulativement et dans une seule épreuve (1) l'arrestation de tous, même de ceux qui n'étaient pas dénoncés, et qu'il suffisait apparemment de nommer pour vouer à la proscription.

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Ne dirait-on pas, en lisant ces honteux détails, que ceux qui décomposaient ainsi la liste, qui remplaçaient des proscrits graciables à leurs yeux, par d'autres proscrits, étaient ceux qui avaient dirigé les mouvemens extérieurs, et qu'il leur suffisait de présenter vingt-deux membres, quels qu'ils fussent, à une troupe forcenée, qui avait juré de ne pas s'éloigner sans les obtenir. Ce n'était pas assez de vingt-deux membres, la pétition des

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(1) Différens décrets et l'usage constant observé par la Convention elle-même imposaient la loi de mettre aux voix séparément le décret sur chaque individu; la raison en est simple; dans un certain nombre d'hommes dénoncés, tous peuvent être coupables, mais ne pas, ou ne pas le paraitre au même degré ; il peut y en avoir aussi qui soient très innocens, il faut donc qu'il soit permis de faire cette 'distinction; quand la justice ne l'ordonnerait pas, la raison l'indique. Et ces décrets et ces usages qu'indiquait la raison, que la justice ordonnait, ont été

violés.

hommes qui usurpaient et profanaient le titre auguste d'autorités constituées de Paris; cette pétition, présentée dans la matinée du 2 juin, ne réclamait que vingt-deux membres, et semblait avoir livré à l'oubli les membres de la commission des Douze ; mais il fallait passer les espérances des anarchistes, et doubler leur succès; dix des douze membres qui composaient cette commission sont nommés; on les avait, sans les entendre, flétris d'une suppression qui serait humiliante, si elle avait eu d'autres caractères. On avait, sans les entendre encore, anéanti tous leurs actes; ils sont nommés, et, sans les entendre, le saint enthousiasme des proscriptions, les place à côté des prétendus complices de Dumouriez; la même épreuve, le même décret les atteint.

Il fallait aller plus loin: deux ministres (1), long-temps regardés comme vertueux, sur lesquels je ne veux prononcer qu'après cet examen qui doit toujours précéder, qui doit toujours justifier nos délibérations, deux ministres sont arrachés par le même décret aux fonctions dont jusqu'alors on ne les avait pas crus indignes, puisqu'ils occupaient encore leurs places et attendaient, comme leurs compagnons de gloire, qu'on leur dise quels sont leurs crimes, mais surtout quelles sont les preuves qui les établissent.

Quant à moi, je déclare à la face de l'Europe entière, que, condamné, pendant toute cette horrible journée, à gémir de l'oppression sous laquelle les représentans du peuple ont courbé leur tête; que privé de la faculté d'acquitter dans toute sa pléni

(1)]L'orage grondait depuis long-temps contre Clavières; il avait même, à ce que j'ai ouï dire, été arrêté la nuit du premier au 2, et conduit au comité révolution, naire de sa section.

Quant à Lebrun, je ne l'avais jamais entendu ranger au nombre des proscrits. Voici sans doute ce qui lui a valu cet honneur. Barrère, dans la matinée du 2, se plaignait qu'un nonimé Guzman, étranger, Espagnol, à ce que je crois, et membre du comité révolutionnaire de la commune, paraissait y avoir une influence dangereuse, que plusieurs renseignemens donnaient contre cet homme de violens soupçons. Barrère ajouta que le ministre Lebrun, présent au comité de salut public au moment où on parlait de Guzman et des soupçons qui s'élevaient sur son compte, observa qu'il avait au bureau des affaires étrangères des pièces qui etablissaient plus que des soupçons, ou les changeaient en certitude.

Le comité révolutionnaire était maitre", il fallait écarter ce témoin dangereux.

tude, le serment que j'ai fait de vivre libre ou de mourir; que repoussé de la tribune, et n'ayant pu faire entendre ma voix pour protester hautement contre la tyrannie qui nous écrasait, et avec nous la liberté du peuple français, je n'ai pris aucune part à cet acte qui, s'il n'avait été arraché par la force, serait l'acte le plus injuste, le plus odieux et le plus révoltant ; qui serait l'acte de la plus coupable lâcheté, s'il n'avait sauvé Paris des horreurs d'une guerre civile prête à s'allumer dans ses murs, s'il n'avait sauvé la France peut-être des coups qu'allait lui porter l'armée contre-révolutionnaire, enfermée dans cette ville, mêlée et confondue avec les hommes égarés que guidaient les anarchistes, et avec les vrais amis de la liberté, ses constans défenseurs, qui, ignorant les projets des traîtres, croyaient n'être appelés que pour défendre leurs représentans.

Je déclare que, privé par la tyrannie qui s'étend jusque sur l'inviolable secret des lettres, du droit d'instruire mes commettans des crimes commis envers eux; que, privé par cette terrible inquisition qui enchaîne toutes les presses, de la faculté de transmettre à la France entière le récit d'événemens qui doivent entraîner sa perte, s'ils ne sont promptement effacés, je ne prendrai aucune part aux délibérations d'un corps que je regarde comme l'ombre de lui-même; que le seul acte que je me croie autorisé à faire, sera de réclamer de toute la force dont je suis capable, la liberté de mes collègues, le rétablissement de la représentation nationale dans toute son intégrité, et de m'opposer au décret d'accusation, à moins que des faits clairs et précis, à moins que, sinon des preuves évidentes, au moins des indices violens, ne me fassent apercevoir des coupables dans des hommes que, tout en combattant quelquefois leurs opinions, j'ai regardés comme purs et vertueux; des hommes dont les lumières m'ont souvent guidé, dont le patriotisme ne me parut jamais équivoque, quoique j'aie quelquefois blâmé les moyens qu'ils employaient pour le manifester; des hommes enfin, dont le plus grand ou plutôt le seul crime est la haine d'un parti qui, sous le masque de l'égalité, veut écraser tout ce qui le blesse; qui, de la 4

T. XXVIII.

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