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> Dumourier, Custine, sont tous deux agens de la faction anglaise; mais ils ont bien des complices parmi nous.

› Le camp de César, aussi fortifié que celui de Famars, dans une situation des plus formidables, propre à se défendre des années entières, vient d'être livré presque sans combat. Il vient d'être livré par le général Kilmaine; et déjà Cambrai est menacé, ou plutôt il est cerné.

› Vous connaissez tous nos maux, ils ne doivent point vous effrayer; vous en devez connaître le remède, il est en vousmêmes: oui, il est en vous, Républicains, et vous l'indiquer, c'est en assurer le succès.

› La faction anglaise, qui a dominé jusqu'ici notre révolution, qui a répandu avec tant de prodigalité des richesses pour corrompre des républicains, qui, en certaines rencontres, a dirigé nos opérations, avait pour but de nous donner ou Brunswick ou le duc d'Yorck pour roi, et c'eût donc été le fruit de quatre années de combats, de revers, de malheurs, et de quelques victoires. Il n'en sera pas ainsi. Mais voyons comment ils comptaient nous y conduire; leurs mesures étaient bien prises.

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. Dumourier fugitif commande encore nos armées. Un Anglais, comme lui, Custine, suivit ses plans, ses conseils, tout ce qu'il en savait, et se fit un devoir religieux de ne s'en écarter en rien; de là la trahison de Mayence. Un autre Anglais, Kilmaine, en fit autant à Palliancourt, et bientôt il en fera de même à Cambray, qui court déjà, à plusieurs égards, les plus grands risques.

> Kilmaine est remplacé en ce moment par un général que je crois pur (Houchard). Cependant nous avons tant de raisons de nous défier de tous, que je suspends mon jugement jusqu'à ce que l'événement l'ait justifié.

» Mais fixons seulement nos regards sur les moyens de sauver la patrie, et c'est d'elle seule que je vais vous entretenir.

› Ce qui a si long-temps causé nos malheurs, c'est l'impunité. Si Louis XVI eût été puni dès le premier crime qu'il osa com

CONVENTION NATIONALE.

mettre contre la nation, la révolution, plus avancée, daterait sans doute de plus loin l'ère de la République.

» Qui ne trémit pas, lorsqu'il pense que l'assassin de tant de nos frères, de tant de milliers de patriotes, de tant de femmes, d'enfars, de vieillards, vit encore (Custine)? Quel est le scélérat qui, voyant son impunité, ne briguera pas l'honneur de servir la royauté contre les pauvres sans-culottes qui n'ont point d'assassins à payer, de coupe-jarrets à soutenir? Et que ne nous sera-t-il pas permis de redouter en voyant un tribunal, que le peuple avait investi de sa confiance, en possession d'une foule de preuves contre Custine, rester dans l'inaction et ne pas juger ce grand coupable? Custine vit encore, et sa tête est plus ferme sur ses épaules que la mienne, que celle de tous les patriotes! A peine les renseignemens nécessaires pour son procès sont-ils pris encore; on presse, on veut montrer à nos frères la justice et l'équité d'une nation qui punit comme elle récompense.

› Au bout d'un mois, un jugement interlocutoire survient, qui renvoie à Cambray pour chercher une correspondance dans laquelle il y aura, dit-on, les preuves nécessaires pour le sauver. C'est dans une ville qu'il allait livrer qu'on va chercher les preuves de son innocence.

› C'est avec cette lenteur des anciens parlemens que procède maintenant le tribunal révolutionnaire; c'est avec ces formes chicannières et insidieuses qui distinguèrent toujours notre barreau: encore le parlement jugeait-il en quatre jours l'homme convaincu d'un meurtre. Et cet homme, qui, depuis quatre ans, assassina trois cent mille Français, n'a point à redouter une preuve qui le condamne. Il est innocenté, l'assassin de nos frères ! Il assassinera toute la race humaine, et bientôt il ne restera que les tyrans et les esclaves! (Non! non! s'ècrie-t-on de toutes parts.)

> Savez-vous quels moyens emploient nos ennemis pour l'arracher à la juste vengeance des peuples? On veut l'intéresser à son existence, en surprenant sa compassion.

• On ne résiste point aux pleurs d'une femme intéressante;

des femmes se jettent aux pieds du premier venu pour implorer sa grace. Et nous autres, sans-culottes, nous n'avons point de femmes qui nous arrachent à la mort, lorsque les conspirateurs de Lyon nous poussent par centaines sous le couteau de l'assassin.

› Voilà l'homme qu'épargnera votre tribunal révolutionnaire! › Tous les chefs des conspirateurs, Stengel, Miranda, plusieurs autres, excepté Miaczinski, le moins coupable de tous, et celui peut-être à qui l'on aurait dû pardonner après avoir immolé les autres à la justice vengeresse des lois, tous ont échappé.....

(Des interruptions fréquentes avaient fatigué l'orateur et révolté l'assemblée. Ici, elles deviennent si fortes que le citoyen qui occupait le fauteuil (Hébert), ne pouvant obtenir le silence, élève la voix et dit :)

Hébert. Robespierre, rappelle-toi que lorsqu'on dénonça Dumourier, ici, pour la première fois, des poignards furent tirés, et peut-être il a des amis encore aujourd'hui parmi nous. On soutiendra son digne émule par les mêmes moyens; mais ils n'intimideront pas les patriotes. »

Robespierre continue. Il faut que le peuple, ranimant son énergie au souveuir de Lacédémone et d'Athènes, jure de s'ensevelir sous les ruines de la République, si elle courait le danger d'être anéantie. Si le peuple entier ne se ranime à l'aspect de nos malheurs; si un citoyen ne se lève pas parmi nous, ne sort pas des rangs pour se consacrer au salut de la patrie par la chute de ses oppresseurs, c'en est fait de la liberté, elle ne survivra pas à notre courage.

» Il faut aussi que les journalistes, qui sont si évidemment les complices de Londres et de Berlin; ces hommes stipendiés par nos ennemis, qui cachent l'art d'épouvanter le peuple sous l'air de soigner ses intérêts avec plus de zèle; qui trouvent le moyen, par de prétendues vérités, de porter dans son sein la

CONVENTION NATIONALE.

défiance, la terreur et la consternation; il faut, dis-je, que ces hommes soient punis: il faut qu'on les enchaîne.

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Qu'ils le soient aussi ces conspirateurs qui voient avec une horrible satisfaction arriver le moment où le peuple, obligé de se répandre sur une grande surface, leur permettra de se réunir et de conspirer ouvertement! Que pas un d'eux n'échappe, et si les patriotes doivent marcher tous, que les aristocrates soient tenus dans les chaînes.

› Il est une classe d'hommes d'autant plus dangereuse, qu'ils sollicitent la pitié. Il faut enfermer cette foule de gens qui parcourent les rues de la ville, offrant partout l'image de la famine de l'indigence et de l'aristocratie; car ces hommes sont payés pour séduire le peuple et le rendre dupe de sa crédulité et de sa compassion.

>La plus importante de toutes mes réflexions allait m'échapper. Je ne crains pas de le dire: si la Convention nationale existait telle qu'elle était il y a quelques mois, la République serait perdue.

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Appelé, contre mon inclination, au comité de salut public j'ai vu des choses que je n'aurais jamais osé soupçonner.

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J'y ai vu, d'un côté, des membres patriotes faire tous leurs efforts, quelquefois vainement, pour sauver leur pays, et d'un autre côté des traîtres conspirer jusqu'au sein même du comité, et cela avec d'autant plus d'audace, qu'ils le pouvaient avec plus d'impunité. Depuis que j'ai vu de plus près le gouvernement, j'ai pu m'apercevoir de tous les crimes qu'on y commet chaque jour.

› Le peuple se sauvera lui-même. Il faut que la Convention appelle autour d'elle tout le peuple français; il faut qu'elle réunisse tous nos frères des départemens ; il faut que nous fassions un feu roulant sur nos ennemis extérieurs, et que nous écrasions tous ceux du dedans.

J'ai entendu, j'ai lu une proposition qui a été faite ce matin à la Convention, et je vous avoue qu'à présent même il m'est difficile d'y croire. Je ne croupirai pas membre inutile d'un

comité ou d'une assemblée qui va disparaître. Je saurai me sacrifier au bien de mon pays. Si ce que je prévois arrive, je déclare que je me sépare du comité, que nulle puissance humaine ne peut m'empêcher de dire à la Convention toute la vérité, de lui montrer les dangers du peuple, de lui proposer les mesures qui seules peuvent les prévenir, ou en empêcher l'effet.

› Je déclare que rien ne peut sauver la République, si l'on adopte la proposition qui a été faite ce matin, que la Convention se sépare et qu'on lui substitue une assemblée législative. ›

(Non! non! s'écrie toute la société.)

Un envoyé des départemens. Nous avons juré de ne nous séparer que quand la Convention aura décrété des mesures de salut public.

Un autre. Je demande qu'elle ne se sépare point avant la fin de la guerre.›

Robespierre. Je n'ai aucune raison pour éterniser l'assemblée actuelle; tous ceux qui me connaissent savent que je désire ardemment de déposer le fardeau d'une administration qui, depuis cinq ans, pèse sur mes épaules; or, je l'avouerai franchement, il dépasse toutes les forces humaines.

> Mais la proposition insidieuse que je combats ne tend qu'à faire succéder aux membres épurés de la Convention actuelle, les envoyés de Pitt et de Cobourg (1).

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Robespierre termina son discours en exposant les dangers que ferait courir à la République une séparation aussi contraire aux intérêts du peuple. Cette dernière partie de son improvisation ne fut pas recueillie.

La forte impulsion donnée par ce manifeste n'eut des résultats que le 16 août. Le 12, Barrère, au nom du comité de salut

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(1) Cette improvisation de Robespierre nous a été conservée par deux journaux, le Répulicain français, n, CCLXXI, et le Journal de la Montagne, n. CLXXII. Le fond des idées est le même dans ces deux feuilles, mais la forme diffère assez souvent. Nous avons suivi presque partout le texte du Républicain français; nous n'avons emprunté à celni du Jonrnal de la Montagne qu'un petit nombre de phrases qui nous ont paru plus correctes et d'un sens plus net que les phrases correspondantes de la leçon adoptée par nous.. (Note des auteurs.) «

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