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cation d'un empire par le feu, le président de la Convention nationale a prononcé le discours suivant :

Ici la hache de la loi a frappé le tyran. Qu'ils périssent aussi » ces signes honteux d'une servitude que les despotes affectaient › de reproduire sous toutes les formes à nos regards! que la › flamme les dévore! qu'il n'y ait plus d'immortel que le sen› timent de la vertu qui les a effacés! Justice, vengeance, divi› nités tutelaires des peuples libres, attachez à jamais l'exécra» tion du genre humain au nom du traître qui, sur un trône › relevé par la générosité, a trompé la confiance d'un peuple › magnanime! Hommes libres, peuple d'égaux, d'amis et de › frères, ne composez plus les images de votre grandeur que › des attributs de vos travaux, de vos talens et de vos vertus! › que la pique et le bonnet de la liberté, que la charrue et la › gerbe de blé, que les emblèmes de tous les arts, par qui la so⚫ ciété est enrichie, embellie, forment désormais toutes les dé⚫corations de la République! Terre sainte! couvre-toi de ces

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› biens réels, qui se partagent entre tous les hommes, et deviens ⚫ stérile pour tout ce qui ne peut servir qu'aux jouissances exclu› sives de l'orgueil! >

› Aussitôt après ce discours le président a pris une torche enflammée; il l'a appliquée contre le bûcher, couvert de matières combustibles, et à l'instant trône, couronne, sceptre, fleurs de lis, manteau ducal, écussons, armoiries, toutes ces livrées odieuses du despotisme ont disparu au bruit pétillant des flammes qui les enveloppaient de toute part, et au milieu des acclamations de plus de huit cent mille ames! Dans le même instant encore, comme si tous les êtres vivans devaient partager cet affranchissement de la première des créatures vivantes, et en ressentir l'allégresse, trois mille oiseaux de toutes les espèces, portant à leur cou de minces banderoles tricolores, où étaient écrits ces mots : nous sommes libres ! imitez-nous! se sont élancés avec les étincelles du milieu des flammes dans le vaste et libre espace des airs (1)..

(1) «Deux colombes se sont réfugiées dans les plis de la statue de la Liberté, et

› La quatrième station s'est faite devant les Invalides, devant ce monument de l'orgueil d'un despote, mais déjà perfectionné par la bienfaisance et par la souveraineté nationale. Après avoir anéanti la tyrannie des rois, la France a été obligée de combattre et d'anéantir un nouveau monstre non moins dangereux pour la liberté, le fédéralisme : un monument signalait ici cette victoire récente. Sur la cime d'un rocher était exhaussée une statue colossale représentant le peuple français; tandis que d'une main forte il renouait le faisceau des départemens, un monstre, dont les extrémités inférieures étaient terminées en dragon de mer, sortant des roseaux d'un marais fétide, s'efforçait d'atteindre en rampant jusqu'au faisceau pour le rompre; le colosse, écrasant sous ses pieds la poitrine du monstre, de sa massue, balancée sur sa tête, allait le frapper du coup mortel. En contemplant ces emblèmes, élevés dans les airs à une grande hauteur, le peuple a reconnu sa force et son triomphe, et les images sous lesquelles lui-même et son histoire étaient retracés à ses yeux sont devenues le texte du discours que le président a prononcé dans cette circonstance (1):

Peuple français, te voilà offert à tes propres regards sous > un emblème fécond en leçons instructives! Ce géant dont la › main puissante réunit et rattache en un seul faisceau les dépar> temens, qui font sa grandeur et sa force, c'est toi! Ce monstrė > dont la main criminelle veut briser le faisceau, et séparer ce que la nature a uni, c'est le fédéralisme!

› Peuple dévoué à la haine et à la conjuration de tous les des› potes, conserve toute ta grandeur pour défendre ta liberté ! » qu'une fois au moins sur la terre la puissance soit alliée à la » vérité et à la justice! Fais à ceux qui veulent te diviser la même

depuis ce jour elles y ont fixé leur domicile : fidèles à ce monument sacré, on les voit s'y retirer tous les soirs. La superstitieuse antiquité serait jalouse d'un pareil trait; les augures en auraient tiré un grand avantage pour l'aristocratie du sénat; mais les vrais augures du peuple français sont sa raison et ses droits, bien supérieurs à tous les charlatanismes politiques. »

(1) Le colosse avait pour inscription : L'aristocrate a pris cent formes diverses ; le peuple tout-puissant l'a partout terrassé. (Note des auteurs.)

› guerre qu'à ceux qui veulent t'anéantir, car ils sont également » coupables! Que tes bras, étendus de l'Océan à la Méditerranée, » et des Pyrénées au Jura, embrassent partout des frères, des > enfans! Retiens sous une seule loi et sous une seule puissance › une des plus belles portions de ce globe; et que les peuples es> claves, qui ne savent admirer que la force et la fortune, té› moins de tes vastes prospérités, sentent le besoin de s'élever > comme toi à cette liberté qui t'a fait l'exemple de la terre! >

L'entrée seule du Champ de Mars, lieu de la dernière station, offrait aux yeux, à l'imagination et aux ames, une de ces leçons sublimes et touchantes dont il n'appartient qu'à la liberté de concevoir l'idée et de présenter le spectacle. A deux termes, placés vis-à-vis l'un de l'autre comme les deux colonnes de l'ouverture d'un portique, était suspendu un ruban tricolore, et au ruban un niveau, allégorie sensible de cette égalité sociale qui retient tous les hommes sur un plan commun, et les nivelle devant la loi comme ils le sont par la nature. Après s'être tous courbés, ou plutôt relevés sous ce niveau, emblème de ce qui fait l'unique grandeur de l'homme, de ce qui seul lui prépare des prospérités réelles et solides, la Convention nationale, les quatre-vingt-sept commissaires des départemens, tous les envoyés des assemblées primaires, ont monté les degrés de l'autel de la patrie, et dans le même temps qu'un peuple innombrable, couvrant la vaste étendue du Champ de Mars, se rangeait avec recueillement autour de ses représentans et de ses envoyés, le président, parvenu au point le plus élevé de l'autel de la patrie, ayant à ses côtés le vieillard le plus avancé en âge parmi les commissaires des départemens, de cette hauteur, comme de la véritable montagne sainte, a publié le recensement des votes des assemblées primaires de la République, et a proclamé en ces mots la Constitution :

Français, vos mandataires ont interrogé dans quatre-vingt› sept départemens votre raison et votre conscience sur l'acte > constitutionnel qu'ils vous ont présenté. Quatre-vingt-sept dé>partemens ont accepté l'acte constitutionnel. Jamais un vou › plus unanime n'a organisé une république plus grande et plus

› populaire! Il y a un an notre territoire était occupé par l'en> nemi : nous avons proclamé la République; nous fumes vain› queurs. Maintenant, tandis que nous constituons la France, l'Europe l'attaque de toute part: jurons de défendre la Consti› tution jusqu'à la mort; la République est éternelle ! »

› Immédiatement après cette proclamation le président a déposé dans l'arche placée sur l'autel de la patrie l'acte constitutionnel et le recensement des votes du peuple français.

A cet instant, la plus grande époque du genre humain, tout a été comme ébranlé par les salves d'artillerie, répétées sans intervalle, et par un million de voix confondues dans les airs en un seul cri: on eût dit que le ciel et la terre répondaient à cette proclamation de la seule Constitution, depuis qu'il existe des peuples, qui ait donné à un grand empire une liberté fondée sur l'égalité, et qui ait fait de la fraternité un dogme politique.

> Les quatre-vingt-sept commissaires des départemens, qui durant la marche avaient tenu chacun une pique à la main, se sont rapprochés du président de la Convention pour déposer leurs piques dans ses mains. Il les a réunies en un seul faisceau, noué par un ruban aux couleurs de la nation. A cet acte, qui peignait aux yeux l'unité, l'indivisibilité de la République, les retentissemens redoublés de l'airain ont de nouveau fait monter au ciel la joie de la terre.

> Tout était accompli pour l'existence de la République, mais il lui restait une dette sacrée à acquitter, celle de sa reconnaissance envers les Français morts en combattant pour sa cause. Descendue de l'autel de la patrie, la Convention nationale a traversé une portion du Champ de Mars et s'est rendue vers l'extrémité au temple funèbre, où des décorations antiques, semblables aux monumens dont l'histoire des arts et des républiques nous a transmis la beauté, attendaient la cendre de nos défenseurs; le char suivait. La grande urne, dépositaire de ces cendres chéries, a été transportée sur le vestibule du temple, élevée à tous les regards. La Convention nationale s'est répandue sous les colonnes, sous les portiques; tous les spectateurs, placés

au-dessous, se sont découverts; une foule immense, attendrie et respectueuse, a prêté un silence profond. Le président, penché sur l'urne, que d'une main il tenait embrassée, tandis que de l'autre il portait et montrait au peuple la couronne de laurier destinée aux martyrs fondateurs de la liberté, leur a adressée en ces mots les hommages et pour ainsi dire le culte de la patrie :

Terminons cette auguste journée par l'adieu solennel que › nous devons à ceux de nos frères qui ont succombé dans les › combats. Ils ont été privés de concourir à la Constitution de › leur pays; ils n'ont pas dicté les articles de la charte française; › mais ils les avaient préparés, inspirés par leur dévouement hé› roïque; ils ont écrit la liberté avec leur sang. Hommes intré› pides, cendres chères et précieuses, urne sacrée, je vous salue › avec respect! je vous embrasse au nom du peuple français! › Je dépose sur vos restes protecteurs la couronne de laurier que › la patrie et la Convention nationale m'ont chargé de vous pré› senter. Ce ne sont pas des pleurs que nous donnerons à votre

mémoire ; l'œil n'est pas fait pour en répandre. Pour qui ces > larmes? Serait-ce pour vos parens et pour vos amis? Votre re› nommée les console; ils se sont dit que vous étiez fortunés de › reposer dans la gloire ; ils n'ont jamais pu souhaiter que vous › fussiez exempts du trépas, mais dignes d'avoir vécu. Serait-ce ⚫ pour vous? Ah! combien vous avez été heureux ! Vous êtes › morts pour la patrie, pour une terre chérie de la nature, ai› mée du ciel ; pour une nation généreuse, qui a voué un culte à > tous les sentimens, à toutes les vertus; pour une République où > les places et les récompenses ne sont plus réservées à la faveur › comme dans les autres états, mais assignées par l'estime et par ⚫ la confiance : vous vous êtes donc acquittés de votre fonction › d'hommes, et d'hommes français ; vous êtes entrés sous la tombe › après avoir rempli la destinée la plus glorieuse et la pius desi› rable qu'il y ait sur la terre! Nous ne vous outragerons point › par des pleurs.

» Mais, ô nos frères! c'est en vous admirant, c'est surtout en › vous imitant que nous voulons vous honorer; et si, comme il 29

T. XXVIII.

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