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menaçant de cette garde vigilante que les sociétés populaires ont toujours faite autour de la liberté, et à laquelle aucun traître n'a pu et ne pourra échapper!

› La Convention nationale a paru ensuite, précédée de la déclaration des Droits de l'homme et de l'Acte constitutionnel; elle était placée au milieu des envoyés des assemblées primaires, liés les uns aux autres par un léger ruban tricolore. En présence du peuple souverain, aucun costume orgueilleux ne devait distinguer ses représentans; chacun d'eux portait à la main un bouquet d'épis de blé et de fruits. Ainsi se renouvelait cette sublime alliance, aperçue par les peuples des républiques anciennes, entre l'agriculture et la législation, et qu'ils figurèrent dans leurs allégories en faisant de Cérès la législatrice des sociétés.

› Les envoyés des assemblées primaires portaient dans une main une pique, arme de la liberté contre les tyrans; dans l'autre une branche d'olivier, symbole de la paix et de l'union fraternelle entre tous les départemens d'une seule et indivisible République.

L'ordonnateur, de la fête (David), par une seule idée, lui a imprimé son plus beau caractère. Après les envoyés des assemblées primaires il n'y avait plus eu aucune division de personnes et de fonctionnaires, ni même aucun ordre tracé, aucune régularité prescrite dans la marche. Le conseil exécutif était dispersé au hasard; l'écharpe du maire ou du procureur de la Commune, les plumets noirs des juges ne servaient qu'à faire remarquer qu'ils marchaient les égaux du forgeron et du tisserand. Là des différences qui semblent imprimées par la nature même étaient effacées par la raison, et l'Africain, dont la face est noircie par les feux du soleil, donnait la main à l'homme blanc comme à son frère; là tous étaient égaux comme hommes, comme citoyens, comme membres de la souveraineté. Tout s'est confondu en présence du peuple, source unique de tous les pouvoirs, qui, en émanant de lui, lui restent toujours soumis; et dans cette confusion sociale et philosophique, rendue encore plus

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touchante par un mélange de paroles, de chants, d'instrumens et de cris de joie qui se croisaient dans les airs, tout a donné la vue et le sentiment de cette égalité sacrée, empreinte éternelle de la création, première loi de la nature, et première loi de la République!

› Mais si les distinctions sociales s'évanouissaient, tout ce que la société a de plus utile dans ses travaux et de plus attendrissant dans ses bienfaits figurait avec éclat dans la fête, et, en prononçant plus fortement son caractère, ajoutait à sa magnificence. Traînés sur un plateau roulant, les élèves de l'institution des aveugles faisaient rétentir les airs de leurs chants joyeux, et montraient le malheur consolé et honoré. Portés dans de blanches barcelonnettes, les nourrissons de la maison des enfans trouvés annonçaient que la République était leur mère, que la nation entière était leur famille, et qu'eux aussi ils pourraient prononcer un jour le nom de patrie. Les artisans, si longtemps privés de s'honorer de leur métier, quelquefois même condamnés par l'orgueil à en rougir, portaient leurs instrumens et leurs outils comme une des plus belles décorations de cette pompe sociale. Sur une charrue, devenue un char de triomphe, un vieillard et sa vieille épouse, traînés par leurs propres enfans, offraient dans un tableau vivant l'histoire à jamais célèbre de Biton et de Cléobis (1), offraient surtout la considération accordée

(1) «On se rappelle le trait touchant de Biton et de Cléobis, raconté par Hérodote, par Plutarque, et qui a fourni à ces deux historiens un résultat si moral. Ce roi de Lydie, Crésus, dont l'histoire a flétri la barbare opulence, crut que le législateur Solon le compterait pour quelque chose, et s'extasierait sur son bonheur.-Quel est, selon vous, l'homme le plus heureux ? demanda-t-il au philosophe. Solon répondit: Tellus, citoyen d'Athènes, homme de bien, généralement estimé, mort pour sa patrie. - El après Tellus? — Solon' répondit: Cléobis et Biton, deux frères qui aimaient tant leur mère, qu'un jour de fête solen nelle, comme elle voulait aller au temple de Junon, ses bœufs tardant trop à veDir, ils s'attelèrent eux-mêmes et trainèrent le char de cette mère ravie, dont tout le monde vantait la félicité. Elle supplia les dieux d'accorder à ses enfans ce qu'il y a de meilleur sur la terre: Cléobis et Biton ne se reveillèrent point le lendemain; une mort douce et tranquille termina leur vie honorée, comme si les dieux avaient voulu faire connaître, ajoute Hérodote, qu'il n'y a pas de plus grand bien dans la vie que d'en sortir après une action glorieuse. »

dans une république à la piété filiale, ainsi qu'à l'agriculture, et les hommages rendus par une nation libre et souveraine à la vieillesse de ceux qui la nourrissent. Au milieu de cette multitude d'images des arts, des métiers, des travaux utiles, des vertus simples et réelles, s'élevait une enseigne sur laquelle on lisait ces mots : voilà les services que le peuple infatigable rend à la société humaine!

› Dans ces honneurs décernés à ceux qui vivent pour la société vous n'étiez point oubliés, ô vous qui êtes morts pour la cause de la République! Huit chevaux blancs, ornés de panaches rouges, traînaient dans un char de triomphe l'urne où l'on avait déposé leurs cendres révérées. Le sombre cyprès ne faisait point pencher autour de l'urne ses branches mélancoliques; une douleur même pieuse aurait profané cette apothéose : des guirlandes et des couronnes, les parfums d'un encens brûlé dans des cassolettes, un cortège de parens le front orné de fleurs, une musique où dominaient les sons guerriers de la trompette; tout, dans cette marche triomphale, ôtait à la mort ce qu'elle a de funèbre, et ranimait, pour participer à l'allégresse publique, les mânes sacrés des citoyens devenus immortels dans les combats.

› A une certaine distance de tous ces objets, au milieu d'une force armée, roulait avec un fracas importun, chargé des attributs proscrits de la royauté et de l'aristocratie, un tombereau semblable à ceux qui conduisent les criminels au lieu de leur supplice. Une inscription gravée sur le tombereau portait: voilà ce qui a toujours fait le malheur de la société humaine! A cette vue le peuple paraissait frémir d'horreur, et les dépouilles de la victoire indignaient encore les vainqueurs!

> Cinq fois dans l'espace qu'elle devait parcourir, cette pompe auguste s'est arrêtée, et chaque station a présenté des monumens qui rappelaient les plus beaux actes de la révolution, ou des cérémonies qui la consacraient et qui l'achevaient.

› Vers le milieu de la longueur des boulevards s'élevait un arc de triomphe, ouvrage du génie de l'architecture et de celui de la peinture, associées par le patriotisme: Rome antique, et Athe

nes, la cité des arts, ont exécuté en ce genre peu de dessins plus beaux. L'arc de triomphe était érigé pour représenter la gloire de ce moment de la révolution de 1789 où l'on vit des femmes, devenues intrépides par le sentiment de la liberté, traîner des canons, et portées sur les affûts, diriger en quelque sorte les hommes où il fallait attaquer la tyrannie, combattre elles-mêmes à Versailles les satellites des despotes, et mettre en fuite ceux qui échappaient à leurs coups. Les quatre côtés de l'arc triomphal rappelaient par de simples inscriptions les résultats de ce mémorable événement. Sur une des faces on lisait : comme une vile proie, elles ont chassé les tyrans devant elles; sur l'autre le peuple, comme un torrent, inonda leurs portiques; ils disparurent; sur la troisième, en parlant du peuple : sa justice est terrible; sur la face opposée : sa clémence est extrême. Tandis que l'architecture, la peinture et la sculpture se réunissaient ainsi pour transmettre à la postérité le souvenir des héroïnes des 5 et 6 octobre, ces femmes courageuses figuraient elles-mêmes au milieu des monumens de leur gloire, et, comme au chemin de Versailles, on les voyait assises sur les affûts des canons. Toute la marche s'est arrêtée devant elles; le peuple les contemplait, et le président de la Convention nationale (HéraultSéchelles) leur a parlé en ces termes :

:

Quel spectacle! la faiblesse du sexe et l'héroïsme du cou› rage! O liberté, ce sont là tes miracles! C'est toi qui dans ces › deux journées, où le sang à Versailles commença à expier les › crimes des rois, allumas dans le coeur de quelques femmes cette › audace qui fit fuir ou tomber devant elles les satellites du ty› ran! Par toi, sous des mains délicates, roulèrent ces bronzes, › ces bouches de feu qui firent entendre à l'oreille d'un roi le ⚫ tonnerre augure du changement de toutes les destinées! Le > culte que t'ont voué les Français a été impérissable à l'instant ⚫ où tu es devenue la passion de leurs compagnes. O femmes ! › la liberté, attaquée par tous les tyrans, pour être défendue, › a besoin d'un peuple de héros': c'est à vous à l'enfanter! Que › toutes les vertus guerrières et généreuses coulent avec le lait

› maternel dans le cœur de tous les nourrissons de la France! › Les représentans du peuple souverain, au lieu de fleurs qui » parent la beauté, vous offrent le laurier, emblème du courage ⚫ et de la victoire : vous le transmettrez à vos enfans. >

› En prononçant ces dernières paroles, le président leur a donné l'accolade fraternelle; il a posé sur la tête de chacune d'elles une couronne de laurier; et le cortège de la fête, à laquelle elles se sont unies, a repris la route des boulevards au milieu des acclamations universelles.

› La place de la Révolution était marquée pour la troisième station; elle s'est faite devant la statue de la Liberté, élevée sur le piédestal de la statue anéantie d'un des plus vils et des plus corrompus de nos tyrans. La Liberté, comme la fille de la nature, paraissait à travers l'ombrage de jeunes arbres dont elle était environnée; les rameaux des peupliers pliaient sous le poids des tributs offerts à la divinité par l'amour des Français : c'étaient des bonnets rouges et des rubans aux couleurs nationales; c'étaient des vers, trouvés plus beaux parce qu'ils n'exprimaient tous qu'un même sentiment; c'étaient des dessins tracés aux crayons, et qui faisaient revivre les prodiges de la révolution ; c'étaient des guirlandes de fleurs, animées par ce pinceau éternel qui vivifie et décore les champs. La multitude et le choix des offrandes annonçaient que ce n'était pas une cérémonie, mais un culte, et que tous les cœurs avaient cédé à l'enthousiasme de leur idolâtrie (1).

› Mais il ne suffisait pas de ces offrandes; il fallait encore un sacrifice à la déesse. Presque à ses pieds était un immense bûcher destiné à le recevoir tout ce qui avait servi à la représentation et au faste de la royauté devait être la matière du sacrifice. Placé entre la statue et le bûcher, au moment de cette grande purifi

(1) Les inscriptions sur la statue de la Liberté étaient :-Par devant :-«L'igno> rance l'avait bannie de dessus la terre. » - Par derrière : - « La vérité l'a ra» menée parmi nous. » — Latéral droit : - Notre courage saura la défendre ; › nous voulons vivre et mourir pour elle. »—Latéral gauche : - Elle s'est as› sise sur les ruines de la tyrannie; la postérité bénira son règne. »

(Note des auteurs.)

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