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battue, le canon d'alarme est tiré; tout annonce les dangers de la patrie ou plutôt donne le signal terrible d'une insurrection dont on ignore encore l'objet, et dont les moteurs cependant n'étaient que trop connus.

Toute cette journée, le palais national est assiégé ; les bouches à feu dirigées sur l'enceinte qui renfermait les mandataires du peuple; et les citoyens ignoraient tous ce qu'ils étaient appelés à faire tous imaginaient, tous aimaient à se persuader que la défense de la Convention nationale leur mettait à la main les armes qu'ils portaient, les arrachait à leurs travaux, et troublait ainsi le calme si désirable, après les déchiremens d'une longue et violente révolution. Et ce même jour, deux décrets sont rendus; l'un organisant l'insurrection, offrant un appât à ceux que d'utiles travaux devaient fixer dans leurs ateliers, accordait quarante sous par jour aux ouvriers qui auraient pris les armes. L'autre anéantit la commission des Douze, sans l'avoir entendue, et malgré ses réclamations étouffées par les vociférations des tribunes, par les injures et les menaces de ceux qui s'appellent et qu'on appelle le souverain quand ils n'en sont qu'une fraction. Et une proclamation est destinée à annoncer à la République entière, le calme imposant des citoyens de Paris, l'ordre qu'ont entretenu partout les soins des sections!

Qu'il me soit permis de faire ici une courte réflexion : l'ordre a été entretenu dans Paris sans doute; le calme et la tranquillité ont régné dans cette ville immense, si ce n'est autour du lieu qu'habite la représentation nationale. Mais la représentation nationale avait été violée par une force armée dont les chefs, en l'environnant, lui ont dicté les décrets qu'elle a rendus. Mais un mouvement avait éte imprimé à tous les habitans de Paris; mais

deur, qu'au cachet enlevé on ea substitue un qui porte ces mots : révolution du 31 mai 1795.

Qu'on cite donc dans les annales des tyrans une aussi criminelle inquisition ! ne les a-t-on punis de leurs forfaits que pour acquérir le droit d'en commettre de plus grands encore?

Et la Convention nationale, instruite de cet horrible attentat, se tait! et la Convention se dit libre!

le tocsin avait sonné, la générale avait été battue, le canon d'alarme avait tonné, et il y avait là un crime; et en même temps que l'on rendait aux sections de Paris une justice méritée, il fallait remonter à la cause du crime, il fallait en découvrir, en atteindre les auteurs, il fallait que, traduits aux tribunaux, cet acte de fermeté prévint les nouveaux malheurs qui nous menaçaient. La motion en fut faite, elle fut appuyée; mais, écartée, elle devait donner une nouvelle audace aux coupables. Tel est l'ordinaire effet de l'impunité.

Les momens pressaient cependant; la suite ne l'a que trop prouvé.

Le lendemain, nouveau rassemblement de la force armée, la générale avait battu, les citoyens étaient avertis dès le matin de se tenir prêts. Et à quelle heure ce nouveau mouvement appellet-il à leur poste des représentans qui ignoraient qu'il dût y avoir une séance extraordinaire? Peu d'instans après la levée de la séance du matin, et tous les membres qui occupent un certain côté étaient déjà à leur poste; et se faisant un mérite d'une diligence dont l'objet n'était pas difficile à pénétrer, ils réclamaient à grands cris que la séance s'ouvrit sous les auspices des nombreux bataillons qui environnaient déjà la salle et en entouraient toutes les avenues, en demandant (ce que n'ignoraient pas leurs chefs) quel danger si pressant les rassemblait ainsi? La séance s'ouvre enfin des pétitionnaires sont introduits, et ce n'est pas comme les jours précédens, pour résister à l'oppression, pour réclamer la liberté de magistrats du peuple enlevés aux complots qu'ils dirigeaient si bien; ce n'est plus pour demander l'anéantissement d'une commission qui portait ombrage aux autorités constituées de Paris, c'est pour réclamer le décret d'accusation provoqué déja contre vingt-deux membres de la Convention.

Un premier décret avait, avec indignation, repoussé une dénonciation qui n'avait pour base aucuns faits, aucunes preuves: d'autres décrets arraches à la faiblesse, à la pusillanimité avaient, sans égard pour le premier, chargé le comité de salut public.de faire un rapport sur cette dénonciation. Le délai le

plus court, un délai de trois jours enfin, avait été indiqué à ce comité; et ces mesures, bien que dictées par la prudence qui cherche toujours la lumière, par la justice, qui ne prononce qu'avec certitude, paraissent des mesures contre-révolutionnaires!

Cependant, après quatre heures d'une discussion éclairée, les décrets qui ordonnaient le rapport préalable du comité de salut public sont maintenus. La Convention écarte sur tout cette abominable motion, qui tendait à ordonner au peuple de rester debout jusqu'après le rapport. Comme si ce n'était pas dénaturer le saint mot d'insurrection, que de la commander, que de l'organiser par une loi, comme si ce n'était pas dévouer à la fureur populaire, après l'avoir excitée, le corps des représentans, que de dire au peuple: Vos armes seules nous en imposent; la terreur obtiendra de nous ce que vous demanderiez en vain par des moyens légitimes; restez debout.... Qui ne frémirait à un pareil appel! qui ne sera révolté d'apprendre que c'est du seio même de la Convention qu'est parti ce cri séditieux qui, dans tout autre temps et sous le règne des lois, eût mérité à son auteur la juste vengeance de la société tout entière!

Mais ce triomphe de la vertu sur le crime devait bientôt disparaître. Le 2 juin devait éclairer des forfaits dont il était réservé à notre révolution de donner le déplorable exemple.

Ainsi, il fallait que, toutes les mesures adroitement concertées (1), une pétition audacieuse vint prescrire à la représenta

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(1) Dans la séance du samedi, 1er juin au soir, et au moment où l'on prononçait le décret de renvoi au comité, j'entendis (et plusieurs de mes collègues peuvent avoir entendu comme moi) un des pétitionnaires, ayant le ruban tricolore, dire: : «Demain les choses ne se passeront pas de cette manière. » Dans la matinée du dimanche, 2, des membres du conseil-général de la commune parcouraient toutes les rues de Paris en faisant une proclamation qui, depuis, a tapissé les murs, et dans laquelle ils annonçaient que « la patrie n'était plus en danger, que l'on était sûr d'avoir le soir le décret demandé depuis si >> long-temps, » et j'ajoute d'une manière aussi énergique.

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Dans tous les jours précédens, Marat et plusieurs autres de ses collègues.de. mandaient que le canon d'alarme fùt tiré. L'un de ces jours-là même, au moment où une partie de l'assemblée demandait la constitution, un membre, Legendre, dit et répéta : « que ce qui était à l'ordre du jour c'était le canon d'alarme. »

tion nationale de prononcer à l'instant même l'arrestation des vingt-deux membres dénoncés, de ces vingt-deux membres dont le sort devait demeurer suspendu jusqu'après le rapport du co

mité.

Il fallait qu'un nouveau décret qui, conséquent aux premiers, renvoyait au comité cette pétition, devînt l'affreux signal d'une journée où tout devait être méconnu, où la souveraineté du peuple, dégradée, avilie, devait offrir aux ennemis de la patrie ce succès que depuis quatre ans ne leur avaient pas procuré leurs impuissans efforts.

Il fallait que ce signal fût, au sein de la Convention, donné par ces mêmes hommes qui, déshonorant le nom de magistrats du peuple, appelaient, sous les étendards de la rebellion, les citoyens dont la loi doit sans cesse diriger les mouvemens.

Il fallait que ce signal, entendu des hommes qui garnissaient les tribunes, fût à l'instant répété par leurs gestes menaçans, par leurs sabres et leurs poignards agités dans les airs, et pár les horribles applaudissemens des femmes, dont tous les mouvemens appelaient le meurtre, et qui dévoraient par avance le sang prêt à couler.

pour

Il fallait qu'à ce signal, reporté à l'instant même aux extrémités de Paris, la salle fût investie de cent mille hommes, de toute l'artillerie, et des bataillons qui, levés aller dans la Vendée combattre les rebelles qui, partis pour remplir cette honorable mission, avaient été rappeies, venaient tourner contre la patrie elle-mème des armes mises dans leurs mains pour la défendre, et recevoir sous nos yeux mêmes l'infáme salaire de leur crime (1).

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Il fallait que toutes les avenues, toutes les portes, gardées par ces citoyens rebelles, fussent fermées aux membres que les besoins les plus pressans appelaient au-dehors (2); il fallait que ́ l'abjection à laquelle ils étaient réduits fùt portée au point qu'ils

(1) On distribuait à chacun des soldats enrôlés pour la Vendée, et qui étaien rangés les premiers autour de la salle, un assignat de cinq livres.

(2) Vers les deux heures et demie, le décret de renvoi au comité de salut pu

ne pussent faire un pas sans être escortés par des hommes armés, sans être reconduits par eux jusque dans l'enceinte même qui leur servait de prison (1).

Il fallait que les plaintes portées à la Convention elle-même, de cette horrible violation de tous les droits, fût accueillie par les rires des tribunes et par des applaudissemens qui ne laissaient pas ignorer la part qu'y prenaient les habitués de ces tribunes.

Il fallait que les décrets qui appelaient à la barre les dépositaires de la force publique fussent illusoires et vains, qu'aucun de ceux qui parurent à cette barre ne sût par qui avait été donnée une consigne si fidèlement observée, lorsque toutes celles qui partent de la Convention elle-même sont à chaque instant violées sous ses yeux.

Il fallait que les décrets qui ordonnaient à la force armée de laisser libre l'enceinte où le peuple délibère par ses représentans, fussent méprisés, et la Convention méconnue (2).

Il fallait que ce superbe élan (5), qui porta l'Assemblée tout

blic venait d'être rendu ; je sortis pour quelques instans, et, en rentrant, je vis l'un des vestibules du bas occupé par un nombre considérable d'hommes et de femmes, et un citoyen, monté sur les degrés de l'escalier, haranguant ce groupe et faisant prêter à tous les spectateurs et spectatrices le serment de ne laisser sortir de la salle qui que ce fût, à moins que le décret ne fût rendu. J'ai entendu ce serment et vu toutes les mains en l'air au moment où il fut prêté; il ne m'a pas fait reculer, je ne continuai pas moins ma route, et j'entrai dans la salle où je fus avec mes collègues prisonnier jusqu'à dix heures et demies du soir.

(1) Grégoire et quelques autres membres, voulant satisfaire aux besoins naturels, furent conduits hors de la salle, escortés de quatre fusiliers, gardés et ramenés de même jusqu'à la porte intérieure.

(2) Lorsque l'huissier porta à Henriot le décret qui ordonnait à la force armée de se retirer, voici la réponse de ce digne commandant :

« Dis à ton f.... président que je me f... de lui et de son assemblée, et que si » dans une heure elle ne me livre pas les vingt-deux membres, je la ferai fou» droyer. »

Je tiens de plusieurs citoyens, dignes de foi, qu'Henriot, passant dans les rangs et adressant la parole à chaque peloton, leur disait : « Il ne faut pas verser de » sang, mais il ne faut pas se retirer que les vingt-deux membres ne soient li

» vrés. »

(3) C'est sur les motions de Delacroix, de Barrère et de Danton lui-même, que l'assemblée arrêta de sortir tout entière, non pour faire dans la cour et dans le jardin une promenade destinée à prouver à toute la République la honteuse captivité de ses représentans, mais pour ordonner à la force armée de se retirer pour traverser (eût-elle dû périr tout entière) les haies de baïonnettes, faire le

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