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villiers, en défendant un pain de six liv. qu'il venait de se procurer pour lui et sa famille. Un autre a eu le bras coupé le même jour dans la rue Froid-Manteau. Une femme enceinte a été blessée; son enfant a été étouffé dans son sein. D'autres malheurs provenant de la même cause ont peut-être eu lieu sans parvenir à notre connaissance. Est-ce la disette des farines qui les a occasionnés? Non; car on a trouvé à l'arche Marion des voitures de pain qui ont été jetées à l'eau. On en a trouvé aux filets de SaintCloud, ainsi que de la viande et du lard.

« Les dernières chaleurs corrompaient en peu de temps la viande de boucherie. Les bouchers, pour s'en défaire à temps, pouvaient en diminuer le prix, au moins en faveur du pauvre. Presque tous ont préféré de la laisser corrompre et de la jeter ensuite.

› Un porteur d'eau est appelé par une pauvre femme. Arrivé avec son eau au cinquième étage, il demande combien elle paiera. - Combien la faites-vous payer?-10 sous. - Je n'en possède que 6. On se débat, et l'infâme porteur d'eau, voulant s'éviter la peine de redescendre ses seaux pleins, inonde le réduit dé l'infortunée en les renversant sur son plancher.

. On connaît le trait de ceux de la rue de l'Arbre-Sec d'autres s'en mêlent aussi, et trouvent très-plaisant de casser les cruches des citoyens.

› Au marché Saint-Martin, une marchande de fromages, qui valaient trois sous, et qui ont monté jusqu'à six, affecte de s'asseoir sur son panier, d'annoncer ses fromages au prix de dix sous en numéraire.

› Ces détails ne sont point aussi puériles, aussi indifférens qu'on pourrait le présumer. Quand il s'agit des subsistances, rien n'est indifférent. En rapprochant ces faits, on découvre dans cette manœuvre perfide, le dessein bien prononcé de jeter de la défaveur sur les magistrats du peuple, d'affamer ce même peuple, de le punir de sa tranquillité, de sa constance dans les bons principes; de faire diversion à l'intérêt puissant qu'inspire en cet instant la détermination que prendra la Convention na

tionale sur un général soupçonné de perfidie (Custine); de susciter des mouvemens, et d'empêcher la fête du 10 août.

› Des scélérats, que rien ne corrige, disent qu'il faut un coup avant le 10; d'autres plus adroits, mais non moins dangereux, şe contentent d'en répandre le bruit, en feignant de craindre qu'il ne se réalise, et cela dans le but de l'exciter.

› Les coquins en auront encore une fois menti. Le peuple restera immobile, les magistrats veilleront; les représentans agiront; les sans-culottes feront trembler leurs lâches ennemis; ils rentreront dans la poussière, la fête aura lieu, ils n'y seront pas et ça ira!»

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Des députés de la section Bon-Conseil signalèrent le 29 juillet au conseil-général de la Commune, l'une des causes de la disette. Ils se plaignirent de ce que Paris approvisionnait les environs à plus de 20 lieues de rayon; de ce que les maraichers, les marchandes de lait et de légumes, enlevaient journellement une grande quantité de pain. La section de l'Homme armé vint demander ensuite que le conseil-général prit des mesures pour empêcher qu'il ne sortit de Paris des objets de première nécessité. On délibéra si les barrières seraient fermées, ou si on devait se contenter d'y établir une garde. La décision fut ajournée au 1er août, où, pour des motifs de sûreté générale, la Convention décréta la fermeture des barrières.

La véritable source de la disette et du renchérissement de toutes les denrées nécessaires à la vie, était dans la baisse des assignats, produite par l'agiotage et par les accaparemens. Les agioteurs, maîtres du numéraire, commençaient par exploiter toutes les mauvaises nouvelles, tout ce qui était capable d'inspirer des doutes sur la stabilité de la révolution, et ils dépréciaient ainsi la monnaie qu'elle avait créée, et dont la valeur reposait uniquement sur une base morale, sur la confiance que l'on accorderait au pouvoir conventionnel. Lorsqu'ils avaient opéré une baisse sur les assignats, ils en achetaient aussitôt, et, courant de la bourse aux marchés, avant que le cours du change y fût connu, ils accaparaient les marchandises, faisaient la

hausse et revendaient. Dans ce cercle où tournait une foule d'hommes d'une immoralité devenue proverbiale, et parmi lesquels il faut compter les membres de la Convention que nous avons désignés plus haut, les malheurs de la France donnaient et accéléraient le mouvement. Le résultat pour le peuple, c'est que sa misère croissait en raison même des revers essuyés par les armées de la République; pour les agioteurs, la conséquence était la possession de tout le numéraire et de toutes les marchandises; pour le gourvernement, la ruine de son crédit, et la démonétisation de son papier. On comprendra facilement après cela la haine qu'avaient excitée dans les masses les agens de change, les marchands d'argent, les accapareurs et les banquiers. Il était temps de prendre à l'égard de cette peste publique des mesures sévères. Personne ne le demandait, au sein de la Convention, avec plus de colère apparente que les co-partageans des bénéfices de tous ces joueurs de bourse. Ils coloraient ainsi leur complicité, mesurant leurs déclamations, en sens contraire, aux soupçons auxquels les exposaient les scandales de leur vie privée et les liaisons qu'ils entretenaient. Delaunay d'Angers avait fait spontanément, le 9 juillet, un très-long discours pour dévoiler les manoeuvres de l'agiotage; ce sujet était le thème habituel des motions de Chabot; or, l'un employait le produit de ces manoeuvres à entretenir l'actrice Descoings; l'autre vivait en intimité avec les banquiers Frey, dont il ne tarda pas à épouser la sœur.

Ce fut le 26 juillet que la Convention se décida à frapper cette tourbe de spéculateurs. Son décret contre les accaparemens arrêta l'agiotage dans l'un des points principaux du cercle qu'il parcourait; nous transcrivons ce décret :

<< La Convention nationale, considérant tous les maux que les accapareurs font à la société par des spéculations meurtrières sur les plus pressans besoins de la vie et sur la misère publique, décrète ce qui suit :

> ART. I. L'accaparement est un crime capital.

> II. Sont déclarés coupables d'accaparement ceux qui dérobent

à la circulation des marchandises ou denrées de première nécessité, qu'ils altèrent et tiennent enfermées dans un lieu quelconqué, sans les mettre en vente journellement et publiquement.

> III. Sont également déclarés accapareurs ceux qui font périr ou laissent périr volontairement les denrées et marchandises de première nécessité.

» IV. Les marchandises de première nécessité sont, le pain, la viande, le vin, les grains, farines, légumes, fruits, le beurre, le vinaigre, le cidre, l'eau-de-vie, le charbon, le suif, le bois, l'huile, la soude, le savon, le sel, les viandes et poissons secs, fumés, salés ou marinés, le miel; le sucre, le papier, le chanvre, les laines, ouvrées et non ouvrées, les cuirs, le fer et l'acier, le cuivre, les draps, la toile, et généralement toutes les étoffes, ainsi que les matières premières qui servent à leur fabrication, les soieries exceptées.

› V. Pendant les huit jours qui suivront la proclamation de la présente loi, ceux qui tiennent en dépôt, en quelque lieu que ce soit de la République, quelques-unes des marchandises ou denrées désignées dans l'article précédent, seront tenus d'en faire la déclaration à la municipalité ou section dans laquelle sera situé le dépôt desdites denrées ou marchandises; la municipalité ou section en fera vérifier l'existence, ainsi que la nature et la quantité des objets qui y sont contenus, par un commissaire qu'elle nommera à cet effet; la municipalité ou section étant autorisée à lui attribuer une indemnité relative aux opérations dont il sera chargé, laquelle indemnité sera fixée par une délibération prise dans une assemblée générale de la municipalité ou section.

> VI. La vérification étant finie, le propriétaire des denrées ou marchandises déclarera au commissaire, sur l'interpellation qui lui en sera faite et consignée par écrit, s'il veut mettre lesdites denrées ou marchandises en vente, à petits lots et à tout venant, trois jours au plus tard après sa déclaration; s'il y consent, la vente sera effectuée de cette manière sans interruption et sans

délai, sous l'inspection d'un commissaire nommé par la municipalité ou section.

› VII. Si le propriétaire ne veut pas ou ne peut pas effectuer ladite vente, il sera tenu de remettre à la municipalité ou section copie des factures ou marchés relatifs aux marchandises vérifiées existantes dans le dépôt; la municipalité ou section lui en passera reconnaissance, et chargera de suite un commissaire d'en opérer la vente, suivant le mode ci-dessus indiqué, en fixant les prix de manière que le propriétaire obtienne, s'il est possible, un bénéfice commercial d'après les factures communiquées; cependant si le haut prix des factures rendait ce bénéfice impossible, la vente n'en aurait pas moins lieu sans interruption au prix courant desdites marchandises; elle aurait lieu de la même manière, si le propriétaire ne pouvait livrer aucune facture. Les sommes résultantes du produit de cette vente lui seront remises dès qu'elle sera terminée, les frais qu'elle aura occasionnés étant préalablement retenus sur ledit produit.

› VIII. Huit jours après la publication et proclamation de la présente loi, ceux qui n'auront pas fait les déclarations qu'elle prescrit, seront réputés accapareurs, et comme tels, punis de mort; leurs biens seront confisqués, et les denrées ou marchandises qui en feront partie, seront mises en vente, ainsi qu'il est indiqué dans les articles précédens.

IX. Seront punis de mort également ceux qui seront convaincus d'avoir fait de fausses déclarations ou de s'être prêtés à des suppositions de noms, de personnes ou de propriétés, relativement aux entrepôts et marchandises. Les fonctionnaires publics, ainsi que les commissaires nommés pour suivre les ventes, qui seraient convaincus d'avoir abusé de leurs fonctions pour favoriser les accapareurs, seront aussi punis de mort.

› X. Les négocians qui tiennent des marchandises en gros, sous corde, en balle ou en tonneau, et les marchands débiteurs en détail connus pour avoir des magasins, boutiques ou entrepôts ouverts journellement aux achetcurs, seront tenus, huit jours après la publication de la présente loi, de mettre à l'extérieur

T. XXVIII.

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