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échouèrent contre l'indifférence de ces prétendus insurgés. Il ne se présenta que dix-sept hommes pour marcher sur Paris. Les autres villes (moins Vire qui en fournit une vingtaine), s'y refusèrent sans détour. C'est alors que Pétion conçut le projet de brûler Caen, et de faire courir le bruit que c'était l'ouvrage de la Montagne. Le désespoir devait tout entraîner. Il se confia pour ce beau coup à mon aide-de-camp Saint-Front, en lui recommandant le plus profond secret, surtout envers le général, qui s'est refusé de mettre la guillotine en permanence. Saint-Front promet, et me dit tout. Je lui enjoins de s'y prêter, d'acheter le goudron, etc., etc. Quand l'affaire paraît en bon train, j'arrive, je trouve Pétion et quelques autres; je parais effrayé d'un rapport qu'on vient de me faire; si le peuple en entend parler, vous serez tous égorgés, dévorés comme Belzunze, à Bayeux........—Qu'est-ce? -Je leur dis.... - L'on jette les hauts cris, l'on prie en grace de n'en point parler; ce sont les agens de la Montagne qui répandent cette atroce calomnie. Je suis de cet avis, et le projet avorte. Quelques jours après m'arrivent cinq ou six cents Bretons, tous découragés de ne pas trouver d'armée; n'ayant personne d'autres, j'envoye Puisaye à Évreux pour y établir les magasins que j'y faisais filer. Puisaye se croit général, veut m'enlever une victoire, et marche contre la petite armée parisienne. Ces deux armées font chacune volte-face, et chacune se sauve de son côté. Voilà la bataille de Vernon. Les mille à douze cents hommes de Puisaye fuient jusqu'à Lisieux. J'y cours; mais rien ne peut les remettre. Danton y faisait répandre des milliers d'assignats. Tous désertent; et moi, je me cache à Bayeux, jusqu'après le 9 thermidor. ›

Si le fédéralisme de l'Ouest n'inspirait plus d'inquiétudes, il n'en était pas de mème des rebelles Vendéens. Auprès de Saumur, qui avait été repris par l'armée de Biron, les troupes républicaines venaient d'essuyer une entière défaite. Une lettre des commissaires Thureau et Bourbotte, une autre des administrateurs du département d'Indre-et-Loire, et un rapport-verbal du général Dupuy avaient appris de fâcheux détails. Là encore une

terreur panique avait dispersé l'armée. Les soldats avaient jeté leurs sacs, leurs armes, leurs habits; la moitié de l'artillerie était tombée aux mains des royalistes. Barrère fit cette communication à la séance du 26 juillet, et il fut décrété, sur sa proposition, qu'il serait formé vingt-quatre compagnies de pionniers pour les opérations d'un nouveau système de guerre, ainsi justifié par le rapporteur :

< Votre armée ressemble à celle d'un roi de Perse: elle a cent soixante voitures de bagages; tandis que les brigands marchent avec leurs armes et un morceau de pain noir dans leur sac. Vos généraux conservent les formes de l'ancien régime: l'ordre renferme souvent des noms de saints ou d'hommes nouveaux qui nourrissent le fanatisme et l'esprit de parti; tandis que l'armée demande qu'on lui rappelle les noms des anciens et vertueux républicains.

› Il est une vérité qui est actuellement bien reconnue, c'est que jamais vous ne ferez la guerre avec avantage aux rebelles, tant que vous ne vous rapprocherez pas de leur manière de la faire; ils se cachent dans les bois, dans les haies, dans les ravins. Faites la récolte des brigands; portez dans leurs repaires le feu et des travailleurs qui aplanissent le terrain. ›

Comment avec une armée de soixante mille hommes les républicains étaient-ils presque toujours battus par les royalistes? C'est qu'ils agissaient dans le plus grand désordre, sans unité de plans, sans aucune des conditions indispensables pour de bonnes opérations militaires, qui doivent être, en effet, ou confiées à un seul général, ou concertées entre plusieurs, et ordonnées pour le même but. Il y avait des corps francs qui ne reconnaissaient que leur chef immédiat, entre autres la légion germanique formée par Westermann, et qui n'obeissait qu'à lui. Cet homme, si souvent attaqué par Marat comme voleur, avait des protecteurs puissans au sein de la Convention. Après sa déroute à Châtillon, Goupilleau (de Fontenay) et Bourdon (de l'Oise), l'avaient dénoncé (10 juillet), pour fait de pillage, et ils avaient demandé que sa légion fût organisée comme les autres

troupes de la république. Un décret le manda à la barre. Le 26 juillet, Legendre déclara à la Convention qu'il avait assisté à l'interrogatoire que le comité de sûreté générale avait fait subir à Westermann, et qu'il n'avait rien entendu qui le pût faire présumer coupable. Il demanda que le rapport qui le concernait fût fait le lendemain. Lecointe Puyraveau appuya cette proposition. Le 30, Julien de Toulouse, au nom du comité de sûreté générale, annonça qu'on n'avait point trouvé le caractère d'une trahison ouverte dans la conduite de Westermann, et il le fit traduire devant un conseil de guerre, au lieu de l'envoyer au tribunal révolutionnaire.

Or, les hommes qui se prononçaient ainsi sur le compte de Westermann étaient ses camarades de débauche, et ils se gardaient bien de blamer ses vols et ses pillages, eux qui mettaient à profit leur position au comité de sûreté générale, pour ourdir les plus infames friponneries. Julien de Toulouse, Fabre d'Églantine, Chabot, Danton, Delaunay d'Angers, agiotaient sous main, pendant qu'ils déclamaient à la tribune contre l'agiotage. Déjà la fameuse intrigue dont le banquier de Batz sera le prêtenom, avait reçu un commencement d'exécution. Delaunay d'Angers avait fait décréter le 26 juillet, que les scellés seraient mis sur les magasins de la compagnie des Indes. On voulait faire baisser les actions de cette compagnie, les acheter aussitôt, et puis obtenir quelque décret favorable qui déterminât une hausse dont on se partagerait les bénéfices. C'est pour cela que Julien de Toulouse revint à la charge le 25 août, par une motion tendant à faire examiner la conduite de la compagnie des Indes, qu'il accusait d'avoir prêté des sommes énormes <au dernier tyran, pour opérer la contre-révolution. Le dénouement de cette affaire sera la falsification d'un décret par Fabre d'Églan tine, et nous trouverons un jour tous ces spéculateurs sur les bancs du tribunal révolutionnaire, et Westermann avec eux. Un autre officier, moins coupable peut-être que Westermann, mais accusé aussi d'avoir été emprisonné pour vol avant la révolution, était ce Rossignoi, arrêté également pour pillage, et qui du grade

de colonel, passa, par un décret du 27 juillet, à celui de général en chef de l'armée de la Rochelle.

Paris était dans une agitation croissante. On crut un moment que la peste était à l'Hôtel-Dieu. Ce bruit commençait à se répandre, et il allait achever de porter la terreur au sein d'une population déjà en proie à la disette, et qui se voyait chaque jour à la veille d'une véritable famine. Il fallut rassurer officiellement le peuple. Richoud monta le 16 juillet à la tribune de la Convention, pour démentir la nouvelle de la peste, et cependant l'alarme ne cessa pas entièrement. Quelques jours après toute la famille d'un boucher étant morte subitement, la commune fut obligée d'éclaircir cet événement par une enquête afin d'ôter des esprits la crainte renaissante de quelque horrible contagion. Cette rumeur avait éclaté en même temps que les dernières tentatives des deux ou trois sections qui tenaient pour la Gironde même elle leur fut imputée comme manœuvre de désordre, et ce ne fut pas la moins puissante des copsidérations par lesquelles on réussit à en démontrer la fausseté. Au reste, les querelles fédéralistes, ce qu'on l'on appelait alors la queue du 31 mai, commençaient à s'apaiser dans la capitale. La section de la Fraternité montrait seule de la persistance. Elle vint à la Commune le 15 juillet demander que les scellés apposés par l'administration de police chez le citoyen Mouchette, fussent levés, et que ce citoyen, qui avait été inculpé en plein conseil-général, eût le droit de s'y justifier. Ce Mouchette était lui-même membre du conseil, élu par la section de la Fraternité, qui l'avait envoyé dans l'Eure pour s'entendre avec les révoltés de Normandie. La Commune avait lancé contre lui un mandat d'amener; il obtint seulement de déduire les raisons qui l'avaient déterminé à ne pas obéir à ce mandat. Il allégua que toute sa section, voyant qu'il n'avait été inculpé qu'à cause de la mission dont elle l'avait chargé, s'était crue inculpée elle-même, et l'avait empêché de se constituer prisonnier. Il voulut ensuite entreprendre sa justification, mais le conseil passa à l'ordre du jour, et, comme il sortait avec sa section, il fut arrêté sur le perron de l'Hôtel-de-Ville.

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(Journal de la Montagne, no 46.) Le 19 juillet, cette section rentra tout-à-fait dans l'ordre. Elle prit deux arrêtés « pour constater d'une manière authentique sa rétractation, et son retour aux vrais principes et à la cause commune. › ( Même Journal, no 51.)

Quelques mouvemens semblables à ceux qui avaient eu lieu à la fin de juin, se manifestèrent le 11 juillet. Ce jour-là, à la séance de la Commune, Chaumette annonça qu'il y avait à l'instant même des troubles dans la rue Saint-Denis et dans celle des Lombards. Il lut ensuite une lettre du maire de Strasbourg au maire de Paris, dans laquelle ce dernier était prévenu que du 9 au 14 juillet, il y aurait des pillages dans la capitale; et que les malveillans profiteraient du moment du recrutement pour exciter des divisions. La discussion était engagée sur les moyens à prendre pour dissiper les attroupemens, lorsqu'un membre instruisit le conseil que l'émeute avait cessé, et qu'il n'avait été porté aucune atteinte aux propriétés. C'était un épicier en gros qui avait fait charger une petite voiture de savon, qu'il avait vendue à un détaillant. Des blanchisseuses, poussées, dit le Journal de la Montagne, par des malveillans, demandaient que ce savon leur fût délivré à bas prix; les unes le voulaient à 40 sons, les autres pour 50; le savon fut mis en lieu de sûreté. Remarquons en passant l'usage que l'on faisait à cette époque du mot malveillant: à la tribune de la Convention, à la Commune, dans les clubs et dans la presse, il avait remplacé toute autre dénomination pour désigner les contre-révolutionnaires de l'intérieur.

Cette légère émeute pour du savon était née à l'improviste et de l'occasion offerte. Les sérieuses préoccupations de la classe pauvre l'appelaient maintenant ailleurs. Elle assiégeait, pour avoir du pain, la boutique des boulangers, à la porte desquels la Commune avait été obligée de placer deux fusiliers; encore malgré cette précaution avait-on à déplorer à toute heure quelque nouvel accident. Nous lisons dans le Journal de la Montagne, n° 55 (mercredi 23 juillet): La presse continue aux portes des boulangers. Un citoyen a été tué dimanche 21, rue des Gra

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