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la Convention. Un député de Marseille s'opposa vivement à ce que cette démarche fùt accueillie. Le député du Doubs, en rendant justice au sentimens du député de Marseille, pria l'assemblée de considérer si c'était une lâcheté de prendre un parti adopté déjà par la très-grande majorité des départemens. » Ces débats occupèrent toute la séance du 22, et n'aboutirent à aucune conclusion formelle. Un député du Calvados, répondant aux députés du Jura, de l'Ain et du Doubs, dit : « Vous nous répondrez du sang qui peut se verser. Dubois-Crancé nous peint comme des rebelles; vous connaissez nos principes; que vos départemens se réunissent à nous, et nous empêchons la guerre civile. Aux armes, citoyens!» - Toute l'assemblée répéta ce cri. Biroteau fut le dernier orateur entendu : « On vient vous dire, s'écria-t-il, qu'en acceptant la Constitution on pourrait forcer la Convention actuelle à quitter la place. Soit: eh bien ! je vous le demande, on va convoquer les assemblées primaires; qui seront ceux qui vont former la nouvelle Convention? Si vous faiblissez, ce ne sera pas, vous, hommes probes et vrais républicains; ce sera les Chaumette, les Hassenfratz, les Gusman, tous les Jacobins épars sur la surface de la France; et vous prétendez être heureux ! Voyez l'épuisement de nos finances, réfléchissez aux maux dont nous accablerait le triomphe de ces superbes proconsuls, et à l'impossibilité d'avoir, au milieu d'élections disputées, une Convention mieux composée. Je conclus en demandant que l'assemblée, persistant dans son arrêté du 4 juillet, envoie trois ou quatre mille hommes pour forcer Dubois-Crancé à diviser ses forces, et faciliter la jonction des Marseillais. (Journal de

Lyon, nos 115 et 116.)

Pendant que la commission populaire hésitait à revenir sur ses pas, le directoire du département remettait entre les mains des représentans du peuple Brunel et Rouhier, un arrêté par lequel il se rétractait de tous ceux qu'il avait pris, et notamment de celui qui convoquait les assemblées primaires pour forme: une commission départementale. Cette rétractation, signée par Sautallier, Belleville, Couturier, Delacroix, Fasson, Richard ainé,

Migney, Gilibert et Morillon, parvint, le 28 juillet, à la Convention nationale. Ce même message annonçait que Brunel, Rouhier, Derbez et le commissaire Buonarotti, avaient recouvré leur liberté.

Après cet arrêté des administrateurs, la commission populaire se posa ainsi la question: Trouver les moyens de concilier la majesté et la dignité de l'assemblée avec la position dans laquelle elle se trouve. » Afin d'y parvenir, elle fit une proclamation où elle rejetait sur les administrateurs l'initiative de tout ce qui avait été fait. Interprétant ensuite son arrêté du 4 juillet, elle déclarait : Qu'elle n'avait eu pour objet que la réunion d'une représentation nationale libre et entière; que la liberté ainsi que l'intégralité de la Convention paraissaient rétablies; que, d'après le nouvel arrêté des corps administratifs, la commission se ralliait et invitait tous les citoyens du département de Rhône-et-Loire à se rallier à la Convention nationale, comme le point central de la République, une et indivisible, en déclarant néanmoins, › 1o Que le département, ayant été calomnié sur les principes qui dirigeaient les commissaires, et étant opprimé sous le poids des décrets surpris à la Convention sur de faux rapports, ils restent, conformément à la loi, en état de résistance à l'oppression jusqu'au rapport des décrets rendus contre le département de Rhône-et-Loire et la ville de Lyon; 2° qu'il met sous la sauvegarde de l'honneur et de la loyauté du peuple de Rhône-et-Loire, les personnes et les propriétés des citoyens de ce département. › (Journal de Lyon, no 118.)

Cette proclamation est du jeudi 25 juillet. Le 50, les sections convoquées pour l'acceptation de l'acte constitutionnel, avaient émis un vœu à peu près favorable, et désormais la question lyonnaise semblait réduite à ces termes : obéissance à la Convention et à tous ses décrets, excepté à ceux rendus spécialement contre le département de Rhône-et-Loire. Sans doute il y avait encore là une cause infaillible de guerre entre la Convention et cette ville, et les Girondins de Lyon le savaient si bien qu'ils ne négligeaient rien pour une vigoureuse défense. Mais ce n'était pas

tout: les concessions du département et de la commission po. pulaire étaient loin d'être sanctionnées par les bourgeois, et en supposant que cette fausse diplomatie eût amené un semblant de paix, il aurait fallu reprendre aussitôt les armes. Voici comment le Journal de Lyon, no 119, parle de ces concessions: « On dit que la transaction fameuse, dont on ne connaît pas encore les articles, s'est faite mardi derpier (23 juillet), aux Brotteaux, dans un dîner splendide où se trouvaient les représentans Rouhier, Brunel et autres personnages; on observe que le procureur de la commue allait voir souvent, à Pierre-Scize, le député Derbez; on observe encore qu'il reçoit plus familièrement à présent l'accolade civique de ces Montagnards, dégouttans de sang, et couverts d'assignats; on observe que c'est à la sortie du diner des Brotteaux qu'on entra en pourparler à la commune, etc., etc.... Oh! comme un dîner des Brotteaux arrange les querelles! Les sections qui n'ont pas assisté au dîner n'en ont pas approuvé le résultat. L'acceptation de la Constitution n'était pas non plus ni entière ni bien sincère; on se faisait un grand mérite d'adhérer à un ouvrage « vicieux et ébauché, auquel d'ailleurs une partie des sections n'avait donné qu'un suffrage restreint, et qui avait été rejeté par quelques-unes. (Journal de Lyon, n. CCXXIII et CCXXIV.)

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Les affaires du Calvados furent terminées le 29 juillet. Après cinquante jours de détention, les députés Romme et Prieur étaient enfin mis en liberté. On avait délibéré sur leur élargissement pendant plus de huit jours. Les corps administratifs voulaient que les deux députés quittassent leur prison, de nuit et furtivement; ils repoussèrent cette proposition, et furent élargis avec la plus grande solennité; on tira le canon; la garde nationale était sous les armes. Les autorités constituées du Calvados adressèrent à la Convention la lettre suivante, datée du 50 juillet:

< Nous avons reconnu notre erreur, et nous vous l'avons avouée de bonne foi. Aujourd'hui tout est rentré dans l'ordre. Il n'existe plus de force départementale. Vos collègues viennent d'être remis en liberté. Déjà nos assemblées primaires délibèrent sur la

Constitution; elle sera sans doute acceptée à l'unanimité. Partout le peuple respire l'amour de la liberté, et sent le besoin de se rallier à l'autorité suprême de la Convention nationale : entraînés par le premier moment d'effervescence, les fonctionnaires publics sont rentrés dans les limites de leur devoir. Nous espérons que ces preuves de civisme vous engageront à accueillir favora blement notre rétractation. ›

Le 2 août, Carrier, représentant, en mission près l'armée des côtes de Cherbourg, entra dans la ville de Caen, d'où avaient fui Buzot et ses amis. De là, il écrivit à la Convention, le même jour, que Fourny, général de la division fédéraliste de Coutances, s'était brûlé la cervelle; que la femme de Pétion et celle d'un autre fugitif avaient été arrêtées, et que la Constitution était acceptée à l'unanimité.

C'est ici le lieu où nous devons transcrire la notice du général Wimpfen sur les conspirateurs de Caen. Nous empruntons ce document à Toulongeon, t. 11 de son histoire, p. 62, des pièces justificatives; il est intitulé: Fragment d'une notice du général W.

« Les Girondins marquans qui sont venus dans le Calvados, après la journée du 31 mai, vous sont connus aussi bien qu'à moi. Pétion, Buzot, Gorsas, Louvet, Barbaroux, Guadet, Salles, Valady (marquis, ancien officier des gardes-françaises), Duchatel (ci-devant), Bergoeing; ils étaient au nombre de vingtsept. Mais ceux que je ne nomme pas n'ont rien d'intéressant pour la postérité; ils ressemblent à tout le monde, et pouvaient appartenir à un parti aussi bien qu'à un autre; ce sont des circonstances, des rencontres, des hasards de société qui les ont placés. Pétion et Buzot avaient un but déterminé; une nouvelle dynastie sous laquelle ils eussent été les maîtres. Il serait possible que Pitt et Cobourg, que la Montagne et le Marais s'entrejetaient sans cesse, ne fussent pas des personnages étrangers ou indifférens aux deux vétérans de la révolution. Il arriva un jour à Pétion de dire au club des Cabarots de Caen, qu'une preuve que la Montagne voulait rétablir la royauté, c'était qu'elle laissait vivre petit dauphin, dont la figure et les charmes étaient des crimes

le

d'état dignes de mort..... Gorsas, au contraire, penchait pour le petit dauphin; mais bien entendu que l'on n'en viendrait là qu'à la dernière extrémité. Louvet, Barbaroux, Guadet, eussent transigé, si l'on eût voulu leur céder la partie de la France méridionale, de l'autre côté de la Loire, pour en faire une république à leur mode. Ils comptaient beaucoup sur les petites puissances de l'Italie, avec lesquelles ils feraient des traités offensifs et défensifs : ce qui vous prouve combien ces messieurs étaient hommes d'état. Salles faisait des brochures que ses collègues appelaient des Provinciales, le comparant ainsi à Pascal, et cela lui faisait tant de plaisir, qu'il ne doutait plus de l'effet de ses brochures. C'étaient des batteries qui feraient écrouler la colossale Montagne. Valady s'était fait révolutionnaire par haine de M. Duchâtelet; il eût bien voulu découvrir un moyen de se retirer de l'abîme. Duchâtel était une ame douce qui s'est laissé entraîner, comme tant d'autres, par la chimère d'une régénération. Comme il ne s'était jamais souillé d'une mauvaise action, il eût donné sa vie pour le rétablissement de la monarchie. Le franc et loyal Kervélégan n'était d'aucun parti que de celui des indignés, de tout ce qu'ils avaient vu faire. Bergoeing paraissait républicain enragé, et son caractère appartenait à toutes les circonstances. Le crève-cœur de tous était le triomphe de la Montagne, et leur ambition toujours saillante, la vengeance. Excepté Duchâtel, il n'en est pas un seul qui ne se fût enrôlé dans le parti victorieux, s'il l'avait pu; ce que Louvet et Bergoeing ont bien prouvé après leur retour. (Ici vient le passage, plus haut transcrit, relatif à Charlotte Corday.)

J'avais logé tous ces réfugiés à l'Intendance, parce que tous réunis, je pouvais mieux les faire observer. Je m'aperçus bientôt qu'il ne régnait pas entre eux une parfaite intelligence ; que Pétion et Buzot avaient des secrets, et que tous, sans exception, se défiaient de Valady et de Duchâtel. Voyant que l'insurrection ne gagnait pas, nous convinmes de faire prendre les armes, comme pour une revue, aux huit bataillons des gardes nationales de Caen. Ils s'assemblèrent sur le cours, où toutes les éloquences

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