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tion nationale. Un grand nombre de membres de cette assemblée a conservé cette liberté au milieu des orages qui grondaient autour d'eux, et leurs opinions, que la crainte n'enchaînait pas, ont souvent percé à travers les vociférations, les menaces, et les excès destinés à étouffer leur voix ; ils ont prouvé que, contens de faire leur devoir, dédaignant des applaudissemens toujours dictés aux spectateurs, ils étaient heureux d'éclairer et de ramener aux principes.

Je ne parlerai pas non plus de cette violence exercée dans l'enceinte même des bâtimens de la Convention et aux portes deş tribunes destinées aux citoyens (1); violence qui, sous le prétexte de maintenir et de conserver l'égalité, la rompait à l'égard des citoyens des départemens, auxquels était affectée une trèsfaible partie de ces tribunes: violence qui, sous le prétexte d'écarter des séances de prétendus aristocrates dont on feignait de redouter l'influence, privait du droit d'y assister, des citoyens à qui leurs affaires ne permettent pas d'assiéger des tribunes occupées de très-bonne heure, et tous les jours par les mêmes individus.

De plus grands attentats doivent nous occuper, et si, en les retraçant, j'indique quelle est leur cause et leur objet, on jugera de quelle étendue de liberté la Convention nationale peut se flatter de jouir, dans une ville qui a pu en offrir, non pas un jour seulement, le spectacle, mais dans laquelle ils se sont repro

(1) La police était faite à la porte des tribunes par des femmes; elles prenaient des mains des citoyens les billets signés du président, les déchiraient, sans respect pour les signes qui y étaient empreints. La sentinelle, interpellée de faire son devoir, gardait le silence; et le moindre murmure contre cette violation de toutes les lois eût mérité aux citoyens des injures, des grossièretés et peut-être plus. On se rappelle ce fait un citoyen, entré dans une de ces tribunes, en fut arraché par une femme sous les yeux de toute l'assemblée qui ne put faire punir un acte aussi audacieux. On se rappelle le traitement qu'a éprouvé une citoyenne... Veut-on savoir qui dirigeait ces femmes? qu'on lise l'écrit qui a pour titre : «Opi>nion du citoyen Brival, député de la Corrèze, sur un des points les plus essen» tiels de la constitution, qui se trouve violé par le décret portant qu'il y aura des tribunes particulières pour les départemens, et que les billets d'entrée seront > à la disposition des députés. »

duits pendant près de huit jours entiers, et ont duré pendant trois, sans presque aucune interruption.

Ainsi, le 27 mai, le tocsin sonné, la générale battue pendant la nuit, ont appelé à leur poste les membres fatigués de la séance longue et orageuse de la veille (1), ont assemblé autour du temple des lois une force redoutable; et nous avons vu, et tout Paris avec nous, a vu les avenues de la salle obstruées par une foule immense de citoyens, de femmes qui, sous les yeux de ceux que la loi armait pour protéger la liberté de tous, attentaient à cette liberté, en retenant captifs ceux auxquels ils dictaient leurs lois, en ne laissant entrevoir la faculté de sortir que lorsque serait rendu un décret dicté par la minorité, et qu'il fallait appuyer de toute la force d'une troupe en insurrection.

Et quel était l'objet de ce mouvement extraordinaire, bien propre à répandre l'allarme dans Paris et dans les départemens? La résistance à l'oppression! Un magistrat du peuple avait été arrêté la nuit, enlevé à ses fonctions. Un président et un secrétaire de section avaient éprouvé le même sort : la commission des Douze, nouvellement formée, avait ordonné ces arrestations, et il fallait, pour rendre justice au peuple, pour éviter les plus affreux désordres, rendre à l'instant même la liberté aux détenus, et prononcer la cassation de la commission des Douze; on allait même jusqu'à demander l'arrestation des membres qui composaient cette commission; point abandonné ce jour-là, pour se restreindre aux deux premiers.

Quelques réflexions fort simples vont éclairer sur ce récit. Ces réflexions doivent paraître d'autant moins suspectes, que mon opinion manifestée plusieurs fois à cette première époque des évenemens que je parcours, ne différait qu'en la forme des demandes des citoyens de Paris.

J'étais convaincu que s'il avait pu être utile de former une commission, pour éclairer la conduite de quelques fonction

(4) La séance de la veille avait été levée à huit heures du soir, et il était six heures du matin lorsque fut ouverte la séance qui ne s'ouvre ordinairement qu'à dix heures.

naires publics suspectés et dénoncés comme coupables de complots tendant à dissoudre la Convention nationale, on avait porté trop loin l'attribution donnée à cette commission; cette attribution trop étendue ne m'avait paru être dans l'esprit ni du comité qui en avait proposé l'établissement, ni de la très-grande majorité des membres qui l'avaient adopté; et au moment où j'entendis parler de ces arrestations, je les ai improuvées avec d'autant plus de force que je m'étais persuadé que le décret créateur de la commission ne lui donnait d'autre droit que celui d'examiner la conduite des fonctionnaires dénoncés, et d'en faire son rapport.

Frappé de cette idée, que les arrestations faites étaient illégales, puisqu'elles l'avaient été la nuit, j'ai voté sans scrupule, pour l'élargissement des détenus et la suppression de la commission, sauf à en établir une autre qui ne pût porter aucun ombrage à la liberté publique et individuelle (!).

Mais était-ce par une révolte contre les représentans du peuple entier qu'il fallait provoquer la justice qu'on demandait? Étaitce par un attentat sacrilége à la liberté de la représentation nationale qu'il fallait demander vengeance de ce qu'on appelait un attentat à la liberté individuelle?

Et que soutenaient ceux-là même qui, dans l'assemblée, paraissaient les plus opposés au parti que j'ai adopté avec beaucoup de mes collègues? Ils prétendaient qu'avant de juger si la commission s'était permis d'attenter à la liberté de quelques citoyens, qu'avant d'en prononcer la suppression, il fallait que cette commission fût entendue, il fallait que l'assemblée connût les

(1) Ce qui paraîtrait inconcevable, si tout ne l'était pas dans cette circonstance, c'est qu'on n'ait pas formé une nouvelle commission, quoiqu'on fùt bien persuadé qu'il existait des complots dont il était important de suivre les fils que tenait déjà la commission des Douze. Mais ces complots qui ont éclaté depuis étaient concertés avec les meneurs de la Montagne, et on ne voulait pas qu'ils fussent découverts et arrêtés. Ce qui paraitra non moins inconcevable, c'est que le comité de salut public, qui lui-mème avait proposé l'établissement de cette commission, qui avait connaissance des complots et avait annoncé la nécessité de les poursuivre, ait depuis gardé le plus profond, je dirai même le plus coupable si lence.

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motifs qui avaient dicté son arrêté, qu'elle connût les preuves ou les indices qui s'élevaient contre les citoyens dénoncés ét arrêtés (1).

Certes, je ne vois là rien qui ne soit rigoureusement vrai en principes, rien qui n'eût dû être approuvé, si l'illégalité d'une arrestation faite la nuit n'eût fait un devoir de rendre la liberté à ceux qui en avaient été privés contre la loi.

Mais l'arrestation en elle-même ne pouvait être imputée à crime aux membres de la commission. Le décret leur en donnait le droit; ils auraient prévariqué dans le cas où ils l'eussen't ordonné sans preuves ou sans présomptions violentes, et c'est ce que pouvait apprendre le seul rapport de cette commission. Ils auraient prévariqué dans le cas où la circonstance de l'arrestation la nuit, eût été leur fait; mais c'est encore ce qu'il fallait examiner avec d'autant plus de raison qu'ils le niaient, et que, jaloux de m'éclairer sur ce fait, je m'étais assuré qu'ils n'y avaient eu aucune part.

Mais encore il n'y avait là rien qui put motiver où justifier une insurrection, telle que celle qui a souillé la journée du 27 mai.

En effet, réfléchissons-y bien, et demandons-nous si l'on peut décorer du beau nom de résistance à l'oppression ces mou

(1) Ne doit-on pas être soulevé d'indignation lorsque l'on fait le parallèle entre la conduite tenue à l'égard du citoyen Hébert, substitut du procureur de la Commune de Paris, et celle qu'on tient vis-à-vis de vingt-deux représentans du peuple.

Il a fallu mettre l'un en liberté sans aucun examen de sa conduite et des faits qui lui sont reprochés; il a fallu supprimer la commission créée par un décret sans l'avoir entendue et sans connaître ses prétendus crimes.

Vingt-deux députés sont dénoncés; un decret lés justifiaït, et il a fallu qu'ils fussent mis en état d'arrestation, sans rapport, quoique trois décrets successifs aient intime au comité de salut public l'ordre de faire ce rapport. Depuis plus dé quinze jours, ils sollicitent, non leur liberté sans exámen, mais un examen qui' prouvera s'ils doivent l'obtenir; et le rapport ne se fait point, et l'on passe froidement à l'ordre du jour surl es lettres, sur les motions qui fendent à obtenir ce rapport; et l'on a poussé plus loin encore l'oubli de tous les principes, puisqu'un décret ordonne, sans lecture, le renvoi au comité de toutes les lettres et adresses favorables aux membres opprimés, puisqu'enfin on fait lire avec complaisance, et qu'on insère au bulletin toutes celles qui félicitent l'assemblée sur sa conduite.

vemens tumultueux, dirigés contre les autorités constituées qui se seraient permis des actes que l'on aurait sujet de croire illégaux ou injustes. Certes, il serait le plus malheureux de tous les peuples, celui qui n'aurait d'autre moyen d'obtenir le redressement de ses torts, que ces excès propres à perpétuer l'anarchie.

Croit-on, par exemple, qu'on eût pu légitimer les mouvemens populaires, s'ils se fussent manifestés dans tous les lieux où les commissaires de la Convention ont ordonné des arrestations qu'ils ont cru justes sans doute, mais sur lesquelles il faudra prononcer?

Quel serait, je le demande, l'état de Paris, si les nombreuses arrestations que se permettent chaque jour les comités établis, soit à la municipalité, soit dans les sections, donnaient lieu à autant d'insurrections qu'on pourrait y apercevoir d'injustices et d'actes tyranniques et oppresseurs?

Je reprends le cours des événemens.

Un décret impolitique, rendu dans la journée du 28 mai, et qui rapportait celui du 27 ; la démission proposée par un membre de la commission des Douze, et devenue sans effet, parce que, disait-on, l'assemblée avait gardé le silence; de nouveaux actes faits par cette commission; une agitation continuelle dans les individus; des motions exagérées dans les groupes devenus plus nombreux et plus forts, dans les sociétés populaires; dans cette assemblée de prétendus électeurs, qui se tenait à l'évêché, et jusqu'au sein même de cette municipalité, dont le premier devoir, après celui de veiller à la sûreté de la Convention nationale, était d'entretenir la paix et la tranquillité au milieu de ses nombreux habitans. Tout nous présageait des malheurs dont il était impossible de calculer l'étendue.

Ainsi, le 31 mai, que l'on ose préconiser comme le jour ďune nouvelle révolution (1), le tocsin sonne par-tout, la générale est

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(1) La violation du secret des lettres se fait depuis ce jour-là avec tant d'impu

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