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qui tenteraient de le continuer. C'est parce que l'exagération avait toujours été accompagnée, chez Marat, d'une bonne foi incontestable; c'est parce qu'il distribuait ses dénonciations avec un sens droit et un tact à peu près sûr, qu'il était devenu à Paris l'homme le plus populaire. Mais les formes intolérantes qu'il avait adoptées, cette tactique du scandale dont il usait envers tous ceux qu'il avait jugés traîtres ou fripons, ne convenaient qu'à un journaliste de ce caractère et qui tirait son autorité de sa propre conduite. Ceux qui avaient exploité Marat, de son vivant, en l'appelant prophète, et en jouant la facile comédie de répéter ses anathèmes, et de jurer par ses oracles, exploitèrent sa fin tragique et sa mémoire. Aux yeux de ces gens-là la société était divisée en deux classes, dont l'une était une riche proie dévolue à l'autre, celle des suspects et celle des méfians: il était tout simple que les intrigans fussent du parti de la méfiance, et qu'ils s'y disputassent la première place. Ainsi que nous l'avons déjà dit, le club des Cordeliers était le théâtre de ces saturnales. Là, ce fut un véritable assaut de larmes et d'oraisons funèbres en l'honneur de l'ami du peuple; là, des hommes qui se glorifiaient de leur athéisme vouèrent à Marat un culte de latrie; ils obtinrent de garder son cœur, et, de la même main dont ils effaçaient de la morale humaine le dogme de l'immortalité de l'ame, ils dressèrent, dans le lieu de leurs séances, un autel au cœur de Marat! Ce les Jacobins avaient reconnu absurde et que impraticable, après le discours de Robespierre à la séance du 14, deux Cordeliers fameux l'entreprirent: Jacques Roux et Leclerc de Lyon, publièrent un journal pour faire suite à l'Ami du Peuple, sous le titre de l'Ombre de Marat.

Le club des Jacobins n'était cependant pas complétement à l'abri de l'influence des enragés. Plusieurs de ses membres étaient aussi du club des Cordeliers, et parfois ils faisaient parler dans la société des amis de la Liberté et de l'Égalité, l'esprit de la société des Droits de l'homme. C'était Robespierre qui leur imposait silence. On vient de le voir repousser les motions exagérées par lesquelles certains individus cherchaient à faire de Marat un

saint, afin de l'avoir pour patron; quelques jours auparavant il avait défendu le pouvoir, un de ses agens, et Danton lui-même, contre la méfiance systématique. A la séance du 8 juillet, Boy, fédéré du 10 août (déjà il en arrivait à Paris pour célébrer l'acceptation générale de l'acte constitutionnel, fête qu'un décret fixait à ce jour), attaqua le comité de salut public avec une extrême violence. De toutes parts, dit-il, on ne voit que des trahisons, et l'on en cherche encore les auteurs ; on va chercher bien loin de prétendus traîtres, tandis qu'on en a de bien réels sous la main. Ouvrez donc les yeux, c'est dans le comité de salut public que vous les trouverez; il est gangrené jusqu'aux os de la plus incurable aristocratie. Ce n'est point à lui qu'il faut désormais vous adresser; vous perdez votre temps; depuis longtemps vous auriez dû vous en être aperçus. C'est à la Convention elle-même qu'il faut s'adresser; plus de secret; la publicité sera notre sauvegarde. >

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Bourdon. « C'est dans trois jours que le comité de salut public doit être renouvelé. Il aurait dû déjà l'être; mais fait-on tout ce qu'on peut, ou tout ce qu'on désire! Au milieu des reproches dont vous l'accablez de toutes parts, n'oubliez pas les services qu'il a rendus à la chose publique; nous lui devons de grandes vues politiques. Mais un malheur attaché à l'espèce humaine est de n'avoir d'énergie que pour quelques jours seulement. Leur temps est passé, il en faut nommer d'autres. Il nous faut aujourd'hui des révolutionnaires, des hommes à qui sans craintes on puisse confier le sort de la République, des hommes qui nous en répondent corps pour corps. ›

Chabot. On a parlé du comité de salut public; voici ma profession de foi. Il est parmi eux des hommes dont j'estime les talens révolutionnaires, et dont je préconise la probité. Mais ils sont usés les uns par les autres. On doit le renouveler après-demain; j'ignore si son renouvellement vaudra mieux que sa formation, car tout va un peu plus mal qu'à l'ordinaire; ce qu'il y a de sûr, c'est que dans la Montagne même il y a une apathie qui de jour en jour devient plus funeste au bien public.

› Comment faire pour que sa recomposition vaille mieux que sa composition? voilà la première question qui se présente. Comment l'organiser ensuite? voilà la seconde. Sans doute il y a dans son sein des hommes qui iraient bien s'ils étaient bien associés. Il faudrait y laisser Saint-André, Saint-Just et Couthon, dont les preuves sont faites. On pourrait proposer d'y adjoindre quelques membres de ceux qui sont reconnus pour les vrais amis du peuple; gardez-vous bien d'y consentir, il faut renouveler tout ou ne pas s'en mêler.

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› J'ai vu Mathieu à la société des femmes révolutionnaires professer les principes les plus anti-révolutionnaires ; je l'ai rappelé à l'ordre: Ramel a écrit à Toulouse que les propriétaires seuls pourraient sauver la chose publique: Cambon ne voit qu'avec une loupe; aussi chaque sujet est un géant pour lui, il n'y voit que des Montagnes: Guiton est un parfait honnête homme, mais c'est un Quaker, il tremble toujours. ›

Chabot se résuma en disant que pour former le comité de salut public, il fallait que chaque votant refusât à haute voix le membre qu'il croirait incapable d'y être utile, la plus petite tache devant être un motif d'exclusion. Robespierre prit la parole. Personne ne sentait mieux que lui tout ce qu'il y avait de fondé dans les reproches adressés au comité de salut public. Mais il sentait encore plus vivement le danger de discréditer le pouvoir en discréditant légèrement les hommes qui en étaient revêtus; et bien qu'il fût d'avis de recomposer le comité, et non pas de le proroger, il ne voulut pas que ce sanctuaire du patriotisme pût passer pour avoir été déjà souillé. Voici son dis

cours :

Robespierre. A chaque phrase, à chaque mot du discours de Chabot, je sens respirer le patriotisme le plus pur; mais j'y vois aussi le patriotisme trop exalté, qui s'indigne que tout ne tourne pas au gré de ses désirs, qui s'irrite de ce que le comité de salut public n'est pas parvenu dans ses opérations à une perfection impossible, et que Chabot ne trouvera nulle part.

> Je le crois comme lui, ce comité n'est pas composé d'hom

mes également éclairés, également vertueux; mais quel corps trouvera-t-il composé de cette manière? Empêchera-t-il les hommes d'être sujets à l'erreur? N'a-t-il pas vu la Convention, depuis qu'elle a vomi de son sein les traîtres qui la déshonoraient, reprendre une nouvelle énergie, une grandeur qui lui avait été étrangère jusqu'à ce jour, un caractère plus auguste dans sa représentation? Cet exemple ne suffit-il pas pour prouver qu'il n'est pas toujours nécessaire de détruire, et qu'il est plus prudent quelquefois de s'en tenir à réformer?

» Oui, sans doute, il est dans le comité de salut public des hommes capables de remonter la machine et de donner une nouvelle force à ses moyens. Il ne faut que les y encourager. Qui oubliera les services que ce comité a rendus à la chose publique, les nombreux complots qu'il a découverts, les heureux aperçus que nous lui devons, les vues sages et profondes qu'il nous a développées? Non.

› L'assemblée n'a point créé un comité de salut public pour l'influencer elle-même, ni pour diriger ses décrets; mais ce comité lui a été utile pour démêler, dans les mesures proposées, ce qui était bon d'avec ce qui, présenté sous une forme séduisante, pouvait entraîner les conséquences les plus dangereuses; mais il a donné les premières impulsions à plusieurs déterminations essentielles qui ont sauvé peut-être la patrie; mais il lui a sauvé les inconvéniens d'un travail pénible, souvent infructueux, en lui présentant les résultats, déjà heureusement trouvés, d'un travail qu'elle ne connaissait qu'à peine, et qui ne lui était pas assez familier.

> Tout cela suffit pour prouver que le comité de salut public, qu'on affecte aujourd'hui de déprimer, n'a pas été d'un si petit secours qu'on voudrait avoir l'air de le croire. Il a fait des fautes sans doute; est-ce à moi de les dissimuler? Pencherais-je vers l'indulgence, moi qui crois qu'on n'a point assez fait pour la patrie quand on n'a pas tout fait, moi qui suis persuadé que la liberté récompense abondamment de ses sacrifices l'homme qui n'a plus rien à lui sacrifier? Oui, il a fait des fautes, et je veux

les lui reprocher avec vous; mais il y a loin des torts qu'on peut reprocher à quelques-uns de ses membres, à la proscription dout on veut l'envelopper en masse. Oui, il est dans son sein des membres purs, irréprochables...... Et ce matin même, l'un d'eux (Saint-Just), ne vous a-t-il pas fait un rapport qui, quoiqu'il laissât quelque chose à désirer encore, n'en portait pas moins l'empreinte d'un grand talent, et de l'ame vraiment républicaine de son auteur.

› En un mot, je soutiens qu'il serait fort impolitique en ce moment d'appeler la défaveur du peuple sur un comité qui a besoin d'être investi de toute sa confiance, qui est chargé de grands intérêts, et dont la patrie attend de grands secours; et, quoiqu'il n'ait pas l'agrément des citoyennes républicaines révolutionnaires, je ne le crois pas moins propre à ses importantes opérations. S'il ne peut pas l'obtenir, il faudra bien qu'il tâche de s'en passer. › (Le Républicain français, n. CCXXXIX et CCXL; le Journal de la Montagne, n. XLI.)

Le discours de Robespierre mit fin à toutes les critiques; il ne fut plus question du comité de salut public dans le club des Jacobins, ce qui n'empêcha pas qu'il ne fût renouvelé deux jours après, et composé des meilleurs patriotes.

Le 10 juillet, Robespierre prit encore la parole au sein de la société, pour y combattre des dénonciateurs. Eseudé, employé de la marine, et Isoire, venaient d'attaquer avec beaucoup de véhémence Dalbarade, ministre de la marine; l'un l'avait accusé de réunir à l'incapacité la mauvaise volonté d'organiser le corps des officiers; l'autre lui reprochait d'avoir envoyé à Toulon, pour en inspecter le port, Peyron, contre-révolutionnaire reconnu ; Isoire ajoutait, ce qui était vrai, que ce Peyron était une créature de Danton. Après eux, Rossignol, colonel de la trente-cinquième division de la gendarmerie, monta à la tribune; il revenait de Niort où il avait été arrêté pour fait de pillage et d'indiscipline par les ordres de Biron. Mis en liberté par un décret, il était accouru à Paris afin de se disculper et de se venger.

Rossignol. Oui, sans doute, le ministre de la marine est

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