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tre, ainsi qu'à Ménil, administrateur du département, encore vivant à Caen. Nous n'y comprîmes rien; mais, demandais-je, à Bougon, d'où vient son intérêt pour vous et pour moi?

Il me répondit: Je lui ai rendu plusieurs services; et quant à son intérêt pour vous, il vient de ce qu'elle vous croit un royaliste déguisé. ›

La lettre de Barbaroux qui devait servir d'introduction à Charlotte Corday auprès de Duperret, fut remise volontairement par ce dernier, pendant l'interrogatoire qu'il subit à la barre de la Convention, à la séance du 14. Chabot, qui en donna lecture, ayant demandé à Duperret s'il n'avait pas montré cette lettre à un de ses collègues du Loiret : à plus de trente, lui fut-il répondu. Voici cette pièce :

Caen, le 7 juillet, l'an II de la République, une et indivisible. -Je t'adresse, mon cher bon ami, quelques ouvrages qu'il faut répandre. Il y a un ouyrage de Salles sur la Constitution : c'est celui qui, dans ce moment produira le plus prompt effet. Il faut en faire un grand nombre d'exemplaires. Je t'ai écrit par la voie de Rouen pour t'intéresser à une affaire qui regarde une de nos concitoyennes. (Duperret interrompant. Je n'ai rien reçu de cela.) Il s'agit seulement de retirer du ministère de l'intérieur des pièces que tu lui rendras. La citoyenne qui te remettra ce paquet s'intéresse à cette même affaire. Tâche de lui procurer accès auprès du ministre. Adieu, je t'embrasse.

‹ P. S. lei, tout va bien. Nous ne tarderons pas à être sous les murs de Paris. Signé BARBAROUX. »

Nous empruntons le compte rendu du procès de CharlotteCorday au Bulletin du tribunal révolutionnaire, nos LXXI, LXXII et LXXIII; celui que publia Le Républicain français, dans son numéro du 23 juillet, et que répéta textuellement le Moniteur du 29, a été calqué sur le précédent, sauf quelques additions faites après coup, et dont rien ne garantit l'authenticité. Ces additions ms ne sont d'ailleurs pour la plupart que des affaires de style; la seule différence notable que nous avons remarquée en comparant la version du Bulletin, etc., à celle du Républicain

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français, porte sur le témoignage de Charlotte-Corday à l'égard de Fauchet nous avons conservé cette variante dans une note. Le rédacteur du Bulletin, etc., nous apprend qu'il circulait des contrefaçons nombreuses des lettres de Charlotte Corday; il les donne toutes dans le supplément à son numéro LXXIII, en avertissant que Fouquier-Tinville lui a communiqué les originaux, et qu'il en reproduit jusqu'à l'orthographe.

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Acte d'accusation et interrogatoire de MARIE-ANNE-CHARLOTTE CORDAY, ci-devant D'ARMANS, prévenue d'assassinat en la personne de MARAT, député à la Convention nationale.

Interrogée de ses non, surnoms, âge, qualités, lieux de naissance et demeure,

A répondu se nommer Marie-Anne-Charlotte Corday, ci-devant d'Armans, native de la paroisse Saint-Saturnin-des-Lignerets, âgée de vingt-cinq ans, vivant de ses revenus, demeurant ordinairement à Caen, département du Calvados, et logée, depuis son arrivée à Paris, rue des Vieux-Augustins, hôtel de la Providence.

Un des greffiers donne lecture de l'acte d'accusation, ainsi

conçu :

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« ANTOINE QUENTIN FOUQUIER-TINVILLE, accusateur-public du tribunal criminel extraordinaire et révolutionnaire, établi à Paris par décret de la Convention nationale du 10 mars 1795, l'an deuxième de la République, sans aucun recours au tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l'article 2 d'un autre décret de la Convention, du 5 avril suiyant, portant que l'accusateur-public dudit tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger, sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens.

Expose que le 13 juillet présent mois, sept heures du soir, le commissaire de la section du Théatre-Français, instruit par la

clameur publique, qu'il existait dans la rue des Cordeliers un grand rassemblement de citoyens, causé par le bruit de l'assassinat qui venait d'être commis en la personne du citoyen Marat, l'un des représentans du peuple à la Convention, s'est transporté au domicile dudit Marat, où il a trouvé une femme prévenue d'avoir commis ledit assassinat; et après avoir fait constater par un chirurgien les causes de la mort de ce député, ledit commissaire de police a fait subir interrogatoire à ladite femme, la. quelle a déclaré se nommer Marie-Anne-Charlotte Corday, cidevant d'Armans, native de la paroisse Saint-Saturnin-des-Lignerets, âgée de vingt-cinq ans moins quinze jou's, vivant de ses revenus, et demeurant ordinairement à Caen, et présentement à Paris, logée rue des Vieux-Augustins, hôtel de la Providence; que cet interrogatoire terminé, le commissaire de police a remis ladite Corday aux administrateurs du département de police, avec expédition de son procès-verbal, sur le vu duquel lesdits administrateurs ont ordonné que ladite Corday serait conduite à l'Abbaye, et gardée à vue par un gendarme, et que le procèsverbal et toutes les pièces seraient envoyées au tribunal; qu'en exécution de cette ordonnance, et du décret de la Convention, en date du 14 juillet présent mois, portant que le tribunal révolutionnaire instruira tout de suite contre l'assassin de Marat et ses complices, toutes lesdites pièces ont été remises à l'accusateurpublic, ce jour-d'hier, neuf heures du soir.

En conséquence, ladite Marie-Anne-Charlotte Corday, a aujourd'hui subi interrogatoire par-devant le président du tribunal; qu'il a aussi été reçu par différens juges, plusieurs déciarations de témoins. Qu'examen fait par l'accusateur-public de toutes lesdites pièces, il en résulte que le mardi 9 juillet, présent mois, Marie-Anne-Charlotte Corday est partie de Caen pour se rendre à Paris, où elle est arrivée le jeudi suivant, environ midi, et s'est logée rue des Vieux-Augustins, maison dite hôtel de la Providence; qu'elle dit s'être couchée et n'être sortie de son appartement que le vendredi matin, pour se promener; que l'après-midi elle n'est point sortie; qu'elle s'est mise à écrire ;

que le lendemain samedi, le matin vers les sept heures et demie, huit heures, elle est sortie, a été au Palais de l'Égalité, où elle a acheté le couteau dont il sera ci-après parlé ; a pris une voiture place des Victoires pour se faire conduire chez le citoyen Marat, chez lequel elle n'a pu se faire introduire.

Qu'alors retournée chez elle, elle a pris le parti de lui écrire par la petite poste et sous un faux nom, pour lui demander une audience; que vers les sept heures et demie du soir, du même jour, elle a pris une voiture et s'est fait reconduire au domicile de Marat, pour y recevoir, à ce qu'elle dit, la réponse à sa lettre; que dans la crainte d'essuyer encore un refus, elle s'était précautionnée d'une autre lettre qu'elle se proposait de faire tenir audit citoyen Marat; mais qu'elle n'en a pas fait usage; que des femmes lui ont ouvert la porte, mais ont refusé de la laisser pénétrer auprès du citoyen Marat; que ce dernier ayant entendu ladite Corday insister, il a lui-même demandé qu'elle fût introduite auprès de son bain, où il était alors;

Qu'il fit plusieurs questions à cette femme sur les députés de présens à Caen, sur leurs noms et ceux des officiers municipaux ; que ladite Corday les lui a nommés, sur quoi Marat lui dit qu'ils ne tarderaient pas à être punis de leur rébellion.

C'est alors que ladite Corday a tiré de son sein le couteau qu'elle avait acheté le matin au palais de l'Égalité, et aussitôt en a porté un coup à Marat; lequel coup a pénétré sous la clavicule droite du col, entre les première et seconde vraies côtes, et cela si profondément, que l'index a facilement pu pénétrer de toute sa longueur, à travers le poumon blessé; duquel coup le représentant du peuple est mort presque à l'instant ; que dans les interrogatoires subis par ladite Corday, elle est convenue de tous ces faits, ajoutant même que son intention était de tuer Marat partout où elle le trouverait, même au sein de la Convention.

Que lorsqu'elle a été fouillée, il a été trouvé dans son sein ure gaîne de couteau, laquelle on a reconnu pour celle qui servait au couteau avec lequel elle avait commis l'assassinat.

D'après l'exposé ci-dessus, l'accusateur-public a dressé la

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présente accusation contre Marie, etc., pour avoir méchamment et de dessein prémédité, étant à Caen, formé le projet d'attenter à la représentation nationale, en assassinant Marat, député à la Convention nationale; et pour l'exécution de cet infâme projet, de s'être transportée à Paris, et le surlendemain de son arrivée en cette ville, de s'être fait conduire à deux fois différentes, domicile dudit citoyen Marat, pour chercher à s'introduire auprès de lui; qu'ayant réussi, à la seconde fois, de l'avoir frappé d'un couteau qu'elle avait acheté à Paris, à cet effet, duquel coup ce représentant du peuple est mort presque à l'instant, ce qui est contraire à l'article quatre, section trois du titre premier, et à l'article onze, section première du titre second du Code. pénal.

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En conséquence, l'accusateur-public requiert qu'il lui soit donné acte de la présente accusation, qu'il soit ordonné qu'à sa diligence et par un huissier du tribunal, porteur de l'ordonnance à intervenir, ladite Marie-Anne-Charlotte Corday, actuellement détenue en la maison d'arrêt dite l'Abbaye, sera prise au corps, arrêtée et transférée sous bonne et sûre garde, de ladite maison en celle de justice de la conciergerie du Palais à Paris, où elle sera écrouée sur les registres d'icelle, comme aussi que ladite ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris. Fait au cabinet de l'accusateur-public, le 16 juillet 1793, l'an second de la République une et indivisible.

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Signé, FOUQUIER-TINVILLE.

Le président à l'accusée. Voilà de quoi l'on vous accuse; vous allez entendre les charges qui seront portées contre vous.

1

On procède à l'audition des témoins.

La citoyenne Évrard dépose que l'accusée s'est présentée le matin du 15 juillet, chez le citoyen Marat, où elle, déposante, demeurait; que sur les réponses que ce député était malade et qu'il ne pouvait recevoir personne, elle se retira en murmurant. L'accusée interrompt la déposition de la témoin, en disant : c'est moi qui l'ai tué.

D. Qui vous a engagé à commettre cet assassinat?

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