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A la même séance, le comité de salut public instruisit l'assemblée que la Corse était en état de pleine contre-révolution. Les commissaires y étaient réduits aux seuls points maritimes. Paoli, secondé par les prêtres et par Pozzo di Borgo, avait persuadé aux Corses que la France voulait livrer ce département aux Génois, et que d'Orléans était destiné à monter sur le trône. En ce moment il venait de convoquer les assemblées primaires du pays (consulta) à Corté, sans observer les formes de l'ancienne constitution, et les quatre cinquièmes des habitans s'étaient laissé séduire. Nommé généralissime, Paoli avait établi des commissions dans les districts. Tous les patriotes avaient été emprisonnés par son ordre dans la bastille de Corté; il avait livré leurs biens au pillage, et leurs maisons à l'incendie. Enfin les prêtres étaient réintégrés dans leurs bénéfices, les moines dans leurs abbayes, les émigrés dans leurs fiefs. - Entre autres mesures de rigueur et de prudence proposées par le comité et adoptées par la Convention, les actes de l'assemblée, connus sous le nom de la Consulta, furent déclarés nuls, et on décida que la Corse serait divisée en deux départemens. Cette affaire n'occupa qu'un instant la Convention, elle eût passé sans débat si elle n'eût été rattachée, comme l'étaient presque toutes les incidences parlementaires, à la question girondine. Couthon et Lacroix firent remarquer qu'il y avait identité de but et de moyens entre Paoli et les amis de Brissot ; que leurs actes et leurs paroles étaient les mêmes.

Les fédéralistes du Calvados voyaient diminuer leurs ressources à mesure que le moment d'agir approchait. Soixante-huit communes de l'Eure avaient protesté contre l'arrêté des administrateurs de ce département. Le 2 juillet Lacroix annonça cette nouvelle à la Convention, disant que le royaume de Buzot commençait à passer. Il fit décréter à cette occasion: 1o la suspension du traitement de tous les salariés de la République dans les départemens rebelles; 2° l'ordre à la gendarmerie nationale de ces départemens de se rendre à Versailles, Chartres et Melun, sous peine de destitution; 3° l'ordre au 16 régiment de chasseurs en

garnison à Falaise, d'en partir au plus tard le 10 pour se rendre à Orléans, sous peine d'être licencié; 4o enfin la suspension de tout envoi de fonds dans les départemens du Calvados, de l'Eure, des Bouches-du-Rhône et autres, dont les administrateurs étaient en révolte ouverte. Dewar demanda qu'on fit au moins le rapport sur les détenus, pour savoir si les administrateurs avaient tort ou raison. Carrier voulait que l'on sévît non-seulement contre Pétion et ses complices, mais aussi contre leur doublure conspiratrice, en privant les membres du côté droit de leurs dix-huit francs. Ceux-ci appuyèrent la proposition, et il en résulta une violente dispute, terminée par un ordre du jour.

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Cependant la nouvelle annoncée par Lacroix n'avait pas diminué dans la capitale les craintes qu'inspiraient les mouvemens combinés des Normands et des Bretons. Le 1er juillet la Commune avait arrêté que 1,800 hommes partiraient dans six jours pour Evreux. Le recrutement se faisait avec quelque lenteur, lorsque, le 5 juillet, des députés de Vernon vinrent jeter l'alarme dans le sein du conseil-général. L'armée de Buzot s'était emparée de Pacy-sur-Eure, et sonnait le tocsin depuis trois jours dans les campagnes environnantes. Réal, l'un des substituts de Chaumette, s'élève fortement contre l'insouciance et l'apathie des Parisiens. L'ennemi, dit-il, est à seize lieues de nous; attendrez-vous que des hauteurs de Paris vous apperceviez les feux de son camp, pour vous lever vous armer et vous défendre? Il faut empêcher que le sang français soit versé par des Français; vous éloignerez cette horrible calamité si vous vous présentez en force; si vous partez par détachemens, le sang coulera, le sang de vos frères!.... Que vingt mille hommes sortent de Paris et pas une goutte de sang ne sera répandu. Je requiers que les membres du conseil se rendent à l'instant dans leurs sections respectives, qu'ils y peignent les dangers que courent nos frères de Vernon, des Andelys, et que demain matin plusieurs bataillons marchent à l'ennemi. Le conseil adopta ce réquisitoire avec acclamation. En ce moment deux membres de la Convention, Robert Lindet et Duroy, arrivaient à la Commune; ils s'offraient

pour marcher à la tête des Parisiens au secours d'Evreux, tombé au pouvoir des fédéralistes. Ils proposaient aux officiers municipaux de partir avec eux, ceints de leur écharpe, et le sabre au côté. › Pendant qu'ils parlaient, des femmes couronnées de fleurs et des citoyens qui chantaient entrèrent dans la salle; ils apportaient l'adhésion unanime à l'acte constitutionnel par la section du Contrat-Social. Vous venez d'accepter la Constitution, leur dit Réal, maintenant il faut la défendre. Aux armes! aux armes! Ces mots électrisèrent tous les esprits; à l'instant tous les membres de l'assemblée, ainsi que les citoyens des tribunes, se répandirent dans les sections pour en stimuler le zèle. (Chronique de Paris', n. CLXXXVIII.)

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La séance de la Convention finit ce jour-là comme celle de la Commune. En attendant la fête préparée pour le 14 juillet, éqoque où le conseil-général avait arrêté de présenter en corps à la Convention le vote des assemblées primaires du département sur la Constitution, chaque section lui apportait le sien à mesure qu'il était formé. Le 5, un grand nombre furent admises à la barre; nous transcrivons du Moniteur cette partie de la séance:

[La section de 1792 présente le procès-verbal de son acceptation unanime de la déclaration des droits de l'homme et l'acte constitutionnel.

Le président reçoit un bouquet des mains innocentes d'une jeune enfant.

Chenard, Narbonne, Vallière, chantent l'hymne des Marseillais, une chanson patriotique, et un couplet en l'honneur de la Montagne.

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Après un long esclavage,
L'homme a reconnu ses droits,
Et maître de son courage,
S'il se bat, c'est pour les lois,
S'il survit à la victoire,

Le laurier a ceint son front;

S'il meurt au champ de la gloire,
Il survit au Panthéon.

Sots enfans de l'Italie,

Qu'un prêtre tient en ses mains,
L'ombre de Brutus vous crie
De redevenir Romains,

Allez, arrachant l'étole

De votre sacré tyran,

Rebâtir le capitole

Des debris du Vatican.

Sortez d'une nuit profonde;

Peuples esclaves des rois,

La France aux deux bouts du monde

Vient de proclamer vos droits;

Brisez vos vieilles idoles

Et leur culte détesté,

En plantant sur les deux pôles
L'arbre de la liberté.

Couplet chanté par le citoyen Chenard.

AIR: Des Marseillais,

Citoyens chers à la patrie,

Nous venons vous offrir nos cœurs,

Montagne, Montagne, chérie ;

Du peuple les vrais défenseurs ; (bis,)
Par vos travaux la République

Reçoit sa constitution;

Notre libre acceptation

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Vous sert de couronne civique :

bVictoire aux citoyens, gloire aux législateurs,

Chantons, chantons,

Leurs noms chéris sont les noms des vainqueurs.

La Convention décrète l'impressión et l'envoi aux départe

mens.

La section du Mont-Blanc porte en triomphe le buste de Pelletier. Une citoyenne couvre le président d'un bonnet rouge, et en reçoit l'accolade. Les citoyennes de la section du Mail jettent des fleurs sur les bancs des législateurs.-Trois cents élèves de la patrie, précédés d'une musique militaire, viennent

remercier la Convention d'avoir préparé la prospérité du siècle qui s'ouvre devant eux. Une société patriotique de citoyennes est suivie de la section des Gardes-Françaises, qui offre des fleurs; de celle de la Croix-Rouge, qui dépose sur le bureau une couronne de chêne, et dont les citoyennes jurent de ne s'unir qu'à de vrais républicains. La section de Molière et Lafontaine présentent une médaille de Francklin. Un décret ordonne la suspension de cette médaille à la couronne de chêne qui surmonte la statue de la liberté. Les enfans trouvés, aujourd'hui enfans de la République, défilent, mêlés parmi les citoyens de la section des Amis de la Patrie. - La Convention décrète que ces enfans porteront désormais l'uniforme national. Les sections de la Butte des-Moulins, du Temple, de la Cité, des Marchés, des ChampsElysées, défilent successivement, et annoncent qu'elles ont unanimement accepté la Constitution. ]

-

Les Jacobins ne s'étaient pas réunis les jours où la Constitution avait été soumise à l'acceptation; le 7, ils rouvrirent leur club, fermé depuis le 28 juin. Cette séance fut consacrée à la lecture d'un grand nombre de lettres. Les dépêches du midi continuaient à être fâcheuses; mais elles n'ajoutaient aucun fait nouveau à ceux que la correspondance de la Convention avait déjà répandus dans le public. On savait que Mathieu et Trheillard, retenus quelques instans à Bordeaux, avaient pu se réfugier dans le département de la Dordogne. On avait appris par Biron que deux bataillons de la Gironde se proposaient de quitter l'armée de Niort pour retourner dans leur département. Au reçu de ce message (séance du 6 juillet), Robespierre dit : « J'ai vu des nouvelles des armées de la Vendée et des Pyrénées : ce sont des lettres de quelques patriotes éclairés, dont l'un occupe un grade éminent dans l'armée des Pyrénées. Elles s'accordent à dire qu'on s'applique à exciter des divisions funestes entre les bataillons parisiens et les bataillons bordelais. Ils expriment leur patriotisme par des cris différens; les Parisiens crient: Vive la République une et indivisible! Les Bordelais disent: Vive la République à bas les anarchistes et les factieux! Plusieurs

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