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Le 7, Danton fut dénoncé. Sa conduite, pendant les journées de l'insurrection, n'avait pas été claire; les dispositions où nous le montrent les mémoires de Garat, s'étaient trahies par certains actes, notamment par les menaces qu'il avait faites à Henriot. Le Journal de la Montagne, n. X, mentionne, dans cette courte parenthèse, l'incident dont il s'agit : « Un membre élève quelques soupçons sur le civisme de Danton; Camille Desmoulins prend sa défense, et la société passe à l'ordre du jour. Le Républicain Français, n. CCVII, est plus explicite. Un membre : J'ai de violens soupçons sur les sentimens actuels de Danton; ce député n'est plus aussi révolutionnaire qu'il l'était. Il ne vient plus aux Jacobins; il m'a quitté l'autre jour pour aborder un général. › Ce journal conclut comme le précédent.

Le 9, Billaud-Varennes fit un long discours sur les mesures de salut public, indiquées par les circonstances. Ce discours, dont la société ordonna l'impression, l'envoi aux départemens, aux sociétés affiliées et aux armées, résume tout ce qui avait été proposé aux Jacobins depuis sept jours, et en renferme le complément. Billaud-Varennes trace successivement le tableau de la situation politique, celui des dangers, et celui des ressources. Il distingue deux sortes de mesures à prendre : « Les unes doivent tendre au rétablissement accéléré de l'ordre dans l'intérieur; les autres doivent concourir à mettre la République dans un état de défense si imposant qu'elle ne puisse être entamée par ses ennemis. Les moyens qu'il développe sont: la punition sévère et rapide de tous les généraux coupables, et qui, par l'élévation de leur grade, doublent la gravité de leurs attentats; le licenciement des officiers d'un grade supérieur qui auraient appartenu à la cidevant noblesse; la destitution de tous les agens, soit civils, soit militaires, nommés par Dumourier et par son complice Beurnonville; la responsabilité, sur sa tête, de tout commandant en chef, non pas pour les événemens d'une bataille, mais pour les défaites qui seraient le résultat d'une impéritie démontrée; retirer à l'arbitraire d'un seul homme toute nomination importante; rendre les ministres personnellement responsables des agens qu'ils

emploient, soit dans les cours étrangères, soit dans les armées, soit dans l'administration; la réclusion absolue de toutes les anciennes religieuses qui ne se seraient pas ou retirées dans leurs familles, ou mariées; l'éloignement de tous les étrangers, non naturalisés, tant que la patrie sera en péril, et le bannissement de tous les hommes sans aveu; le désarmement de tous ceux qui n'ayant pas été, ou n'étant pas actuellement fonctionnaires publics, n'ont jamais monté leur garde en personne depuis le commencement de la révolution; l'arrestation des ci-devant nobles suspects, et autres personnes présumées malveillantes; la détention dans les villes des femmes des émigrés ; l'impôt progressif et l'emprunt forcé d'un milliard sur les riches; s'occuper du soin de récompenser les défenseurs de la patrie; suspendre l'exercice du droit de citoyen pour tous les hommes anti-sociaux qui méprisent ou usurpent ce droit; décréter promptement cette garde soldée (armée révolutionnaire), qui doit procurer à tant de citoyens des moyens de subsistance; assurer la défense de Paris par l'établissement d'une artillerie et d'une cavalerie formidables. L'orateur commente chacun de ces moyens, et il termine ainsi :

N'oublions pas que ce fut investis, pour ainsi dire, par les hordes des brigands du Nord, et sous le feu de leurs canons, que nous sûmes déployer assez de vigueur pour abattre la tyrannie, et pour fonder le règne de l'égalité. Aujourd'hui, encore partagés entre l'indignation que nous inspirent les perfidies et l'audace des contre-révolutionnaires de l'intérieur, et le courage que provoque la nécessité de combattre et de vaincre les satellites des despotes conjurés, qui nous cernent et qui nous menacent, nous portons dans nos cœurs tous les sentimens propres à réaliser le chef-d'œuvre du gouvernement républicain. Rien n'est plus capable d'agrandir l'âme et l'esprit que les explosions politiques. Élevons-nous donc au niveau sublime de nos deux premières journées, en tenant irrévocablement à l'exécution du décret qui porte que la constitution sera discutée sans interruption, et présentée à la sanction du peuple sans délai. Par cette marche, 11

T. XXVIII,

vous rassurez la nation sur ses droits et sur les dangers; vous ranimez son courage, vous électrisez son énergie, vous la rendez invincible, en lui inspirant une pleine confiance : nous-mêmes nous ferons encore une fois trembler l'Europe, étonnée de voir que l'immensité du péril n'a conduit qu'à nous faire déployer un plus grand caractère; et vous donnerez un nouveau spectacle à l'univers. Car il est sans exemple, et la gloire vous était réservée de faire marcher de front l'établissement des droits de l'homme et du citoyen, et les efforts simultanés d'un peuple immense, et - qui, sans être régénéré, repousse cependant, avec une constance soutenue et un courage héroïque, les dernières attaques du despotisme et les convulsions de l'aristocratie expirante. Mais, je vous le répète, prenez-y garde; vous n'avez pas un instant à perdre ; chaque moment de retard, dans votre position, est une défaite. Craignez d'ailleurs, de laisser la nation se décourager, ou se lasser des maux que suscitent l'intrigue et la trahison. En un mot, songez que depuis quatre ans, on crie au peuple que la patrie est en danger, et qu'il est temps sans doute de lui annoncer bientôt que la patrie est enfin sauvée. » (Discours de Billaud-Varennes, p. 52, 35 et 34.)

Après avoir tracé le plan de conduite de la Commune, et le programme des Jacobins, nous passons à la Convention. Nous allons la voir mettre en œuvre ce programme à peu près tel qu'il était voté par le club. En cela, elle subira l'influence du côté gauche qui sera obligé de lutter contre le côté droit, en même temps qu'il forcera la main au comité de salut public; car jusqu'au 10 juillet, époque de son renouvellement intégral, ce co

mité affectera le milieu entre la Gironde et la Montagne.

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Le 5 juin, à l'ouverture de la séance, et sur la proposition de Cambacerès, le décret suivant fut rendu :

« ART. Ier. Tous les comités seront renouvelés et mis au com

-plet, à l'exception du comité de salut public.

II. Le renouvellement commencera par celui de la guerre. IH. Le comité de législation sera divisé en deux sections: ne, composée de douze membres, s'occupera de la révision

du code civil et du cođe criminel, et d'en approprier les dispositions aux bases du gouvernement républicain. L'autre section sera chargée des rapports sur les affaires particulières qui lui seront renvoyées par la Convention nationale.

ou

Jusqu'au 6 juin, les séances de la Convention prirent un caractère d'ordre et de décence qu'elles n'avaient pas encore présenté. On allait vite et avec ordre dans l'expédition des affaires. Le silence des passions personnelles n'était qu'ajourné. Les Girondins attendaient le rapport du comité de salut public sur le 31 mai, pour remettre leur querelle à l'ordre du jour. Il leur fallait une satisfaction à tout prix, et ils rejetaient avec un dédain superbe toute proposition qui tendait à garantir leur personne, même à les sauver du tribunal révolutionnaire. Déjà, dès le 2 juin, une lettre couverte de signatures, avait offert, au nom du peuple de Paris, des otages en nombre égal à celui des députés arrêtés; le 3, Marat déclarait se suspendre de ses fonctions jusqu'à leur jugement définitif; Couthon demandait quelques jours après d'aller en otage à Bordeaux. Les Girondins écrivirent qu'ils refusaient les otages, et ils insistèrent sur un prompt rapport. Ils avaient vu que Fauchet et Isnard avaient été laissés libres, parce qu'ils avaient consenti à donner leur démission; tous les autres protestèrent qu'ils ne suivraient pas cet exemple. Le bruit s'étant répandu que le rapport du comité de salut public leur serait favorable, et même qu'il y était question des les amnistier, Valazé adressa la lettre suivante au président de la Convention :

Paris, le 5 juin 1792, l'an deuxième de la République.

⚫ Citoyen président, on m'apprit hier au soir, et cette nouvelle m'a ravile sommeil pendant la nuit, que le comité de salut public devait proposer aujourd'hui à la Convention nationale de décréter une amnistie pour les dix membres de la Commission des Douze. Je ne puis croire que tel soit le plan du comité : car ce serait la plus horrible des perfidies, la lâcheté la plus insigne; ce serait après avoir attenté à notre liberté, le projet de nous ôter l'honneur. Cependant, il vient de se passer des choses si étran

ges, qu'on doit penser qu'il n'y a plus rien d'impossible. Il est donc de mon devoir de m'expliquer d'avance sur le projet du comité. Eh bien! citoyens, je déclare à mes commettans, à la Convention nationale, à la France et à l'Europe, que je repousse avec horreur l'amnistie que l'on voudrait m'offrir.

⚫ Si la Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité, et m'avoir accordé la parole pour ma défense, ne persiste point dans son décret qui déclare calomnieuse la dénonciation des sections de Paris, et ne sévit pas avec une majesté digne d'elle contre mes lâches assassins, je demande qu'on me juge. Il me semble impossible de se refuser à une déclaration de ce genre. Je vous prie d'en donner connaissance à l'Assemblée. — Signé, DUFRICHE-VAlazé. ›

(Le Moniteur ne donne qu'un extrait de cette lettre; nous en empruntons le texte au Républicain français,no 203.)

Ainsi, comptant pour rien la paix de la Convention dans des circonstances où elle était si nécessaire, sacrifiant tout à l'esprit de parti, lorsqu'il fallait tout sacrifier au salut de la France, les Girondins ne pensaient qu'à leur duel contre les Jacobins ; ils voulaient dégager leur honneur. C'étaient là les sentimens qui en avaient fait partir quelques uns pour exciter la guerre civile dans les provinces, tandis que les autres entretiendraient les troubles dans Paris et dans la Convention. Ils justifiaient déjà ce mot de leur généralissime Félix Wimpfen, dans une notice de lui que nous transcrirons plus bas : « Le crève-cœur de tous était le triomphe de la Montagne, et leur ambition toujours saillante, la vengeance.»

La séance du 6 s'ouvrit par la demande d'un congé. Lecarpentier obtint la parole et dit : « Lorsque la patrie est en danger, lorsqu'il s'agit de la sauver et de donner une constitution à la République, c'est une lâcheté de la part des représentans du peuple d'abandonner leur poste. Déjà beaucoup de membres sont en commission, et si la Convention avait la facilité d'accorder encore des congés, l'Assemblée serait bientôt déserte. Chacun doit être prêt

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