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la ville s'émeut, on tire le canon d'alarme, le tocsin sonne pendant un jour sans discontinuer; la Commune nomme un commandant provisoire à la place de Santerre parti pour la Vendée; les sections nomment des commissaires qui forment un comité révolutionnaire pour prévenir l'effusion du sang et le renouvellement des scènes du 2 septembre. Paris est debout tout entier; et il voit avec fierté que, malgré les quatre-vingt mille hommes enrôlés dans son sein, depuis quatorze mois, et qu'il a envoyés aux frontières, comme il est prouvé par les états de son commissaire des guerres, il lui reste encore plus de cent vingt mille citoyens sous les armes à opposer aux tyrans et aux fanatiques. Les barrières sont fermées, toutes les avenues du palais national gardées par des bataillons. Ce n'est point la Convention qui est assiégée, c'est dans son sein une faction scélérate, c'est une conjuration qui est poursuivie. La ville reste quatre jours entiers sous les armes; elle ne les posera point que la Convention ne soit purgée des principaux conjurés. Toutes les sections, tous les pouvoirs constitués de Paris se succèdent à la barre pour demander le décret d'accusation contre les Vingt-Deux, contre la commission des Douze, et contre deux ministres, instrumens de contre-révolution.

En vain Barbaroux, Vergniaud, Fonfrède, et Lanjuinais, celui-ci plutôt fanatique que prussien, et le pape de la Vendée, demandent une liste de leurs crimes, les preuves judiciaires de leur conspiration, et qu'il en soit fait avant tout un rapport. Le peuple, sans avoir jamais lu les traités politiques des anciens, savait toutes ces maximes éternellement établies en matières de crimes d'état : il savait aussi bien que Dion Cassius, « qu'il est › absurde de s'embarquer avec des conjurés dans les longueurs › d'une procédure, mais qu'il faut commencer par étouffer la › conjuration en s'assurant de leurs personnes (1). » Il savait aussi bien que Cicéron que les conspirateurs doivent être re> tranchés de la société, sans pitié et sans ajournement, non

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(1) Non tales in judicium adducere opportet, sed illicò more hostium sunt opprimendi. DION CASSIUS."

> pas tant pour la vindicte que pour la sûreté publique, afin que la multitude des mauvais citoyens, portés naturellement à › conspirer contre l'état, et enhardis encore par la difficulté d'acquérir des preuves, en soient du moins détournés, par › la promptitude des mesures répressives, et par les suites du › soupçon seul en cette matière (1). » Il savait aussi bien que Salluste, que des traîtres qui mettent en péril la liberté de > tout un peuple n'ont aucun droit aux ménagemens et à la cir> conspection de la justice, et que dans un gouvernement nouveau, il faut se déterminer ou à épouvanter les conspirateurs, > ou à les craindre sans cesse (2). › Enfin, il savait aussi bien que Platon, que l'impiété contre la patrie étant le plus grand » crime après l'impiété contre les dieux, il ne fallait d'autres › juges aux conjurés que ceux qu'on donnait aux sacriléges, > c'est-à-dire les conduire à l'autel et les immoler (4). Cependant les Parisiens n'ont jamais pensé à répandre le sang des traîtres, comme celui des victimes, ainsi que le voulait Platon. Loin de nous la pensée de les condamner sans rapport, comme fit Cicéron à l'égard des complices de Catilina. Il ne voulait que s'assurer de leurs personnes ; et enfin, au bout de quatre jours, le côté droit a cédé à cette volonté ferme et soutenue, à cette obstination républicaine des citoyens de Paris, stipulant pour leurs frères des départemens, et la Convention a prononcé, une très-grande majorité, le décret d'arrestation contre les Vingt-Deux, la commission des Douze, et les ministres Clavières et Lebrun. A peine ce décret était-il rendu, que des membres des sections sont venus s'offrir en otages de la sûreté des déte

(1) Abscindendi sunt, toliendi sunt, non tam ulciscendí causa, quam ut et in præsens, sceleratos cives timore ab impugnanda patria deterreas, et in documentum statuas, ne quis talem amentiam velit imitari posteriem.

CICERON, Lettre à Brutus.

(2) Per istos libertas et anima omnium in dubio : puniendi igitur et semper ne mansuetudo aut misericordia cæteris in miseriam vertat, aut habendus metus, aut faciendus est. SALLUSTE.

(5) Patria nonne in proximo à diis gradu est? Istis judices dantur qui sacrilegis solent,

PLATON, lib. IX de Legibus.

nus; et pour venger Paris des libelles anglais et royalistes, et prouver son respect pour la rèprésentation nationale, il suffit d'observer que durant les vingt-quatre heures qu'un peuple irrité a été sous les armes, pas un des conjurés n'a reçu une égratignure.

Tels sont les faits, citoyens! vous voyez que Paris dont les membres du côté droit provoquaient la destruction sur leurs bancs, à la tribune, sur le fauteuil même du président, a contenu son indignation bien pardonnable de vœux si impies, qu'il n'a voulu qu'user de l'initiative de l'insurrection qui lui était déférée par la résidence de la Convention dans ses murs, et empêcher que la contre-révolution ne s'opérât dans son sein, comme dans tant de villes renommées d'abord par leur civisme. Paris conservera aux détenus leur inviolabilité; il ne veut point s'arroger plus que sa portion de pouvoir, et il attend avec respect le jugement des autres départemens et du souverain. Mais de quelque manière que des aristocrates déguisés, et des riches négocians de Lyon, de Bordeaux et de Marseille, prennent une mesure qui était commandée par la suprême loi, la nécessité de sauver la République, Paris jouit d'avance des regards et du suffrage de la postérité plus reconnaissante. Il ne renoncera point à la gloire que lui assure son patriotisme, soutenu depuis le commencement de la révolution. Il ne transigera ni avec le despotisme, ni avec le modérantisme. On lui devra le bonheur du monde, et une constitution le modèle des gouvernemens libres, ou il périra glorieusement sur les coups des tyrans et de l'aristocratie; et s'il était vrai que dans cette entreprise si belle, et dont la gloire devait être commune à tous les Français, il fût abandonné de quelques cités puissantes; s'il étoit vrai que les intrigues de l'aristocratie eussent prévalu pour toujours à Lyon et à Bordeaux, que Marseille n'eût pu résister à la contagion du séjour de deux ou trois Capet, et que de nos grandes cités naguère si républicaines, Paris seul appelât aujourd'hui la haine et les vengeances des rois, eh bien! Paris est résolu à mériter de plus en plus la colère des tyrans et à s'ensevelir sous

ses ruines, plutôt que de renoncer à la conquête de la liberté ; il défendra jusqu'à la mort cet héritage commun de la France, au partage duquel elle a appelé tous les peuples, et il n'opposera point à la ligue des despotes seulement trois cents hommes, comme Léonidas, mais il trouvera dans son sein deux cent mille soldats qui auraient le courage des Spartiates; et s'il succombait, si, comme l'en a menacé le président Isnard, on pouvait chercher un jour sur quelle rive de la Seine Paris a existé, alors, comme a si bien répondu la pétition du département de Paris, ces ruines, cette place où il exista, seraient consacrées à jamais par la religion des peuples, et le voyageur attendri viendrait y pleurer le néant des espérances de l'homme de bien, et l'impuissance des efforts d'un grand peuple, pour rendre le genre humain heureux et libre.

Mais non, citoyens, frères et amis de tous les départemens, lorsque Paris, qui ne florissait que de la monarchie, qui n'existait que de la monarchie, a fait la République, vous auriez trop de honte de tenir plus mal que les Parisiens le serment de la maintenir; vous applaudirez à l'insurrection généreuse et pacifique du 31 mai et au décret d'arrestation des traîtres. Ah! si comme nous, vous aviez été témoins oculaires, aux tribunes, des scandales de la Convention, provoqués par une faction liberticide et désorganisatrice, scandales dont on ne vous faisait que des récits infidèles (tous ou presque tous les journaux, et même Carra et Prudhomme, étant plus ou moins dévoués à cette faction); si vous aviez eu à supporter comme les Parisiens huit mois d'une calonnie infatigable au milieu de la Convention, et en votre présence; si vous aviez vu avec quelle tenue pendant ces huit mois ils s'appliquaient à agiter les propriétaires par l'absurde mensonge d'une loi agraire, et les sans-culottes par le renchérissement des denrées; comme ils aigrissaient les dépar temens contre Paris, le riche contre le pauvre, les villes contre les campagnes, et toute l'Europe contre la France; comme ils corrompaient le pouvoir exécutif et les états-majors; comme ils flagornaient Dumourier et diffamaient Pache; comme ils fai

saient sortir des prisons l'auteur du Journal Français, et les plus impudens contre-révolutionnaires, pour y envoyer l'auteur de l'Ami du peuple et les patriotes les plus prononcés; comme ils mentaient dans leurs journaux; comme, dans leurs placards, leurs discours et leurs correspondances, ils soufflaient pour ranimer les cendres tièdes de la monarchie, pour attiser les haines contre Paris, pour opérer leur grand œuvre, l'objet de tous leurs vœux, le démembrement de la République; si vous aviez vu surtout avec quelle impudence ces hypocrites, défenseurs de la glacière d'Avignon, qui avaient aliéné de nous l'Angleterre, l'Irlande, les Belges, la Hollande, nous avaient mis en guerre avec toute l'Europe, avaient couvert la France de deuil, les colonies de ruines, et fait périr plus de deux cent mille hommes; pour rendre Paris odieux, ne parlaient d'autre chose que du sang impur versé à l'Abbaye, à Bicêtre et aux prisons, et versé en grande partie par des Marseillais et des fédérés, mais que ces lâches sycophantes voulaient faire retomber sur la tête des Parisiens; si vous aviez été témoins comme nous de tant d'indignités et de perfidies il y a longtemps que vous auriez fait l'insurrection. Et si nous avons éclaté si tard, c'est que c'était nous qui étions calomniés. Depuis ce moment, la crainte de la nation a été pour le côté droit le commencement de la sagesse. Les passions se taisent, la Convention marche, les bons décrets se succèdent avec rapidité, et la France aura une constitution avant la fin du mois. Mais, frères et amis, venez nous juger vous-mêmes. La Convention a décrété un rassemblement de la grande famille, et une fête générale le 10 août, au champ de la Fédération; jamais la France n'eut plus grand besoin de se rattacher ainsi à elle-même. Venez dans nos murs; nos maisons, nos bras vous sont ouverts; vous verrez que les hommes du 5 juin sont les mêmes hommes du 14 juillet et du 10 août, et vous les trouverez encore dignes de vous, dignes d'être les gardiens de la Convention; nos embrassemens se confondront, nos piques s'entrelaceront autour de l'autel de la patrie, et la coalition des rois tremblera encore de

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