Page images
PDF
EPUB

tout tenir compte de la personnalité de l'écrivain, de ses qualités et de ses défauts? Sinon, ne s'expose-t-on pas à cette raillerie d'un romantique : « Une des maladies de la critique, c'est de ne vouloir d'un poète que les qualités qu'il n'a pas. Que de critiques se désolent de ne pas pouvoir cueillir les raisins aux pêchers ! » La critique doit être un enseignement: elle est féconde quand elle s'adresse au public, stérile quand elle s'adresse à l'auteur, quand elle le morigène et lui fait la leçon.

G. Planche, pour ne prendre que cet exemple, fit la leçon à V. Hugo.

G. Planche a été fort malmené par les disciples du maître 2, avec quelque raison; esprit très solide, mais tout d'une pièce, il s'était mépris du tout au tout sur le rôle du critique et, prenant fort mal à propos le ton d'un pédagogue, il avait corrigé comme un devoir les drames de V. Hugo; l'indocilité de l'élève excita l'indignation du professeur.

3

Tandis que les autres protestaient au nom de la morale 3, G. Planche s'indignait au nom du goût, de son goût à lui. V. Hugo, au lieu de croire le critique, préférait-il le jugement de ses amis? « Le poète qui se résout à l'apothéose, qui se réfugie dans la divinité, ne relève pas de la critique qui le plaint sans le juger 1. »

1. Profils et grimaces, p. 144.

2. Profils et grimaces, p. 149, et par A. Dumas : « Planche.... que le chien de la haine n'avait pas encore mordu, et qui n'avait que des dispositions à devenir enragé plus tard. » Mémoires, t. VI, p. 25.

3. Ses drames, révoltants de cynisme et d'impureté. » Moniteur du 8 novembre 1833. A propos du Roi s'amuse, le Moniteur accuse V. Hugo de prostituer la scène française par une orgie de mauvais lieu », 25 novembre 1832.

4. Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1838.

Hugo se laisse-t-il aller à une colère bien explicable? S'il était sincèrement pénétré de l'injustice des attaques dirigées contre lui, il abandonnerait au temps, à la vérité, le soin de le venger 1. » Et pourtant l'indignation n'était-elle pas très naturelle contre un écrivain qui, dans un article fourmillant d'erreurs, osait, à propos de Ruy Blas, écrire : « Contre une telle bévue, il n'y a rien à dire. Le blâme hésite, la colère balbutie; on se résigne à la pitié. » Enfin, perdant toute retenue : « De cet orgueil démesuré à la folie, il n'y a qu'un pas, et ce pas, M. Hugo vient de le franchir, en écrivant Ruy Blas 2. » Sans doute, on pourrait retourner contre le critique une de ses phrases, et répondre qu'il parlait de V. Hugo avec une légèreté qui pourrait s'appeler dédain, si elle ne méritait pas le nom d'ignorance » 3. Mais c'est trop peu ces mauvais articles étaient de mauvaises actions; une pareille critique, inutile au fond, aurait dû être au moins inoffensive dans la forme, et elle ne l'était pas elle exaspérait le poète. On ne s'étonne pas qu'après de telles injures, V. Hugo en vint à nier absolument toute critique, à écrire la célèbre formule : « J'admire tout comme une brute 1. »

[ocr errors]

La critique dogmatique, répétons-le, est bonne si elle veut exposer ses dogmes au public, elle est mauvaise si elle veut les imposer aux auteurs. Elle a souvent découragé les poètes. « Au Cid persécuté, Cinna doit sa naissance,» dit Boileau. Peut-être. A coup sûr, aux

1. Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1838.

2. Ibid., 15 novembre 1838.

3. Ibid., 15 mars 1838, p. 748.

4. Philosophie, t. II, p. 296.

[ocr errors][merged small]

critiques de Scudéry, Corneille répondait par trois années de silence, trois années dans sa pleine maturité, au moment où il composait presque un chef-d'œuvre par an. Peut-être, ajoutait Boileau pour consoler Racine,

Ta plume, aux censeurs de Pyrrhus

Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.

En revanche, nous devons aux attaques contre Phèdre les douze années d'inaction qui suivirent.

Les romantiques se résignèrent moins facilement; aux attaques violentes ils répondirent violemment. On ne peut que le regretter. Les observations avaient été des provocations: les réponses furent des ripostes. Nous n'avons pas à décider de quel côté dans ce duel étaient les torts; mais nous serions assez de l'avis de Ponsard : « Quelle raison a-t-on d'outrager un homme qui a passé victorieusement par les douleurs de la composition, et de le traiter un peu plus mal que s'il avait manqué à sa parole, ou ruiné deux ou trois familles? 1

1. OEuvres, t. III, p. 361.

CHAPITRE XII

LE ROMANTISME DEVANT LE PUBLIC

Les spectateurs, du reste, ont consolé les auteurs des sévérités des critiques. Nous ne parlons pas, bien entendu, des premières représentations. Ce n'étaient pas des parties de plaisir, mais des affaires d'honneur entre classiques et romantiques. Prenons, en effet, la plus célèbre, la première d'Hernani. On en connaît tous les incidents ce que l'on connaît moins, c'est l'opinion intime des spectateurs. Chacun était allé là, décidé à pousser, qui des cris d'indignation, qui des cris d'admiration : « On ne pouvait lui jurer une haine modérée, on ne pouvait pas l'aimer d'un tiède amour! Ah! le monstre! ah! le grand homme! ah! le poète! ah! le misérable! 1»

L'admiration était peut-être plus vive que l'indignation, parce que les amis étaient plus jeunes que les ennemis; J. Janin écrivait presque tristement, plus tard : « Qui nous les rendra, ces fêtes poétiques? Qui nous les rendra, ces heures fébriles de l'attente au

1. J. Janin, liv. cit., t. IV, p. 166. Cf. Dumas, Mémoires, t. VI, p. 17.

premier rendez-vous que nous donnait le drame nouveau1? » Et, dans ce retour d'émotion, justifiant le mot de Sainte-Beuve, le critique redevient poète : « 0 larmes que nous versions quand nous étions jeunes, à ces scènes pathétiques: O blanches visions de ce drame enchanté 2! »

Les classiques, de leur côté, ne cachaient pas leur fureur et leur mépris. Mais ces emportements, très sincères sur le moment, duraient-ils? Le romantique, sorti du théâtre, ne devait-il pas faire ses réserves? Le classique ne devait-il pas s'avouer à lui-même ce qu'il n'aurait jamais reconnu en discutant qu'il y avait des beautés étranges et neuves dans ce fatras?

Quant au vrai spectateur, qui n'allait pas à Hernani comme à une bataille, mais comme à un plaisir, il devait se trouver un peu désorienté. Osait-il avoir une opinion moyenne entre les deux extrêmes? Pouvait-il trouver tout bonnement intéressant et émouvant, un drame que son voisin de droite déclarait exécrable, et son voisin de gauche sublime? Du reste, ce spectateur de bonne foi aura bientôt sa revanche. En somme, au théâtre, c'est à la foule qu'appartient le dernier mot.

Or justement, à partir d'Hernani, on peut constater à chaque représentation, soit reprise, soit drame nouveau, un triple mouvement dans le public. La critique ne désarme pas, au contraire; les admirateurs a priori se dispersent peu à peu; la foule, au contraire, vient au drame.

Parmi les fidèles, quelques-uns disparaissaient : Sainte

1. Liv. cit., t. III, p. 162.

2. Ibid., t. IV, p. 157.

« PreviousContinue »