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MADAME BEVERLEY.

Jarvis, laissons cela. Ce n'est point M. Beverley, c'est son indigence qui vous a renvoyé.

JARVIS.

Est-il donc si pauvre ?... Hélas! ce cher maître, il fut autrefois la joie de mon cœur... Est-ce que ses créanciers ne lui ont rien laissé ? Est-ce qu'ils ont fait vendre sa maison ?... Il n'était pas plus grand que cela, quand son père la fit bâtir. Je le portais dans ces bras, il y a longtemps. Cependant je m'en souviens. Lorsque quelque pauvre venait à nous, il me disait : « Mais, Jarvis, est-ce qu'il y a des pauvres? Je ne souffrirai jamais que vous le deveniez, vous. Si j'étais roi, il n'y en aurait point. » Tout enfant qu'il était, il était plein de cœur. Oui, il en était plein; mais il était en même temps si bon, qu'un moucheron l'eût piqué qu'il ne l'eût pas écrasé.

MADAME BEVERLEY.

Charlotte, parlez-lui donc; pour moi, je ne saurais.

CHARLOTTE.

Il faut d'abord que j'essuie mes larmes.

JARVIS.

J'ai là quelque argent. Il pourrait y en avoir un peu davantage; mais j'ai aussi aimé à soulager les pauvres. Ce qu'ils m'en ont laissé, madame, est à vous.

MADAME BEVERLEY.

Non, Jarvis, nous ne manquons pas encore tout à fait. Je vous remercie de vos offres, et je m'en souviendrai.

JARVIS.

Mais verrai-je mon maître? Me permettrait-il de rentrer ici et de partager sa détresse? Madame, je ne lui coûterai rien. Je ne saurais vous exprimer la peine qu'il me ferait de me refuser. Pourriez-vous me dire où je le trouverais?

ici.

MADAME BEVERLEY.

Il n'est pas à la maison. Jarvis, vous le verrez une autre fois.

CHARLOTTE.

Demain ou après, le matin. Bon homme, tout a bien changé

JARVIS.

Je ne m'en aperçois que trop, et le cœur m'en saigne. Cependant il me semble... Mais voici quelqu'un.

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Mesdames, j'ai l'honneur de vous souhaiter le bonjour. Monsieur Jarvis, votre serviteur. Madame, oserai-je vous demander où est mon ami?

MADAME BEVERLEY.

J'allais vous faire la même question. Est-ce que vous ne l'avez point vu aujourd'hui?

STUKELY.

Non, madame.

CHARLOTTE.

Ni la nuit dernière.

STUKELY.

La nuit dernière! Est-ce qu'il n'est pas rentré?

MADAME BEVERLEY.

Non, n'étiez-vous pas ensemble?

STUKELY.

Pardonnez-moi, madame; du moins une partie de la soirée; mais depuis nous ne nous sommes pas revus. Où se sera-t-il arrêté?

CHARLOTTE.

Monsieur, j'aurais une question à vous faire; c'est comment vous entretenez la fureur du jeu dans un homme que vous appelez votre ami?

STUKELY.

Madame, cette question n'est pas nouvelle. J'ai déjà eu l'honneur de vous répondre plusieurs fois qu'un de mes plus

grands chagrins était de ne pouvoir guérir M. Beverley de sa manie. M. Beverley, madame, n'est pas un enfant. Après qu'on lui a fait les représentations que l'amitié peut autoriser, tout est dit. Il est vrai que ma bourse ne lui a jamais été fermée. Ma fortune n'en est pas mieux pour cela. Si c'est là ce qu'on veut appeler encourager au jeu son ami, il faut que je m'avoue coupable dans le fait mais j'avais un autre dessein.

:

MADAME BEVERLEY.

J'en suis sûre, monsieur, et je vous en ai mille obligations. Mais la nuit dernière où le laissâtes-vous?

STUKELY.

Chez Wilson, madame, puisqu'il faut vous le dire, et avec des gens qui ne me plaisaient pas. Peut-être est-il encore là? M. Jarvis connaît l'endroit, je crois.

Irai-je, madame ?

JARVIS.

MADAME BEVERLEY.

Non, il s'en offenserait peut-être.

CHARLOTTE.

Il pourrait y aller comme de lui-même.

STUKELY.

Et sans qu'il soit question de moi, madame, s'il vous plaît. Chacun a son défaut, et j'ai le mien. Le mieux sans doute eût été de cacher le faible de mon ami. Mais je ne sais comme cela se fait, et je n'ai ni secret ni réserve ici.

JARVIS.

Je voudrais bien aller, et voir mon maître.

MADAME BEVERLEY.

Jarvis, allez donc; mais écoutez-vous quand vous lui parlerez. Songez que je suis son épouse, et qu'il n'a pas encore entendu de ma bouche un reproche.

JARVIS.

Et que ne puis-je le secourir et le consoler!

SCÈNE IV.

MADAME BEVERLEY, CHARLOTTE, STUKELY.

STUKELY.

Cependant, madame, ne vous alarmez pas trop. Il y a dans la vie un temps où l'homme s'égare, et un temps où il revient de ses erreurs. Peut-être mon ami n'en est-il pas encore au retour... Il a un oncle... Cet oncle apparemment ne sera pas éternel... Il est permis d'entrevoir dans l'avenir, et d'espérer que la perte d'une première fortune aura appris à mon ami à connaître le prix d'une seconde. (on frappe rudement à la porte.)

MADAME BEVERLEY.

J'ai entendu, je crois... on a frappé... Ce n'est pas lui. Non, ce ne l'est pas. M. Beverley ne frappe pas de la sorte... Que ne me trompé-je! plût au ciel! Dieu, faites qu'il ne lui arrive rien de mal!

STUKELY.

Et quel mal voulez-vous qu'il lui soit arrivé ou qui lui arrive? Il est bien, vous serez bien, tout sera bien. (on frappe rudement à la porte.)

MADAME BEVERLEY.

Il me semble aussi qu'on frappe un peu trop rudement... Est-ce qu'il n'y a personne là?... Aucun de vous ne peut-il aller voir et répondre ?... Aucun de vous !... Qu'ai-je dit! Je n'y pense pas. Je m'oublie. Je n'y suis pas encore faite.

CHARLOTTE.

J'y vais, ma sœur. Surtout tâchez de vous tranquilliser. Charlotte sort.)

STUKELY.

Madame aurait-elle quelque sujet particulier d'inquiétude ?

MADAME BEVERLEY.

Non, monsieur. C'est l'état où l'absence de M. Beverley me laisse toujours... Je n'entends point frapper sans craindre quelque fâcheuse nouvelle.

STUKELY.

Vous vous troublez aussi un peu trop légèrement pour une

nuit !... Mais l'amour ne va point sans le soupçon... Cependant avec les charmes qu'on vous voit et le mérite qu'on vous accorde unanimement...

MADAME BEVERLEY.

Monsieur, que voulez-vous dire? Si j'avais une pensée qui fût injurieuse à mon mari, ce serait la première.

STUKELY.

Il est certain qu'une crainte pareille serait également indigne de vous et de lui... Mais le monde est bien méchant. Il est plein d'âmes corrompues qui cherchent à secouer sur les autres une partie de leur honte. On se plaît à généraliser ses vices. On les excuse par ce moyen, et l'on disparaît dans la multitude des coupables... Mais vous êtes la prudence même... Vous vous êtes proposé d'être heureuse, et tout mauvais propos trouvera vos oreilles fermées... Ce serait un très-grand malheur que d'y ajouter la moindre foi.

MADAME BEVERLEY.

Un très-grand malheur ? dites le plus grand de tous. Croire contre sa conscience, sa conviction, son expérience... cela ne se peut... Mais à quoi bon tous ces propos ?

STUKELY.

A vous prévenir peut-être contre de faux bruits. La moitié des hommes se plaît à médire de l'autre. Et puis il est incroyable comme on appuie sur des misères... En tout cas, si quelque conte impertinent arrivait jusqu'à vous, vous savez, je crois, à présent, le cas que vous en devez faire.

MADAME BEVERLEY.

Si quelque conte impertinent... Mais quel conte? de qui? sur quoi ?... qui est-ce qui osera ?... Monsieur, je ne sais rien, je ne veux rien savoir. Je n'ai rien entendu, je ne veux rien entendre... On me dirait... oui, on me dirait... qu'avec tous les torts que je lui sais, on ne réussirait point à me rendre ses mœurs suspectes... Non, non, mon époux est mon premier ami, mon plus proche appui, mon repos, ma joie, ma sûreté au milieu des orages qui peuvent s'élever autour de moi... (Stukely soupire et baisse la vue.) Vous soupirez... Pourquoi soupirez-vous?...

STUKELY.

Madame, je vous écoutais... S'il m'est échappé un soupir,

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