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qu'il lui plaira; car tous ces mouvements sont particuliers, et ces notions sont universelles, qui n'ont aucune affinité ni rapport avec le mouvement.

Néanmoins, dans l'article quatorzième, appuyé sur ce beau fondement, il continue d'assurer que l'idée même de Dieu qui est en nous ne vient pas de la faculté que nous avons de penser, comme une chose qui lui soit naturelle, mais qu'elle vient de la révélation divine, ou de la tradition, ou de l'observation des choses. Et, pour mieux reconnoître l'erreur de cette assertion, il faut considérer qu'on peut dire en deux façons qu'une chose vient d'une autre; à savoir, ou parceque cette autre en est la cause prochaine et principale, sans laquelle elle ne peut être, ou parcequ'elle en est la cause éloignée et accidentelle seulement, qui donne occasion à la principale de produire son effet en un temps plutôt qu'en un autre. C'est ainsi que tous les ouvriers sont les causes principales et prochaines de leurs ouvrages, et que ceux qui leur ordonnent de les faire, ou qui leur promettent quelque récompense s'ils les font, en sont les causes accidentelles et éloignées, à cause que peut-être ils ne les feroient point si on ne leur commandoit. Or, il n'y a point de doute que la tradition, ou l'observation des choses, ne soit souvent la cause éloignée qui fait que nous venons à penser à l'idée que nous pouvons avoir de Dieu, et à la rendre présente à notre es

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prit; mais que c'en soit la cause prochaine, et effectrice de cette idée, cela ne se peut dire que par celui qui croit que nous ne concevons jamais rien autre chose de Dieu, sinon quel est ce nom-là, Dieu, ou quelle est la figure corporelle sous laquelle il nous est ordinairement représenté par les peintres. Car, de vrai, si l'observation s'en fait par la vue, elle ne peut d'elle-même représenter autre chose à l'esprit que des peintures, et même des peintures dont toute la vérité ' ne consiste que dans celle de certains mouvements corporels, comme notre auteur même l'enseigne; si elle se fait par l'ouïe, elle ne peut représenter que des sons et des paroles; que, si c'est par les autres sens qu'elle se fasse, une telle observation ne sauroit rien contenir qui puisse être rapporté à Dieu. Et certes, c'est une chose si véritable que la vue ne représente de soi rien autre chose à l'esprit que des peintures, ni l'ouïe que des sons et des paroles, que personne ne le révoque en doute; si bien que tout ce que nous concevons de plus que ces paroles et ces peintures, comme les choses signifiées par ces signes, doit nécessairement nous être représenté par des idées, qui ne viennent point d'ailleurs que de la faculté que nous avons de penser, et qui par conséquent sont naturellement en elle, c'est-à-dire sont

Les éditions: variété.

2 Les éditions: celles.

toujours en nous en puissance; car être naturellement dans une faculté ne veut pas dire y être en acte, mais en puissance seulement, vu que le nom même de faculté ne veut dire autre chose que puissance. Or personne, s'il ne veut passer ouvertement pour un athée, et même pour un homme qui a perdu le sens, ne peut assurer que nous ne saurions rien connoître de Dieu que le nom ou la figure corporelle dont les peintres ou les sculpteurs se servent pour nous le représenter.

pu

Après que notre auteur a exposé l'opinion qu'il a touchant la manière dont nous pouvons connoître Dieu, il réfute, dans l'article quinzième, tous les arguments par lesquels j'ai démontré son existence; où je ne puis que je n'admire la grande confiance ou présomption de cet homme de croire qu'il puisse, avec tant de facilité et en si peu de paroles, renverser tout ce que j'ai composé après une longue et sérieuse méditation, et que je n'ai expliquer que dans un livre entier. Toutes les raisons que j'ai apportées pour cette preuve se rapportent à deux. La première est que nous avons une connoissance de Dieu ou une idée qui est telle, que, si nous faisons bien réflexion sur ce qu'elle contient, si nous l'examinons avec soin, en la manière que j'ai montré qu'il falloit faire, la seule considération que nous en ferons nous fera connoître qu'il ne se peut pas faire que Dieu

n'existe, d'autant que sa notion ou son idée ne contient pas seulement une existence possible ou contingente, ainsi que celles de toutes les autres choses, mais bien une existence absolument nécessaire et actuelle. Cependant l'auteur de ce placard, pour réfuter cette preuve, que plusieurs grands personnages, éminents par-dessus les autres en esprit et en science, après l'avoir diligemment examinée, tiennent aussi bien que moi pour une certaine et très évidente démonstration, emploie ce peu de paroles: La notion que nous avons de Dieu, ou cette idée de Dieu qui est existante en notre esprit, n'est pas un argument assez fort et convaincant pour prouver que Dieu existe, puisqu'il est certain que toutes les choses dont nous avons en nous les idées n'existent pas actuellement. Par où il faut voir, à la vérité, qu'il a lu mes écrits; mais, même moyen, il témoigne qu'il n'a pu en aucune façon les entendre, ou du moins qu'il ne l'a pas voulu; car la force de mon argument n'est pas prise de la nature de cette idée, considérée en général, mais d'une propriété particulière qui lui convient, laquelle est très évidente en l'idée que nous avons de Dieu, et qui ne se peut rencontrer dans l'idée de quelque autre chose que ce soit; c'est à savoir, de la nécessité de l'existence qui est requise pour le comble et l'accomplissement des perfections sans lequel nous ne saurions concevoir

par

Dieu. L'autre argument par lequel j'ai démontré qu'il y a un Dieu, est pris de ce que j'ai évidemment prouvé que nous n'aurions point eu la faculté de connoître et de concevoir toutes ces perfections que nous reconnoissons en Dieu, s'il n'étoit vrai que Dieu existe, et que nous avons été créés par lui. Mais notre auteur pense l'avoir abondamment réfuté en disant, que l'idée que nous avons de Dieu n'est pas plus au-dessus de la portée de notre esprit ou de notre pensée, et n'excède pas davantage la vertu naturelle que nous avons de penser, que l'idée d'aucune autre chose que ce soit. Toutefois, si par là il entend seulement que l'idée que nous avons de Dieu, sans le secours surnaturel de la grâce, ne nous est pas moins naturelle que le sont toutes les autres idées que nous avons des autres choses, il est de mon avis, mais on ne peut de là rien conclure contre moi que s'il estime que cette idée de Dieu ne contient pas plus de perfection objective que toutes les autres idées prises ensemble, il erre manifestement; or, c'est de ce seul excès de perfection, dont l'idée que nous avons de Dieu surpasse toutes les autres, que j'ai tiré mon argu

ment.

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Dans les six autres articles il ne dit rien qui mérite d'être remarqué, sinon que, voulant distinguer les propriétés de l'âme les unes d'avec les autres, il en parle en termes fort confus et fort impropres.

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