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que, qu'on nomme ironie, vers la fin du neuvième article; mais au commencement il ajoute la raison de ce qu'il avance: c'est pourquoi il y a lieu de croire qu'en cet endroit-là il parle tout de bon, et qu'il agit de bonne foi. Voici ce qu'il dit : Il est naturellement incertain si nous apercevons véritablement aucun corps; et la raison qu'il en apporte est que les choses qui ne sont qu'imaginaires peuvent aussi bien faire impression sur l'esprit que celles qui sont vraies. Mais cette raison ne peut être bonne, si l'on suppose que nous ne pouvons en aucune façon nous servir de cette faculté que les philosophes appellent d'un nom propre l'entendement, mais seulement de celle qu'ils nomment le sens commun, dans laquelle les images des choses soit vraies soit imaginaires sont reçues pour toucher l'esprit, et qu'ils disent nous être commune avec les bêtes. Mais certes ceux qui ont de l'entendement, et qui ne ressemblent pas tout-à-fait aux chevaux et aux mulets, encore qu'ils ne soient pas seulement touchés par les images que la présence des choses vraies imprime dans le cerveau, mais aussi par celles que d'autres causes y excitent, comme il arrive dans les songes; ceux-là, dis-je, discernent néanmoins très clairement par la lumière de la raison les unes d'avec les autres. Et j'ai expliqué si nettement et si exactement dans mes écrits par quel moyen cela se peut infaillible

ment reconnoître, que je m'assure qu'il n'y a personne, qui ait un peu d'entendement, qui après les avoir lus puisse être encore en cela sceptique.

Dans les dixième et onzième articles, il y a encore lieu de soupçonner qu'il ne parle pas tout de bon: car si l'on croit que l'âme soit une substance, il est ridicule et impertinent de dire que le lien qui tient l'âme unie et conjointe au corps n'est autre que la loi de l'immutabilité de la nature, qui est telle, que chaque chose demeure en l'état qu'elle est : car les choses qui sont séparées, aussi bien que celles qui sont conjointes, demeurent dans leur même état, pendant que rien ne le change; mais ce n'est pas de quoi il s'agit en ce lieu-là, mais bien de savoir comment et par quel moyen l'esprit est joint avec le corps, et n'en est pas séparé. Mais si l'on suppose que l'âme soit un mode du corps, c'est bien répondre que de dire qu'il ne faut point chercher d'autre lien par quoi elle lui soit conjointe, sinon qu'elle demeure dans le même état où elle est; d'autant que les modes n'ont point d'autre état ou d'autre manière d'être que celui d'être attachés ou inhérents aux choses dont ils sont les modes.

Dans le douzième article, je trouve qu'il n'est différent de ce que je dis qu'en la manière de s'exprimer car quand il dit que l'esprit n'a pas

besoin d'idées, ou de notions, ou d'axiomes qui soient nés, ou naturellement imprimés en lui, et que cependant il lui attribue la faculté de penser, c'està-dire une faculté naturelle et née avec lui, il dit en effet la même chose que moi, quoiqu'il me semble ne le pas dire. Car je n'ai jamais écrit ni jugé que l'esprit ait besoin d'idées naturelles qui soient quelque chose de différent de la faculté qu'il a de penser mais bien est-il vrai que, reconnoissant qu'il y avoit certaines pensées qui ne procédoient ni des objets du dehors, ni de la détermination de ma volonté, mais seulement de la faculté que j'ai de penser, pour établir quelques différence entre les idées ou les notions qui sont les formes de ces pensées, et les distinguer des autres qu'on peut appeler étrangères, ou faites à plaisir, je les ai nommées naturelles; mais je l'ai dit au même sens que nous disons que la générosité, par exemple, est naturelle à certaines familles, ou que certaines maladies, comme la goutte ou la gravelle, sont naturelles à d'autres, non pas que les enfants qui prennent naissance dans ces familles soient travaillés de ces maladies aux ventres de leurs mères, mais parcequ'ils naissent avec la disposition ou la faculté de les contracter.

Mais remarquez, je vous prie, la belle conséquence que, dans l'article treizième, il tire du précédent. Il avoit dit en cet article que l'esprit n'a

pas besoin d'idées qui soient naturellement imprimées en lui, mais que la seule faculté qu'il a de penser lui suffit pour exercer ses actions; c'est pourquoi, conclut-il dans celui-ci, toutes les communes notions qui se trouvent empreintes en l'esprit tirent toutes leur origine ou de l'observation des choses ou de la tradition: comme si la faculté de penser qu'a l'esprit ne pouvoit d'elle-même rien produire, et qu'elle n'eût jamais aucunes perceptions ou pensées que celles qu'elle a reçues de l'observation des choses ou de la tradition, c'est-à-dire des sens. Ce qui est tellement faux, que quiconque a bien compris jusqu'où s'étendent nos sens, et ce que ce peut être précisément qui est porté par eux jusqu'à la faculté que nous avons de penser, doit avouer au contraire qu'aucunes idées des choses ne nous sont représentées par eux telles que nous les formons par la pensée; en sorte qu'il n'y a rien dans nos idées qui ne soit naturel à l'esprit, ou àla faculté qu'il a de penser; si seulement on excepte certaines circonstances qui n'appartiennent qu'à l'expérience. Par exemple, c'est la seule expérience qui fait que nous jugeons que telles ou telles idées, que nous avons maintenant présentes à l'esprit, se rapportent à quelques choses qui sont hors de nous; non pas, à la vérité, que ces choses les aient transmises en notre esprit par les organes des sens telles que nous les sentons, mais à cause qu'elles

ont transmis quelque chose qui a donné occasion à notre esprit, par la faculté naturelle qu'il en a, de les former en ce temps-là plutôt qu'en un autre. Car, comme notre auteur même assure dans l'article dix-neuvième, conformément à ce qu'il a appris de mes Principes, rien ne peut venir des objets extérieurs jusqu'à notre âme, par l'entremise des sens, que quelques mouvements corporels; mais ni ces mouvements mêmes, ni les figures qui en proviennent, ne sont point conçus par nous tels qu'ils sont dans les organes des sens, comme j'ai amplement expliqué dans la Dioptrique; d'où il suit que même les idées du mouvement et des figures sont naturellement en nous. Et, à plus forte raison, les idées de la douleur, des couleurs, des sons, et de toutes les choses semblables, nous doivent-elles être naturelles, afin que notre esprit, à l'occasion de certains mouvements corporels avec lesquels elles n'ont aucune ressemblance, se les puisse représenter. Mais que peut-on feindre de plus absurde que de dire que toutes les notions communes qui sont en notre esprit procèdent de ces mouvements, et qu'elles ne peuvent être sans eux. Je voudrois bien que notre auteur m'apprît quel est le mouvement corporel qui peut former en notre esprit quelque notion commune; par exemple, celle-ci, Que les choses qui conviennent à une troisième conviennent entre elles, ou telle autre

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