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cherche du raisonnement humain, comme la quadrature du cercle, la pierre philosophale, et autres semblables. Et comme ceux-là abusent des

paroles de la sainte Écriture, qui, par quelque mauvaise explication qu'ils leur donnent, croient en pouvoir déduire ces dernières; de même aussi ceux-là dérogent à son autorité, qui entreprennent de démontrer les premières par des arguments tirés de la seule philosophie : mais néanmoins tous les théologiens soutiennent que l'on: peut entreprendre de montrer que celles-là même ne répugnent point à la lumière de la raison, et c'est en cela qu'ils mettent leurs principales études. Mais pour les secondes, non seulement ils estiment qu'elles ne répugnent point à la lumière naturelle, mais même ils exhortent et encouragent les philosophes de faire tous leurs efforts pour tâcher de les démontrer par des moyens humains, c'est-à-dire tirés des seules lumières de la raison. Mais je n'ai encore jamais vu personne qui assurât qu'il ne répugne point à la nature des choses qu'une chose soit autrement

la sainte Écriture nous enseigne qu'elle est, que si ce n'est qu'il voulût montrer indirectement qu'il ajoute peu de foi à cette Écriture. Car comme nous avons été premièrement hommes, il n'est pas croyable que, faits chrétiens, quelqu'un embrasse sérieusement et tout de bon des opinions

qu'il juge contraires à la raison qui le fait homme, pour s'attacher à la foi par laquelle il est chrétien. Mais peut-être aussi que notre auteur ne dit pas cela, car il dit seulement que ce qui de sa nature peut être douteux pour quelques uns, nous est maintenant devenu certain et indubitable par la révélation qui nous en a été faite dans les saintes lettres ; dans lesquelles paroles je trouve encore deux contradictions: la première, en ce qu'il suppose

que

l'essence d'une seule et même chose est douteuse de sa nature, et par conséquent sujette au changement; car il répugne que l'essence d'une chose ne demeure pas toujours la même, à cause que si l'on suppose qu'elle devienne autre qu'elle n'étoit, de cela même ce ne sera plus la même chose, mais une autre, qu'il faudra appeler d'un autre nom. La seconde est dans ces mots pour quelques uns, d'autant que tous les hommes ayant une même nature, ce qui ne peut être douteux que pour quelques uns n'est pas douteux de sa na

ture.

L'article cinquième doit plutôt être rapporté au second que non pas au quatrième; car notre auteur ne parle point en cet article de la révélation divine, mais de la nature de l'esprit, savoir s'il est une substance ou un mode; et pour montrer que l'on peut soutenir qu'il n'est autre chose qu'un mode, il tâche de résoudre une objection qui est

prise de mes écrits. Car j'ai écrit en quelque endroit que nous ne pouvions nous-mêmes douter de l'existence de notre esprit, parceque de cela même que nous doutons, il suit nécessairement que notre esprit existe; mais que dans ce tempslà même nous pouvions douter qu'il y eût aucun corps au monde: d'où j'ai inféré et démontré que nous concevions clairement notre esprit comme une chose existante, ou comme une substance, encore que nous ne conçussions aucun corps comme existant, ou même que nous niassions qu'il y en eût aucun dans le monde; d'où il suit que la notion de l'esprit ne contient rien en soi qui appartienne en aucune façon à la notion du corps, Et toutefois notre auteur pense comme dissiper et réduire en fumée tout ce raisonnement, et en faire voir suffisamment la foiblesse, lorsqu'il dit que cet argument prouve seulement que pendant que nous doutons de l'existence du corps, nous ne pouvons pas alors dire que l'esprit en soit un mode, où il fait voir qu'il ignore entièrement ce que les philosophes entendent par le nom de mode; car c'est en cela que consiste la nature du mode, de ne pouvoir aucunement être conçu, sans enfermer dans sa notion celle de la chose dont il est le mode, comme j'ai déjà expliqué ci-dessus; cependant il demeure d'accord que l'esprit peut quelquefois être conçu sans le corps, à savoir, lors

qu'on doute de l'existence du corps: d'où il suit que pour lors au moins il ne peut être dit un mode du corps. Or est-il que ce qui est une fois vrai de l'essence ou de la nature d'une chose est toujours vrai; et néanmoins il ne laisse pas d'assurer qu'il ne répugne à la nature des choses que l'esprit soit seulement un mode du corps; mais il est évident que ces deux choses se contrarient.

Je ne comprends point ce qu'il veut dire dans le sixième article par ces paroles : Quoique l'esprit humain ou l'âme raisonnable soit une substance distincte réellement du corps, néanmoins, pendant qu'elle est dans le corps, elle est organique en toutes ses actions. Je me souviens bien d'avoir autrefois ouï dire dans les écoles, que l'âme est l'acte du corps organique; mais qu'elle-même soit organique, je confesse que je ne l'avois point encore ouï dire jusqu'à présent : c'est pourquoi, comme je n'ai ici rien de certain que je puisse écrire, je supplie notre auteur de me permettre d'exposer ici mes conjectures, que je ne donne pas pour quelque chose de vrai, mais seulement pour telles qu'elles

sont.

Il me semble que j'aperçois en ce qu'il dit deux choses qui se contrarient. L'une desquelles est que l'esprit humain est une substance réellement distincte du corps; et j'avoue que notre auteur le dit ouvertement: mais il dissuade autant

qu'il peut par ses raisons de le croire, et soutient que cela ne peut être prouvé que par le témoignage seul de la sainte Écriture. L'autre est que ce même esprit humain en toutes ses actions est organique, ou ne sert que d'instrument, comme n'agissant point de soi-même, mais dont le corps se sert, comme il fait de la conformation de ses membres, et des autres modes corporels; et ainsi, s'il ne le dit de paroles, il assure néanmoins en effet que l'esprit n'est rien autre chose qu'un mode du corps ; comme aussi ne semble-t-il avoir disposé toutes ses raisons que pour la preuve de cela seul. Or ces deux choses sont si manifestement contraires, à savoir, que l'esprit humain soit une substance et un mode, que je ne pense pas que cet auteur veuille que ses lecteurs les croient toutes deux ensemble, mais bien qu'il les a ainsi à dessein entremêlées pour contenter les simples, et satisfaire en quelque façon ses théologiens sur l'autorité de l'Écriture sainte, mais néanmoins pour faire en sorte que les plus clairvoyants puissent reconnoître que ce n'est pas tout de bon qu'il dit que l'esprit ou l'âme est distincle du corps, et qu'en effet son opinion est qu'elle n'est rien autre chose qu'un mode.

Dans les septième et huitième articles, il semble continuer à dire les choses autrement qu'il ne les pense, et se sert encore de cette figure de rhétori

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