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cela n'empêche pas que Dieu ne soit l'auteur de toutes les formes qui arrivent successivement à la matière, qui sont toutes des effets, des suites et des dépendances du mouvement qu'il y a introduit et qu'il y conserve, et qu'ainsi il ne soit véritablement créateur de toutes choses.

De savoir maintenant comment se fait cette détermination, il est vrai que nous n'avons pas connoissance de quelle façon notre âme envoie les esprits animaux dans les nerfs, et ensuite dans les muscles, pour mouvoir nos membres conformément à nos volontés: mais, comme nous enseigne notre maître, il ne faut pas s'en étonner; car cette façon ne dépend de l'âme seule, mais de l'union qui est entre l'âme et le corps; union qui ne dépend pas non plus d'elle, et dont tous les effets ou les suites sont pour cela même en quelque façon confuses et obscures à l'âme ; d'où vient qu'il appelle nos sensations des pensés confuses. Et néanmoins, si nous y voulons prendre garde, nous avons connoissance de toute cette action par laquelle l'âme meut les membres, en tant qu'une telle action est dans l'âme, et dépend d'elle; puisque ce n'est rien autre chose en elle que l'inclination de sa volonté à un tel ou tel mouvement, laquelle inclination lui est claire, et n'a rien d'obscur. Mais que cette inclination de sa volonté soit suivie du cours des esprits dans les nerfs et dans les muscles, et de

tout ce qui est requis pour ce mouvement, cela n'arrive pas simplement parcequ'elle le veut, autrement notre volonté seroit toujours exécutée, et le corps ne seroit jamais paralytique (car quand est-ce que notre âme a jamais plus de volonté de faire mouvoir le corps auquel elle est jointe, que lorsqu'il n'est pas en état de lui obéir); mais cela arrive à cause de la convenable disposition où le corps se trouve quand notre âme veut et se détermine à quelque mouvement, de laquelle disposition elle peut bien n'avoir point de connoissance.

Mais ce n'est pas tout; car il faut outre cela que l'âme soit unie à ce corps qui est bien disposé; d'autant que l'âme n'a point de pouvoir sur le corps le mieux disposé du monde auquel elle n'est point unie. Mais quoique notre âme ne connoisse pas la manière de son union, elle ne peut pourtant pas méconnoître l'union qui est entre son corps et elle; ce qu'elle témoigne assez par les déterminations de sa volonté, qui se portent toutes à mouvoir le corps auquel elle sait être jointe, et non pas les autres.

Ce n'est pas encore assez que le corps soit bien disposé, ni que notre âme lui soit jointe, afin

que de l'inclination de notre volonté il s'ensuive un mouvement dans le corps; il faut de plus que ce mouvement soit joint naturellement avec la volonté que nous avons (ce qui montre que cette

docile que vous, et plus résolue à contredire; mais j'aime mieux vous laisser cela à méditer un peu, pour y accoutumer votre esprit, et pour délasser le mien, à qui il ne reste plus de force ni d'haleine que pour vous dire que je suis, etc.

A M. DE LA FORGE,

MÉDECIN A SAUMUR.

OBSERVATIONS DE M. CLERSELIER,

TOUCHANT L'ACTION DE L'ame sur le CORPS.

(Lettre 125 du tome III.)

A Paris, le 4 décembre 1660.

MONSIEUR,

Je ne savois pas encore que vous fussiez un si bon maître d'escrime; car je vois que vous ne vous contentez pas d'esquiver ou de parer aux coups de civilité qu'une juste connoissance que j'ai de votre mérite m'avoit fait vous porter; vous les repoussez contre moi si vivement, que vous me mettez tout hors de garde, et m'ôtez le moyen de m'en défen

dre; mais je veux bien recevoir en moi les coups d'une main si adroite, si officieuse et si agréable que la vôtre, et me confesser à présent vaincu, pour n'avoir pas la honte de l'être plus d'une fois. Trève donc, s'il vous plaît, désormais de tout compliment entre nous.

Ce que j'ai maintenant à vous dire est que je vois fort peu de différence entre ce que vous pensez de la façon dont l'âme et le corps agissent l'un sur l'autre, et ce que je vous ai fait voir que je pensois là-dessus. Je trouve comme vous que la force qui meut, et même celle qui ne fait que déterminer à son gré et comme il lui plaît le mouvement, ne dit rien en soi de corporel, et partant je ne trouve point d'inconvénient qu'elle puisse appartenir à l'âme. Bien plus, je trouve que cette force n'est point du tout du ressort du corps, mais qu'elle doit nécessairement venir d'ailleurs, pour avoir son effet dans le corps: car l'essence du corps ne consistant que dans l'étendue en longueur, largeur et profondeur, je trouve ensuite que cette étendue a bien de sa nature d'être divisible en plusieurs parties, et ces parties d'être capables de mouvement; si bien qu'un corps en particulier est de soi capable d'être mû, mais non pas de se mouvoir soi-même, ni de mouvoir un autre corps, sinon en tant que déjà il est mû ; et ainsi le principe du mouvement est hors du corps.

liaison ne vient pas de nous, puisque nous n'en sommes pas les maîtres, et partant qu'elle vient de l'auteur de cette union): car nous pouvons avoir moins de volontés qui ne seront point suivies de leurs effets, quoique notre corps ne manque pas de disposition pour les exécuter; par exemple, ayons, tant qu'il nous plaira, la volonté d'exciter dans notre corps cette disposition qui cause en nous le sentiment de la joie ou de la tristesse, nous n'en viendrons jamais à bout, quoique notre corps ne manque pas de disposition pour cela, puisqu'au moindre sujet qui se présente, c'est-àdire à la moindre pensée à laquelle ce mouvement ou changement du corps est naturellement joint, il ne manque pas d'en prendre aussitôt la disposi

tion.

On ne peut pas dire aussi que notre âme soit jointe et unie à un corps, quoiqu'il se meuve conformément à sa volonté, à moins que ce mouvement ne suive immédiatement de sa volonté, et que l'âme avec cela ne connoisse qu'elle lui est unie par un sentiment ou perception qu'elle ne peut pas ne point connoître. Car, par exemple, quand je remue un bâton, ou une plume, comme je fais à présent, quoique cette plume se remue conformément à ma volonté, son mouvement ne vient pourtant pas immédiatement de ma volonté. puisque ce n'est que par l'entremise de ma main

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