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de la matière du premier élément, la plus petite qui soit, considérée dans l'état qu'elle est au moment qu'on la considère, est figurée, et aussi solide qu'elle puisse être; mais vous ne devez pas confondre la notion de solide avec celle de dur. Car, par exemple, le soleil est très solide, et néanmoins il est le corps le moins dur, et le plus liquide qui soit, puisqu'il est composé de la matière la plus subtile, la plus fluide et la plus pénétrante que nous puissions imaginer; et dont chaque partie prise à part, et considérée toute seule, ne doit pas non plus être appelée dure, à cause qu'elle n'a point de grosseur ni de figure déterminée, mais qu'elle se peut diviser à tous moments en plusieurs diverses façons; ce qui est le propre des corps quides et non pas des corps durs. J'accorde aussi que chaque petite partie du premier élément ne se pourroit mouvoir, au moins d'un mouvement direct, si toutes celles qui la touchent immédiatement étoient dans le repos, et ne lui pouvoient faire passage. Mais il ne faut pas simplement considérer chaque partie dans l'état présent où elle est, il faut aussi que vous considériez celles entre lesquelles elle est, dans l'état présent où elles sont; et pourceque toutes ensemble elles composent un corps parfaitement liquide, toutes sont dans le mouvement, toutes disposées à céder leur place, et toutes sans aucune figure déterminée; de sorte

li

que si chaque petite partie a quelque figure dans le moment auquel vous la considérez, comme de vrai elle en a une, elle n'est point pour cela obligée de la garder dans le moment suivant, si la détermination où son mouvement la porte l'oblige à changer sa figure pour s'accommoder à celle des lieux où elle doit entrer. Car, si vous vous en souvenez, je vous ai dit que chaque partie de la matière du premier élément étoit si petite, et d'ailleurs se mouvoit si vite, que la seule impétuosité de son mouvement étoit suffisante pour faire qu'elle se divisât, rompît, brisât, ou s'écachât en toutes façons et en tous sens par la rencontre des autres corps. Il n'est donc pas besoin d'aller jusques au bout du monde pour trouver le cercle qui se doit faire, afin que la moindre partie de la matière du premier élément se meuve; car sans être obligée d'imprimer aucun mouvement dans pas une autre, elle se peut mouvoir à son aise dans la place même que ses voisines sont disposées à lui céder en se remuant; et pour rendre la chose plus intelligible par un exemple sensible, quand vous faites mouvoir un bâton en ligne droite, il est certain que lorsque sa première partie A se remue et qu'elle a avancé d'un pouce, sa seconde partie B en même temps a aussi avancé d'un pouce, et a justement rempli sa place, laquelle a été occupée par celle marquée C, et ainsi

de suite jusques au bout du bâton; et l'espace délaissé par la dernière du bâton a été aussi en même temps rempli par autant d'air que la première avoit chassé vers là quand le bâton a commencé à se mouvoir; non qu'il soit nécessaire que le bâton ait donné aucun mouvement à l'air, mais seulement il a pu déterminer celui que l'air avoit déjà à faire pour qu'il s'allât ranger à la place que l'extrémité du bâton délaissoit. De sorte que si vous avez bien compris la nature que j'attribue à la matière subtile; et comment se font les mouvements circulaires, qui ne doivent point nécessairement être ni des ovales ni de vrais cercles, mais qui ne sont appelés circulaires qu'à cause que leur mouvement finit où il avoit commencé, quelque irrégularité qui se trouve dans le milieu; et aussi que toutes les inégalités qui peuvent être dans la grosseur et dans la figure des parties peuvent être récompensées par d'autres inégalités qui se trouvent en leur vitesse, et par la facilité que les parties de la matière subtile, ou du premier élément, qui se trouvent mêlées partout, ont à se diviser et à accommoder leur figure à celle de l'espace qu'elles doivent remplir, je m'assure qu'il ne vous restera plus aucune difficulté touchant le mouvement des parties de la matière dans le plein. J'aurois poussé la chose plus avant, si j'eusse eu affaire à quelque personne moins

Mais comme nous ne connoissons que deux sortes de substances, l'une spirituelle et l'autre corporelle, il est nécessaire que toutes les propriétés que nous reconnoissons avoir quelque existence appartiennent à l'une ou à l'autre de ces deux substances, et partant que celles que nous reconnoissons ne point appartenir à la substance corporelle, comme celle de donner le premier mouvement au corps, ou de lui en imprimer un tout nouveau qui augmente la quantité de celui qui est déjà dans le monde, appartiennent à la substance spirituelle.

Mais à quelle substance spirituelle ? A la finie, ou à l'infinie? Je dis qu'il n'y a que l'infinie seule qui soit capable d'imprimer le premier mouvement au corps; mais que la finie, comme l'âme de l'homme, peut seulement être capable de déterminer le mouvement qui est déjà. Dont la raison est que je ne reconnois point d'autre puissance capable de créer, ou de faire qu'une chose qui n'est point soit et existe, que celle de Dieu; à cause que la distance infinie qu'il y a du néant à l'être ne peut être surmontée que par une puissance qui soit actuellement infinie.

Vous me direz peut-être que le mouvement n'étant qu'un mode de la matière, lequel suppose déjà son sujet, au moins par un ordre de nature, il pas besoin d'une si grande puissance pour l'y

n'est

introduire; la matière de sa nature étant divisible, et sans répugnance à le recevoir.

Mais à cela je réponds que comme, avant que la matière fût, il falloit la voix toute-puissante du Créateur pour la faire sortir du néant où elle étoit; de même, pour mouvoir ou animer cette matière, et faire sortir de son néant le principe général et universel de toutes les formes, il ne faut pas moins que la même voix; et celle d'aucun autre esprit ne sauroit être assez forte pour se faire entendre et obéir, à moins que la volonté du Créateur ne se trouve jointe avec la sienne. Car quelles que puissent être les propriétés de cette matière, elles ne sauroient être autres que Dieu l'a voulu; et ainsi quand il seroit vrai qu'à la voix d'un ange, c'està-dire au désir de sa volonté, la matière auroit été mue et divisée la première fois, sa voix n'auroit été que l'instrument de celle de Dieu, de qui la vertu seule auroit opéré cette merveille, n'étant pas possible que le néant du mouvement obéisse qu'à une puissance infinie.

Il n'en est pas de même de la détermination du mouvement, qui n'ajoute rien de réel dans la nature, et qui ne dit rien de plus que le mouvement même, lequel ne peut être sans détermination. Si bien que ce n'est pas merveille que l'âme ait la faculté de le déterminer, ainsi que notre propre expérience nous convainc qu'elle a; car

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