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nation qu'elle doit prendre se rapporte à la vitesse ou à la force qui lui reste, et qui la commence en B. Et quoique dans la route qu'elle prend, en des temps égaux, elle avance autant vers la droite qu'elle faisoit auparavant, et qu'ainsi la détermination qu'elle avoit à avancer vers ce côté-là ne soit point changée, il ne s'ensuit pas qu'elle aille aussi vite qu'elle faisoit auparavant; ce que votre sceptique semble avoir toujours appréhendé qu'on lui voulût faire accorder, puisque M. Descartes avoue lui-même qu'il lui faut le double du temps pour faire autant de chemin qu'auparavant; mais comme dans la route qu'elle est obligée de prendre elle incline plus qu'elle ne faisoit vers la droite, elle ne laisse pas d'avancer autant vers ce côté-là, quoiqu'elle aille deux fois moins vite.

Et c'est à mon avis ce qui fait la beauté et la force tout ensemble du raisonnement de M. Descartes, de faire voir quelle doit être dans cette rencontre la route véritable que doit prendre la balle, qui ne peut être autre que celle qu'il a expliquée en ce lieu-là, pour se rapporter à la détermination vers la droite, qu'elle doit garder, et à la perte de la vitesse qu'elle a soufferte en B.

Mais ce qui a le plus abusé votre sceptique est un raisonnement, très spécieux à la vérité, et très capable de surprendre les autres, et de faire qu'on

y

soit surpris soi-même, si l'on n'y prend garde,

mais qui pourtant est faux, et contre l'intention de M. Descartes. Ce raisonnement est que comme M. Descartes sur la figure de la page 20 dit que la détermination vers le côté droit étant la même, quoique le mouvement de la balle soit diminué de moitié au point B, en deux fois autant de temps elle doit avancer deux fois autant vers la droite; donc à pari, dit votre sceptique, posé que la balle soit poussée perpendiculairement depuis H jusques à B, et qu'elle continue son mouvement vers BG, la détermination de la balle sur la route BG n'étant point changée au point B, et demeurant la même puisque le mouvement perpendiculaire se continue dans la même ligne HBG, en deux fois autant de temps, elle doit avancer deux fois autant, et aussi vite au-dessous de B, qu'elle avoit fait auparavant au-dessus, ce qui est absurde, puisque l'on suppose que la balle au point B a perdu la moitié de sa

vitesse.

Véritablement, si la conséquence qu'il infère étoit bien tirée de ce qu'a avancé M. Descartes, je conclurois comme lui que M. Descartes se seroit trompé dans son raisonnement, duquel il s'ensuivroit une telle absurdité; mais aussi M. Descartes a-t-il dit tout autre chose que ce que votre sceptique lui veut faire dire: car, quand il a dit que la détermination qu'avoit la balle à avancer vers le côté droit demeuroit la même, et que par consé

la

quent en deux fois autant de temps elle devoit faire deux fois autant de chemin vers ce côté-là, il a conclu cela de ce que, bien qu'on suppose que balle au point B perde la moitié de sa vitesse, néanmoins elle ne perd rien du tout de la quantité de la détermination qu'elle avoit à s'avancer vers le côté droit, à laquelle détermination la toile n'est aucunement opposée en ce sens-là, et laquelle se doit et se peut accommoder à la vitesse qui reste en la balle, pour faire en sorte que, sans déroger à la perte qu'elle a soufferte, et qu'allant moins vite, elle ne laisse pas d'avancer autant vers le côté droit qu'elle eût fait si elle n'eût rien perdu de sa vitesse. Mais peut-on dire la même chose de la détermination d'une balle que l'on suppose suppose tomber perpendiculairement sur la même toile, à savoir, que la superficie sur laquelle elle tombe ne lui est aucunement opposée en ce sens-là, et qu'en perdant la moitié de sa vitesse, elle ne perd rien du tout de la quantité de la détermination qu'elle avoit à s'avancer vers G, et que cette détermination se doit et se peut accommoder avec la vitesse qui lui reste, pour la faire avancer en un temps égal sur la même route, autant qu'elle eût fait si elle n'eût rien perdu de sa vitesse; certainement personne ne dira que ce cas soit semblable au premier, et par conséquent la conclusion n'en peut être pareille.

Aussi tout le défaut du raisonnement de votre sceptique ne vient que de ce qu'il semble n'avoir pas pris garde que cette superficie CBE, en laquelle la balle au point B perd la moitié de sa vitesse, est toujours opposée à sa détermination de haut en bas, soit que la chute soit perpendiculaire, ou qu'elle ne le soit pas; en sorte que, quoique la balle continue de descendre, et même qu'elle descende dans la même ligne quand elle a été poussée perpendiculairement, on ne sauroit pas dire que cette détermination vers le bas soit la même, ayant été changée en quelque façon, ainsi que dit M. Descartes; car la balle ne descend plus avec une pareille détermination, puisque dans un temps égal elle ne va pas si loin qu'elle étoit déterminée d'aller avant qu'elle eût perdu la moitié de la vitesse, ce qui est un changement en la détermination qu'elle avoit à avancer vers ce côté-là.

Et si vous y prenez garde, tous les changements de détermination que M. Descartes a dit s'ensuivre en la balle, du changement qui arrive en sa vitesse, ou en la force qui l'avance ou qui la retarde en B (selon les différentes suppositions qu'il fait), ont tous été en la détermination de haut en bas, et non point en celle de gauche à droite, à cause, comme il a dit en la page 20, ligne 15, que des deux parties dont on peut imaginer que la détermination de la balle sur la route AB est composée

il n'y a que celle qui faisoit tendre la balle de haut en bas qui puisse être changée, en quelque façon, par la rencontre de la toile; mais à plus forte raison cette toile peut-elle faire changer la détermination perpendiculaire, à laquelle elle est entièrement opposée, qui est simple, et qu'on ne peut pas dire être composée de deux autres, à l'une desquelles elle ne soit point du tout opposée, ainsi qu'elle ne l'est point à celle de gauche à droite, quand la balle est poussée de biais, suivant la ligne AB.

Or, quel changement peut-il arriver en cette détermination de haut en bas, que celui qu'a expliqué M. Descartes, à savoir, que cette balle, en continuant de descendre, avance tantôt plus et tantôt moins vers le bas qu'elle ne faisoit, selon le changement, c'est-à-dire selon l'augmentation ou la diminution que sa vitesse a reçue en B, et selon le rapport que cette vitesse s'est trouvée avoir avec la détermination vers le côté droit, qui a dû toujours demeurer la même, comme j'ai dit plusieurs fois, c'est-à-dire qui a dû faire que la balle ait toujours autant avancé de ce côté-là qu'elle avoit fait auparavant.

Et partant, tant s'en faut que l'absurdité qu'avoit voulu inférer votre sceptique soit une suite de ce qu'a dit M. Descartes, qu'au contraire il se trouve que c'est lui-même qui, au lieu de faire un bon argument, s'est embarrassé dans un sophisme, en

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