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RÉPONSE DE M. CLERSELIER

A M. DE FERMAT.

(Lettre 45 du tome III.)

A Paris, le 15 mai 1658.

MONSIEUR,

Je ne veux pas m'arrêter beaucoup à vous faire des excuses d'avoir tant tardé à faire réponse aux deux vôtres, l'une du troisième et l'autre du dixième mars dernier, parceque je me persuade que vous croirez aisément qu'il m'a fallu des obstacles invincibles pour m'empêcher de satisfaire à temps à des témoignages si obligeants de votre suffisance et de votre civilité. En effet, une maladie qui m'a détenu dans le lit presque tout ce tempslà, et qui m'a ôté le moyen de pouvoir attacher mon esprit à des spéculations si relevées, est la véritable cause qui m'a empêché de vous témoigner plus tôt ma reconnoissance. Mais tout cela seroit peu, si je pouvois aujourd'hui répondre à tous les doutes de votre sceptique, et satisfaire pleinement aux difficultés que vous proposez dans votre dernière;

car comme elles ne dépendent point du temps, la réponse n'en seroit de rien moins recevable et convaincante, pour n'être pas venue à temps. Néanmoins, pourvu que ce soit à vous, monsieur, que j'aie affaire, et non point à votre sceptique, dont l'humeur seroit trop difficile à contenter, je me promets de pouvoir éclaircir la plupart de ses doutes, et de faire voir, si je ne me trompe, si clairement en quoi il s'est mépris lui-même dans ses raisonnements, que, vous prenant vous-même pour l'arbitre de nos différents et pour le juge de nos conclusions, j'espère que vous reconnoîtrez la subtilité des siennes et la vérité des miennes, c'est-à-dire de celles de M. Descartes.

Premièrement, je ne vois point que le raisonnement que fait M. Descartes, à l'occasion de la figure de la page 20 de sa Dioptrique, soit aucunement opposé au sens commun, ni que l'extensión qu'il en fait de la réflexion à la réfraction soit forcée; car la même raison qui lui a fait conclure en la page 16 que la terre CBE ne pouvoit empêcher que la détermination de haut en bas, et non point celle de gauche à droite, pourcequ'elle est entièrement opposée à la première et point du tout à la seconde, la même lui a dû faire conclure dans la figure de la page 20 et 21 que la détermination de haut en bas pouvoit bien être changée en quelque façon par la rencontre de la toile ou de l'eau

mais point du tout celle qui fait tendre la balle vers la main droite, à cause que l'eau ou la toile est en quelque façon opposée à l'une, et point à l'autre. Je vous prie de remarquer ici la façon de parler de M. Descartes (car c'est de là que dépend en partie la résolution de tous les doutes de votre sceptique ): il ne dit pas simplement que la détermination de haut en bas peut être changée par la rencontre de la toile, mais seulement qu'elle peut être changée en quelque façon; car en effet elle pas tout-à-fait changée, puisque la balle continue de descendre, mais elle est changée en quelque façon, en tant que c'est changer en quelque façon la détermination qu'un mobile avoit à avancer vers un certain côté, que de faire que dans le même temps il n'avance pas tant vers ce côté-là qu'il faisoit auparavant; ce qui change la quantité de sa détermination.

n'est

De plus, trois circonstances que remarque votre sceptique pour l'empêcher d'admettre cette conséquence ne la peuvent aucunement infirmer; car que la vitesse soit diminuée, que le milieu soit changé, et que la détermination de haut en bas ne soit pas tout-à-fait empêchée, mais que la balle continue de descendre, tout cela ne doit point apporter de changement à la détermination de gauche à droite, à laquelle pas une de ces circonstances ne s'oppose et ne met obstacle, puisque

cette détermination peut demeurer la même, quoique la vitesse soit changée, une même détermination pouvant être jointe à différentes vitesses. Le milieu ne peut aussi apporter aucun changement à cette détermination, puisqu'il lui est également facile de s'ouvrir et faire passage d'un côté que d'autre; et bien que la balle continue de descendre, et ne remonte pas comme en la réflexion, cette détermination vers la droite se peut aussi bien faire et maintenir en descendant qu'en remon

tant.

Jusques ici votre sceptique auroit ce me semble tort de ne vouloir pas accorder que la détermination de gauche à droite demeure la même en la réfraction, après en être demeuré d'accord sans difficulté en la réflexion ; et il ne doit point appréhender qu'on le chicane sur l'explication de ce terme, et qu'on l'oblige à rien avouer qu'on ne prouve, et qui ne soit tiré par une conséquence légitime de ce qu'on a avancé auparavant, M. Descartes ayant trop soigneusement fait remarquer la différence qu'il y a entre la détermination et le mouvement, ou, comme vous dites, entre la détermination et la puissance qui meut, pour s'en oublier.

Mais voici le point qui effarouche votre sceptique, et qui lui fait perdre ce peu de respect qu'il sembloit encore porter au nom de M. Descartes;

que

la

c'est à ce coup qu'il dit n'entendre plus de railleque la dérie, et que s'il a consenti de bonne foi termination vers la droite ne changeoit pas, il pro teste qu'il n'est point engagé à consentir balle, changeant de milieu, fasse toujours un égal progrès, et, comme il dit un peu auparavant, aille aussi vite vers la droite, après qu'il a été supposé que la balle au point B perd la moitié de sa vitesse; et que M. Descartes a si solennellement assuré que la détermination et la force mouvante sont tout-àfait différentes et distinctes.

Mais ne voyez-vous pas que ce qui empêche votre sceptique d'y consentir et d'y donner les mains, est qu'il ne distingue pas assez lui-même la détermination d'avec la force mouvante ou la vitesse, et qu'il les confond ensemble, croyant que la perte que l'une souffre, à savoir la vitesse, se doive ressentir par l'autre, à savoir par la détermination vers la main droite, quoique rien ne se soit opposé qui ait pu changer ou diminuer la quantité de la détermination que la balle avoit à avancer vers ce côté-là. Car s'il avoit bien pris garde de peine à ce que dit M. Descartes, il n'auroit pas à comprendre que la vitesse étant diminuée de moitié au point B, la détermination de gauche à droite demeurant toujours la même en ce pointlà qu'elle a été auparavant, il est nécessaire que la balle suive la ligne BI pour faire que la détermi

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