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et plus importants que vous dites avoir entre les mains, et à qui vous promettez de faire voir le jour en leur temps, je m'en forme d'avance une joie infinie, et je vous aurois toute l'obligation possible si vous vouliez bien me faire la grâce de marquer seulement dans votre première lettre le sujet et le titre de chacun de ces livres. Votre dernière lettre fait renaître en moi cette ardeur que j'avois autrefois pour la philosophie de M. Descartes, et qui s'étoit un peu ralentie par la mort de cet illustre ami, faute de nouveaux sujets de lecture: ou plutôt, pour vous dire les choses comme elles sont, ce n'étoit pas l'unique cause, d'autres occupations avoient détourné mon esprit sur des études tout-à-fait différentes. Car le poids des raisonnements, la beauté sensible de la vérité, la grandeur et la sublimité du génie, le bel ordre, l'enchaînement et la correspondance universelle de tous les écrits de M. Descartes font qu'après les avoir lus mille fois on les trouve toujours nouveaux, toujours pleins de charmes qui les font relire avec plaisir : de même que la lumière du soleil qu'on voit tous les jours sans se lasser, et dont le lever est attendu, souhaité et reçu tous les matins avec de nouvelles démonstrations de joie par les hommes, les oiseaux et le reste des animaux. D'ailleurs la philosophie cartésienne (malgré les murmures secrets des uns, et les déchaînements

emportés des autres) est non seulement agréable à lire, mais elle est principalement utile pour la religion, qui est la fin principale de toute la philosophie; car les péripatéticiens prétendent qu'il

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a certaines formes substantielles qui sortent de la puissance de la matière, et qui lui sont tellement unies, qu'elles ne peuvent subsister sans elle, et que par conséquent elles retournent enfin de nécessité dans la puissance de la matière, ces philosophes rapportant à cet ordre les âmes de presque tous les êtres vivants, et celles-là même à qui ils donnent du sentiment et de la pensée; les épicuriens, qui d'un autre côté se moquent des form es substantielles, attribuant à la matière même le sentiment et la pensée, il n'y a que M. Descartes, entre tous les philosophes, qui ait banni de la philosophie toutes les formes substantielles

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ces âmes sorties de la matière, et qui ait entièrement dépouillé la matière de la faculté de sentir et de penser; de sorte que si l'on suivoit les principes de M. Descartes, on auroit une méthode très certaine et un moyen très facile pour démontrer l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, qui sont les deux fondements les plus solides et les uniques soutiens de la vraie religion. Je remarque ces choses en deux mots, parmi plusieurs autres que je pourrois ajouter, et qui se rapportent au même sujet; mais je dirai en gros qu'il n'y a au

cune philosophie qui combatte si fortement les athées, jusqu'au fond de leurs retranchements, et qui détruise si heureusement tous leurs réduits, que la philosophie cartésienne bien entendue, à laquelle on pourroit joindre celle de Platon pour ce point. Ce qui me fait espérer que tous les gens de bien me pardonneront les grandes louanges que j'ai données à cet homme incomparable, dans les lettres que je lui ai écrites; et je crois (quel que puisse être le sentiment de notre siècle pour M. Descartes, dont la mémoire est encore trop récente pour pouvoir ensevelir sitôt tous ses envieux ), je crois, dis-je, que la postérité embrassera sa philosophie avec honneur, et qu'elle reconnoîtra le bon usage qu'on en peut faire.

Je prédis volontiers ces choses pour vous encourager le plus qu'il m'est possible à poursuivre le noble dessein que vous avez de faire imprimer tous les écrits qui sont entre vos mains. Vous obligerez par là bien des personnes, et moi surtout, qui trouve un extrême plaisir dans cette lecture.

Si vous jugez à propos de faire imprimer mes lettres, je vous prie de ne pas le faire sur les exemplaires que vous avez déjà, parceque je vous en prépare de plus correctes; ayant donné plus d'attention à cette lecture, j'ai trouvé à corriger quelques endroits qui m'étoient échappés dans

la précipitation et l'ardeur avec laquelle j'écrivis à M. Descartes. J'ai aussi effacé quelques unes de mes questions sur la troisième et quatrième lettre la première et la seconde sont entières.

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Au reste, n'attribuez ni à négligence ni à mépris de ce qu'il s'est écoulé un mois depuis que j'ai reçu votre lettre, sans vous faire réponse. J'ai pour vous toute l'estime et la considération possibles, tant à cause de l'excellent esprit que j'ai reconnu en vous par vos lettres, qu'en considération des devoirs de piété dont M. votre frère usa, lors de son ambassade en Suède, envers M. Descartes après sa mort. Tout le temps qui s'est écoulé depuis que j'ai reçu votre lettre s'est passé en partie à terminer les affaires qui me retenoient à campagne, et en partie à corriger et à transcrire mes lettres à M. Descartes; depuis mon retour dans notre académie, je n'ai pas cru devoir vous répondre avant que tout fût achevé : aujourd'hui tout est prêt, les lettres de M. Descartes et les miennes : je ne vous les envoie ne vous les envoie pas cependant par ce courrier; j'ai voulu savoir auparavant si cette lettre vous seroit rendue sûrement. Dès que vous me l'aurez fait savoir, je les ferai toutes partir. Vous me ferez plaisir de me marquer dans la première où vous en êtes de votre projet. Je souhaite de tout mon cœur qu'il réussisse. Ce sont les vœux

que forme pour vous, et pour tous MM. les car

tésiens, etc.

A Cambridge, du collège de Christ, ce 14 mai 1655.

LETTRE DE M. DE FERMAT

A M. CLERSELIER,

SUR LA DIOPTRIQUE DE M. DESCARTES.

(Lettre 43 du tome III.)

A Toulouse, le 3 mars 1658.

MONSIEUR,

J'ai reçu votre lettre avec les deux copies des écrits de M. Descartes sur le sujet de notre ancien démêlé; je voudrois bien, monsieur, vous satisfaire ponctuellement, en ce que vous semblez souhaiter que je fasse mes réponses d'alors qui se sont égarées; mais comme je hais naturellement tout, ce qui choque tant soit peu la vérité, et qu'il me seroit aussi, malaisé de rajuster ce vieux ouvrage, qu'à un peintre de refaire mon portrait d'alors sur mon visage d'à présent, j'ai cru qu'il valoit mieux vous écrire tout de nouveau une lettre qui contiendra mes raisons d'opposition, et

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