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croyez qu'elles peuvent être encore produites d'autre façon sans aucun égard au tournoiement et au mouvement direct des globules, surtout puisque vous avancez que l'eau de la mer paroît bleue à cause du peu de rayons qui sont réfléchis; et certes il n'est pas aisé de dire pourquoi la mer ne paroît pas blanche ou rouge, lorsque les globules viennent à frapper sa superficie, puisque ces globules y trouvent quelquefois plus de résistance que dans l'air chargé de vapeurs, qui vous paroît blanc pour lors.

Voilà, monsieur, tout ce que j'avois à vous proposer sur vos écrits de physique, et qui m'a paru ou difficile à comprendre ou dont la vérité souffriroit quelques difficultés; sur quoi vous aurez sujet d'être surpris du caractère et du tour de mon esprit, qui, entrant assez à fond dans tout le reste de vos écrits, où se trouvent cependant bien des choses plus difficiles que celles qui l'arrêtent en plusieurs endroits, n'a pas la même pénétration pour ce dont je vous demande l'explication, ou que je vous prie de fortifier par de nouvelles preuves. Quelques efforts que j'aie faits pour corriger cette disposition de mon esprit, que j'ai remarquée dès mon enfance, je veux dire de surmonter souvent très heureusement les choses les plus difficiles, et d'être arrêté par les plus petites, je n'ai pourtant jamais pu en venir à bout. J'espère

que votre bonté excusera ce qu'il ne m'est pas possible de corriger, et qu'elle n'imputera ni à une ignorance affectée ni à une sotte démangeaison de disputer tant de difficultés que j'ai entassées les unes sur les autres; car je ne l'ai pas fait par un désir effréné de disputer, mais par un zèle religieux pour tout ce qui vient de vous.

C'est moins dans le désir d'obtenir la victoire,
Que par le zèle ardent d'acquérir votre gloire.

Comme le dit élégamment le poëte, et comme je le répète dans la dernière sincérité.

Au reste, monsieur, je vous prie de prendre en bonne part tout ce que je vous ai écrit, et d'y faire réponse à votre loisir : si vous me faites cette grâce, vous aurez la consolation d'avoir rendu très savant celui qui a été jusques ici le plus fidèle partisan de votre philosophie. Je suis, etc.

A Cambridge, du collège de Christ, le 21 octobre 1649.

(Lettre 72 du tome I.)

Ce qui suit a été trouvé parmi les papiers de M. Descartes, comme un projet ou commencement de la réponse qu'il préparoit aux deux précédentes lettres de M. Morus.

J'étois sur mon départ pour le voyage de Suède, lorsque je reçus votre lettre datée du 23 juillet, etc.

1. Si le sentiment dans les anges est proprement un sentiment, et s'ils sont corporels ou non? Je réponds que l'âme humaine séparée du corps n'a point proprement de sentiment; qu'à l'égard des anges, nous n'avons aucune raison naturelle qui nous fasse connoître s'ils sont créés comme les âmes séparées des corps, ou comme les mêmes âmes qui sont unies aux corps, et que je ne détermine jamais rien sur les choses dont je n'ai aucune raison certaine pour donner lieu à des conjectures. J'approuve ce que vous dites, que nous ne devons point nous former d'autre idée de Dieu que celle que tous les gens de bien souhaiteroient s'il n'y avoit point de Dieu.

Votre instance sur l'accélération du mouvement' pour prouver que la même substance peut occuper tantôt un plus grand, tantôt un moindre lieu, est ingénieuse; cependant la disparité est grande, parceque le mouvement n'est pas une substance, mais un mode, et un mode tel en effet que nous concevons intimement comment il peut être diminué ou augmenté dans le même lieu; car tous les êtres ont certaines notions propres par lesquelles seules il en faut porter jugement, et non par comparaison des êtres les uns aux autres : c'est ainsi que les qualités de la figure ne conviennent pas au mouvement, et que les qualités de l'une et de l'autre ne conviennent point à l'étendue. Quand on aura

une fois bien compris que le néant n'a aucune propriété, et que par conséquent ce qu'on appelle communément espace vide n'est pas un rien, mais un vrai corps dépouillé de tous ses accidents, je. veux dire de ceux qui peuvent se trouver et ne se pas trouver sans la còrruption du sujet, et qu'on aura remarqué comment chaque partie ou de cet espace ou de ce corps est différente de toutes les autres, et impénétrable, on verra facilement que la même divisibilité, la même faculté d'être touché et la même impénétrabilité ne peuvent convenir à aucune autre chose. J'ai dit que Dieu est étendu en puissance, parceque cette puissance se fait voir ou se peut faire voir dans la chose étendue; et il est certain que l'essence de Dieu doit être présente partout, afin que sa puissance s'y puisse mettre au jour; mais je dis qu'elle n'y est pas à la manière des choses étendues, c'est-à-dire de la manière que j'ai décrit ci-dessus la chose étendue. Il me paroît que parmi les marchandises que vous dites avoir gagnées sur mon petit bateau, il y en a deux qui sont de contrebande: la première, que le repos soit une action ou une espèce de résistance; car bien que la chose qui est en repos ait cette résistance, de cela même qu'elle est en repos, ce n'est pas à dire

pour

cette résistance soit en

cela que repos. La seconde est que mouvoir deux corps, c'est les séparer immédiatement; car souvent entre

les choses qui sont ainsi séparées, l'une est dite être mue, et l'autre être en repos, comme j'ai expliqué dans les art. 25 et 30 de la seconde partie des Principes.

Ce transport que j'appelle mouvement n'est point une chose de moindre entité que la figure, c'est-à-dire elle est un mode dans le corps, et la force mouvante peut venir de Dieu qui conserve autant de transport dans la matière qu'il y en a mis au premier mouvement de la création, ou bien de la substance créée, comme de votre âme, ou de quelque autre chose que ce soit, à qui il a donné la force de mouvoir le corps; et cette force dans la substance créée est son mode, mais elle n'est pas un mode en Dieu; ce qui étant un peu au-dessus de la portée du commun des esprits, je n'ai pas voulu traiter cette question dans mes écrits, pour ne pas sembler favoriser le sentiment de ceux qui considèrent Dieu comme l'âme du monde unie à la matière. Je considère la matière laissée à elle-même, et ne recevant aucune impulsion d'ailleurs, comme parfaitement en repos; et elle est poussée par Dieu qui conserve en elle autant de mouvement ou de transport qu'il y en a mis dès le commencement; et ce transport ne cause pas plus de violence à la matière que le repos; car le nom de violence ne se rapporte qu'à notre volonté, qui souffre, dit-on, violence, lorsque

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