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dans ce sentiment, que l'une et l'autre extension, tant de l'espace que du temps, conviennent également aux non-êtres et aux êtres; et je me doute qu'on peut également se former un préjugé, que toutes les choses étendues sont corporelles, sur ce que tout ce que nous manions et ce que nous sentons, qui est solide et corporel, est étendu, que cet autre préjugé, qu'il y a des choses non corporelles étendues.

Et ce qui me fait conjecturer que l'étendue tombe aussi sur le non-être, c'est qu'être étendu ne dénote autre chose que des parties qui existent hors d'autres parties; or la partie et le tout, le sujet et l'adjoint, la cause et l'effet, les contraires et les relatifs, les contradictoires et les privatifs, et autres semblables, ne sont que termes de logique, et nous les appliquons également aux non-êtres comme aux autres; d'où il ne suit pas que tout ce que nous concevons avoir des parties existantes les unes hors des autres doive être conçu comme un être réel.

Mais combien de fois l'esprit humain lutte ici avec son ombre, semblable à ces petits chiens qui courent après leur queue: car notre esprit se forge de tels combats ou de tels jeux, lorsque considérant les raisons et les modes de logique sur le pied des choses extérieures, il ne fait pas réflexion que ce sont seulement des manières de penser; mais

croyant que c'est quelque chose de distinct dans les choses mêmes, il se joue jusqu'à se fatiguer en tâchant d'attraper, pour ainsi dire, sa propre queue, et se trouve comme pris dans des filets. Mais j'ai discouru ici imprudemment plus que je ne voulois; je passe à ce qui reste.

4. « Car quelque part où l'on conçoive ce lieuselon moi, quelque matière. »

» là, il y a,

Vous êtes ici un homme de grande précaution, et d'une retenue bien fine; mais avec tous ces raisonnements vous admettez le monde infini avec Aristote. Si ce philosophe a donné une bonne définition de l'infini, qu'il appelle dans son troisième livre de physique ce dont quelque partie est toujours par-delà, nous voilà parfaitement d'accord.

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5. Cependant je crois qu'il y a une grande différence entre l'immensité ou la grandeur de ⚫ cette étendue corporelle, etc. »

J'admets aussi une différence infinie entre la grandeur ou l'immensité divine et la corporelle: 1° en ce que celle-là ne peut tomber sous les sens, à la différence de celle-ci; 2° en ce que celle-là est incréée et indépendante, et celle-ci dépendante et créée; la première, pénétrable et pénétrant tout; la seconde, solide et impénétrable; enfin, en ce que celle-là naît de la reproduction continuelle de l'essence divine en tous lieux, et celle-ci de l'ap

plication extérieure et immédiate des parties les unes aux autres; de sorte qu'à moins d'être stupide et souverainement bête, on ne sauroit seulement

soupçonner:

Que ces raisonnements nous conduisent au crime,
En nous insinuant quelque horrible maxime.

Comme dit Lucrèce, surtout puisqu'il y a des théologiens, et des plus scrupuleux, qui reconnoissent que si Dieu eût voulu, il auroit pu créer le monde dès l'éternité; et cependant il paroit aussi absurde de donner au monde une durée infinie qu'une étendue infinie.

6. « Car, selon moi, c'est là un des principaux > fondements de ma physique. »

Je n'ai pas de peine à comprendre que ce ne soit le fondement de votre physique, de dire que la matière est au moins indéfiniment étendue, qu'il n'y a point de vide dans la nature. Je ne doute point même que ce principe ne soit vrai; mais je ne sais pas trop bien si vous avez trouvé la vraie manière de le montrer, puisque le principe de votre démonstration est que tout ce qui est étendu est réel et corporel : ce dont je ne suis pas encore pleinement convaincu, pour les raisons que j'ai dites cidessus; au contraire, pour vous avouer ingénument ce qui me vient présentement dans la pen

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sée, si ni l'espace privé de tout corps, tel qu'est celui de votre démonstration, ni Dieu ne sont point du tout étendus, votre philosophie n'aura pas besoin de cette matière indéfinie, il vous suffira d'avoir un nombre certain et défini de stades, car les côtés de ce monde fini ne trouveront point de lieu où se retirer, et les tourbillons qui seront au milieu ne pourront s'entr'ouvrir, pour donner une étendue à l'espace du milieu, et afin que le non-être ait de nouvelles dimensions. Mais mon ardeur naturelle me jette d'un autre côté, c'est-àdire dans la croyance que cette fécondité divine qui n'est jamais oisive, en quelque endroit que ce soit, a créé de la matière en tous lieux sans laisser le moindre petit espace vide en admettant ce système ; je ne trouve point que votre philosophie se soutienne moins bien faute d'admettre ce que vous lui donnez pour fondement, et je vois clairement que la vérité de votre physique ne se découvre pas si ouvertement et si manifestement par tel et tel article, qu'elle brille par cette tissure universelle, et ce fil continu qui lie toutes ses parties, comme vous faites très bien remarquer à l'article 125 de la quatrième partie, p. 425. De sorte que si quelqu'un envisageoit la face entière de votre philosophie, il verroit qu'elle est si régulière et si proportionnée en elle-même et aux phénomènes de la nature, qu'il pourroit s'imaginer voir comme dans

une glace polie, la nature, cette habile ouvrière, parée de tous ses ornements.

PREMIÈRE INSTANCE A LA RÉPONSE SUR LA dernière difficulté.

« Mais le plus grand de tous les préjugés que » nous ayons retenus de notre enfance, etc. »

J'éprouve en moi la force de ce préjugé au-delà de tout ce que je puis vous dire, et je me sens tellement pris et arrêté dans ses filets, qu'il m'est impossible de m'en débarrasser jamais.

2 « Je m'engage à expliquer tout cela très faci>>lement par la seule conformation des membres » des animaux. »

Si vous nous tenez parole là-dessus, vous allez nous procurer une joie bien ravissante; j'ai même une si haute idée de vous, que je crois que vous ferez là-dessus tout ce que l'esprit humain est capable de faire; ce sera dans la cinquième ou sixième partie de votre Physique, qu'on dit être presque achevée, et que j'attends avec grande impatience. Je vous prie même instamment qu'elles voient le jour le plus tôt qu'il se pourra, ou, pour mieux dire, afin que par leur moyen vous nous fassiez voir la nature dans ses plus brillantes clartés.

Mais pour revenir à notre sujet, si vous tenez, dis-je, parole là-dessus, j'avoue que vous aurez démontré que personne ne peut prouver qu'il y ait

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