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pas faire ce qui répugne à ma manière de concevoir: je dis seulement, cela implique contradiction. Ainsi, voyant qu'il répugne à ma manière de concevoir qu'on ôte tout corps d'un vase, et qu'il y reste cependant une étendue que je ne conçois pas autrement que je concevois auparavant le corps qui y étoit contenu, je dis qu'il implique contradiction qu'une telle étendue y reste après que le corps en a été ôté, et que par conséquent les côtés d'un vase doivent se rapprocher, ce qui s'accorde avec mes autres opinions; car je dis ailleurs que tout mouvement est en quelque façon circulaire; d'où il s'ensuit qu'on ne comprend pas bien distinctement que Dieu ôte toute la matière d'un vase, sans qu'un autre corps ou du moins les côtés du vase prennent sa place par un mouvement circulaire.

3. C'est dans le même sens que je dis aussi qu'îl y a de la contradiction à dire qu'il y ait des atomes que l'on conçoive étendus, et en même temps indivisibles, parceque, bien que Dieu ait pu les former tels qu'aucune créature ne peut les diviser certainement, nous ne pouvons comprendre qu'il ait pu se priver de la faculté de les diviser lui-même. Pour votre comparaison, que ce qui est fait ne sauroit ne pas, l'être, elle n'est point du tout juste. Nous ne prenons pas pour marque d'impuissance quand quelqu'un ne peut

pas faire ce que nous ne comprenons pas être possible, mais seulement lorsqu'il ne peut pas faire quelque chose que nous concevons clairement être possible. Or nous concevons que la division d'un atome est une chose possible, puisque nous le concevons étendu; ainsi, si nous jugeons que Dieu ne peut pas faire ce que nous concevons pourtant être possible, nous ne concevons pas de la même manière qu'il puisse se faire que ce qui a été fait ne le soit pas; au contraire, nous concevons bien clairement que cela est impossible, et qu'ainsi il n'y a aucun défaut de puissance en Dieu de ce qu'il ne le fait pas. A l'égard de la divisibilité de la matière, ce n'est pas la même chose; car bien que je ne puisse pas compter toutes les parties en quoi elle est divisible, et que par conséquent je dise que leur nombre est indéfini, cependant je ne saurois assurer que Dieu ne puisse jamais terminer cette division, parceque je sais que Dieu peut faire plus que je ne saurois comprendre, et j'ai même avoué dans l'article 34, page 98, que cette division indéfinie de certaines parties de la matière devoit arriver.

4. Ne regardez point comme une modestie affectée, mais comme une sage précaution, à mon avis, lorsque je dis qu'il y a certaines choses plutôt indéfinies qu'infinies; car il n'y a que Dieu seul que je conçoive positivement infini. Pour le reste,

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comme l'étendue du monde, le nombre des parties divisibles de la matière, et autres semblables, j'avoue ingénument que je ne sais point si elles sont absolument infinies ou non: ce que je sais, c'est que je n'y connois aucune fin, et à cet égard je les appelle indéfinies.

Et bien que notre esprit ne soit ni la règle des` choses ni celle de la vérité, du moins doit-il l'être de ce que nous affirmons ou nions: en effet, rien de plus absurde et de plus inconsidéré que de vouloir porter un jugement sur des choses auxquelles, de notre propre aveu, nos perceptions ne sauroient atteindre.

Or je suis surpris que non seulement vous sembliez vouloir le faire, puisque vous dites, si l'étendue est seulement infinie par rapport à nous, elle sera véritablement finie, etc., mais que vous imaginiez encore une étendue divine qui aille audelà de celle des corps; car c'est supposer que Dieu a des parties séparées les unes des autres, qu'il est divisible, et que toute l'essence des corps lui convient entièrement.

Mais pour lever tous vos doutes, lorsque je dis que l'étendue de la matière est infinie, je crois que cela suffit pour empêcher qu'on pour empêcher qu'on ne s'imagine un lieu au-delà d'elle, où les petites parties de mes tourbillons puissent s'échapper; car quelque part où l'on conçoive ce lieu-là, il y a selon mọi

quelque matière, parcequ'en disant qu'elle est étendue d'une manière indéfinie, je dis qu'elle s'étend au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir.

Cependant je crois qu'il y a une grande différence entre l'amplitude ou la grandeur de cette étendue corporelle et celle de Dieu que je ne nomme point étendue, parcequ'à proprement parler il n'y en a point en lui, mais seulement immensité de substance ou d'essence, c'est pourquoi j'appelle celle-ci simplement infinie, et l'autre indéfinie.

que

Au reste je n'admets point ce que vous m'accordez honnêtement, que mes autres opinions peuvent subsister indépendamment de l'étendue 'de la matière ; car, selon moi, c'est là un des principaux fondements de ma Physique, et j'ajoute rien ne me sauroit satisfaire dans cette science, que ce qui comprend cette nécessité logique ou contradictoire, comme vous l'appelez, c'est-à-dire nécessité où nous conduit notre raisonnement pourvu que vous en exceptiez ce que l'on ne peut connoître que par la seule expérience, comme qu'il n'y a qu'un soleil, qu'une lune autour de cette terre, etc.

Et comme vous n'êtes pas éloigné de mes sentiments pour le reste, j'espère que vous admettrez facilement ceux-ci, si vous considérez que c'est un

préjugé de ne pas regarder comme vraie substance corporelle tout être étendu qui n'a rien qui frappe les sens, et de lui donner seulement le nom de vide; enfin qu'il n'y a aucun corps qui ne soit sensible, et qu'il n'y a aucune substance qui ne tombe sous l'imagination, et qui par conséquent ne soit étendue.

Mais le plus grand de tous les préjugés que nous ayons retenu de notre enfance, est celui de croire que les bêtes pensent. La source de notre erreur vient d'avoir vu que plusieurs membres des bêtes n'étoient pas bien différents des nôtres pour la figure et les mouvements, et d'avoir cru que notre âme étoit le principe de tous les mouvements qui sont en nous, qu'elle donnoit le mouvement au corps, et qu'elle étoit la cause de nos pensées. Cela supposé, nous n'avons point fait de difficulté de croire qu'il y eût dans les bêtes quelque âme semblable à la nôtre; mais ayant pris garde, après y avoir bien pensé, qu'il faut distinguer deux différents principes de nos mouvements, l'un tout-à-fait mécanique et corporel, qui ne dépend que de la seule force des esprits animaux et de la configuration des parties, et que l'on pourroit appeler âme corporelle, et l'autre incorporel, c'est-à-dire l'esprit ou l'âme que vous définissez une substance qui pense, j'ai cherché avec grand soin si les mouvements des animaux provenoient de ces deux principes ou d'un

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