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paresseux à lui répondre : ́et puisqu'il ne veut pas dire son nom, de peur de faillir dans l'inscription, je m'abstiendrai de tout prélude.

1. Il me semble qu'il est très vrai de dire que pendant que l'âme est unie au corps, l'âme ne peut en aucune façon détourner sa pensée des impressions que les sens font sur elle, lorsqu'elle est touchée avec beaucoup de force par leurs objets, soit extérieurs, soit intérieurs. J'ajoute aussi qu'elle ne s'en peut dégager, lorsqu'elle est jointe à un cerveau trop humide, ou trop mou, tel qu'il est dans les enfants; ou à un cerveau dont le tempérament est autrement mal affecté, tel qu'il est dans les léthargiques, dans les apoplectiques et dans les frénétiques; ou même tel qu'il a coutume d'être en nous, lorsque nous sommes ensevelis dans un profond sommeil : car toutes les fois que nous songeons à quelque chose dont nous nous ressouvenons par après, nous ne faisons que som

meiller.

2. Il ne suffit pas pour nous ressouvenir de quelque chose que cette chose se soit autrefois présentée à notre esprit, et qu'elle ait laissé quelques vestiges dans le cerveau, à l'occasion desquels la même chose se présente derechef à notre pensée; mais de plus, il est requis que nous reconnoissions, lorsqu'elle se présente pour la seconde fois, que cela se fait à cause que nous l'avons auparavant

aperçue; ainsi, souvent il se présente à l'esprit des poëtes certains vers qu'ils ne se souviennent point avoir jamais lus en d'autres auteurs, lesquels néanmoins ne se présenteroient pas à leur esprit s'ils ne les avoient lus quelque part.

D'où il paroît manifestement que, pour se ressouvenir, toutes sortes de vestiges que les pensées précédentes ont laissés dans le cerveau ne sont pas propres, mais seulement ceux qui sont tels qu'ils peuvent donner à connoître à l'esprit qu'ils n'ont pas toujours été en nous, mais ont été autrefois nouvellement imprimés. Or, afin que l'esprit puisse reconnoître cela, j'estime que lorsqu'ils ont été imprimés la première fois, il a dû se servir d'une conception pure, afin d'apercevoir par ce moyen que la chose qui lui venoit alors en l'esprit étoit nouvelle, c'est-à-dire qu'elle ne lui avoit pas auparavant passé par l'esprit; car il ne peut y avoir aucun vestige corporel de cette nouveauté: ainsi donc, si j'ai écrit en quelque endroit que les pensées qu'ont les enfants ne laissent d'elles aucuns vestiges dans le cerveau, j'ai entendu parler de ces vestiges qui sont nécessaires pour le souvenir, c'està-dire de ceux que par une conception pure nous apercevons être nouveaux, lorsqu'ils s'impriment; en même façon que nous disons qu'il n'y a aucuns vestiges d'hommes dans une plaine sablonneuse, où nous ne remarquons point la figure d'aucun pied

par

d'homme qui y soit empreinte, encore que peutêtre il s'y rencontre plusieurs inégalités faites les pieds de quelques hommes, lesquelles par conséquent peuvent en un autre sens être appelées des vestiges d'hommes. Enfin, comme nous mettons distinction entre la vision directe et la réfléchie, en ce que celle-là dépend de la première rencontre des rayons, et l'autre de la seconde; ainsi j'appelle les premières et simples pensées des enfants qui leur arrivent, par exemple, lorsqu'ils sentent de la douleur de ce que quelque vent enfermé dans leurs entrailles les fait étendre, ou du plaisir de ce que le sang dont ils sont nourris est doux et propre à leur entretien ; je les appelle, dis-je, des pensées directes et non pas réfléchies: mais lorsqu'un jeune homme sent quelque chose de nouveau, et qu'en même temps il aperçoit qu'il n'a point encore senti auparavant la même chose, j'appelle cette seconde perception une réflexion, et je ne la rapporte qu'à l'entendement seul, encore qu'elle soit tellement conjointe avec la sensation, qu'elles se fassent ensemble, et qu'elles ne semblent pas être distinguées l'une de l'autre.

3. J'ai tâché d'ôter l'ambiguïté qui est en ce mot de pensée dans l'article 63 et 64 de la première partie des Principes; car comme l'extension qui constitue la nature du corps diffère beaucoup des diverses figures ou manières d'extension qu'elle

prend; ainsi la pensée, ou la nature qui pense, dans laquelle je crois que consiste l'essence de l'esprit humain, est bien différente d'un tel ou tel acte de penser en particulier. Et l'esprit peut bien lui-même être la cause de ce qu'il exerce tels ou tels actes de penser, mais non pas de ce qu'il est une chose qui pense. Tout de même qu'il dépend de la flamme comme d'une cause efficiente, de ce qu'elle s'étend d'un côté ou d'un autre, mais non pas de ce qu'elle est une chose étendue. Par la pensée donc, je n'entends point quelque chose d'universel qui comprenne toutes les manières de penser, mais bien une nature particulière qui reçoit en soi tous ces modes, ainsi que l'extension est aussi une nature qui reçoit en soi toutes sortes de figures.

4. C'est autre chose d'avoir connoissance de nos pensées au moment même que nous pensons, et autre chose de s'en ressouvenir par après. Ainsi nous ne pensons rien dans nos songes, qu'à l'instant même que nous pensons nous n'ayons connoissance de notre pensée, encore que le plus souvent nous l'oublions aussitôt. Et il est vrai que nous n'avons pas connoissance de quelle façon notre âme envoie les esprits animaux dans les nerfs; car cette façon ne dépend pas de l'âme seule, mais de l'union qui est entre l'âme et le corps; néan moins nous avons connoissance de toute cette ac

tion, par laquelle l'âme meut les nerfs, en tant qu'une telle action est dans l'âme, puisque ce n'est rien autre chose en elle que l'inclination de sa volonté à un tel ou tel mouvement. Et cette inclination de la volonté est suivie du cours des esprits dans les nerfs, et de tout ce qui est requis pour ce mouvement, ce qui arrive à cause de la convenable disposition du corps, dont l'âme peut bien n'avoir point de connoissance, comme aussi à cause de l'union de l'âme avec le corps, de laquelle sans doute notre âme a connoissance; car autrement jamais elle n'inclineroit sa volonté à vouloir mouvoir les membres..

Maintenant que l'esprit, qui est incorporel, puisse faire mouvoir le corps, il n'y a ni raisonnement ni comparaison tirée des autres choses qui nous le puisse apprendre; mais néanmoins nous n'en pouvons douter, puisque des expériences trop certaines et trop évidentes nous le font connoître tous les jours manifestement. Et il faut bien prendre garde que cela est l'une des choses qui sont connues par elles-mêines, et que nous obscurcissons toutes les fois que nous les voulons expliquer par d'autres. Toutefois, pour ne rien oublier de ce que je puis pour votre satisfaction, je me servirai ici d'une comparaison. La plupart des philosophes qui croient que la pesanteur d'une pierre est une qualité réelle, distincte de la pierre, croient en

10.

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