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dez que vous entendez aussi proprement parler du temps, qui est la durée du mouvement, à savoir du soleil et des autres astres, il semble que cela n'appartient en aucune façon à la conservation de notre esprit, puisque, bien que l'on supposât qu'il n'y eût aucun corps en la nature (ainsi que vous supposez en la troisième méditation) par le mouvement duquel le temps se pût mesurer, tout ce que vous dites de la nécessaire conservation de notre esprit ne laisseroit pas de se soutenir et avoir de la force.

C'est pourquoi, afin que cette démonstration ait autant de force que les autres, il seroit besoin qué vous prissiez la peine d'expliquer ce qui suit :

1. Ce que c'est que la durée, et en quoi elle diffère de la chose qui dure.

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2. Si la durée d'une chose permanente et spirituelle est successive ou permanente.

3. Ce que c'est proprement que le temps, et en quoi il diffère de la succession d'une chose permanente; et si l'un et l'autre est une chose successive.

4. D'où le temps emprunte sa brièveté ou sa longueur, et d'où le mouvement emprunte sa tardiveté ou sa vitesse.

Par après, au sujet même de la durée, vous établissez pour axiome que ce qui peut faire ce qui est plus grand ou plus difficile, peut faire aussi ce qui est moindre. Toutefois cela ne semble pas universellement vrai, ainsi que le requiert la na

ture d'un axiome. Car, par exemple, je puis bien entendre et concevoir, mais je ne puis néanmoins faire mouvoir la terre de sa place, quoique pourtant le premier soit beaucoup plus grand que le dernier. Enfin, il semble que ce ne soit pas une chose plus grande de me conserver moi-même que de me donner les perfections que j'aperçois qui me manquent, puisque je sens que la toute-puissance et la science de toutes choses me manquent, lesquelles toutefois je ne pourrois me donner sans me faire Dieu; ce qui seroit beaucoup plus grand que de me conserver moi-même.

qu'une chose étendue n'est pAS RÉELLEMENT DISTINCTE

DE SON EXTENSION LOCALE.

Vous soutenez qu'une chose étendue ne peut en aucune façon être distinguée de son extension locale; vous m'obligerez donc fort de me dire si vous n'avez point inventé quelque raison par laquelle vous accordiez cette doctrine avec la foi catholique, qui nous oblige de croire que le corps de Jésus-Christ est présent au Saint-Sacrement de l'autel sans extension locale, ainsi que vous avez très bien montré comment l'indistinction des accidents d'avec la substance peut s'accorder avec le même mystère; autrement vous voyez bien à quel danger vous exposez la chose du monde la plus sacrée.

DU VIDE.

Vous assurez que non seulement il n'y a point de vide en la nature, mais même qu'il n'y en peut avoir ce qui semble déroger à la toute-puissance de Dieu. Quoi donc, Dieu ne peut-il pas réduire au néant le vin qui est contenu dans un tonneau, et n'y produire aucun autre corps en sa place, ou ne pas souffrir qu'il y entre aucun autre, quoique ce dernier ne soit pas nécessaire, puisque le vin étant une fois anéanti, aucun autre corps ne pourroit rentrer en sa place qu'il ne laissât une autre place vide en la nature? D'où il suit, ou que Dieu conserve nécessairement tous les corps, ou que s'il peut en réduire un au néant, il

avoir du vide.

peut aussi

y

Mais, dites-vous, s'il y avoit du vide, ce vide auroit toutes les propriétés du corps, comme sont la longueur, la largeur, la profondeur, la divisibilité, et ainsi du reste, et par conséquent ce seroit un vrai corps.

Je réponds que ce vide qui est un néant n'a aucune propriété, mais seulement la concavité du tonneau, dont les parties sont éloignées de tant de pieds l'une de l'autre ; et certes le corps contenu entre les côtés de ce tonneau ne contribue rien à cela; ce qui fait que ce n'est pas merveille si ce corps étant ôté les mêmes propriétés conviennent

encore à cette concavité. Car puisque le tonneau et le vin, ou quelque autre corps que ce puisse être qui soit contenu entre les côtés du tonneau, sont deux substances tout-à-fait diverses, chacune desquelles peut être conçue sans l'autre comme une chose complète; je vous demande si, lorsque je considère le tonneau séparément, je ne puis pas mesurer sa concavité, voir combien il y a de pieds depuis un fond jusqu'à l'autre, et quel est le diamètre de sa concavité cylindrique, et ainsi du reste. Aussi je prétends seulement que ces propriétés demeurent, le corps qui étoit contenu dedans étant anéanti, et non pas celles qui appartenoient particulièrement à ce corps; comme par exemple, que ses parties pouvoient être séparées les unes des autres et être agitées en diverses façons.

Quoi qu'il en soit, j'aimerois mieux avouer mon ignorance que de me persuader que Dieu conserve nécessairement tous les corps, ou du moins qu'il 'n'en peut anéantir aucun, qu'en même temps il n'en crée un autre.

Voilà, monsieur, ce que j'ai jugé avoir besoin d'une explication plus exacte en ce que vous avez écrit. Que si les prières d'un homme inconnu n'ont pas assez de force pour obtenir cela de vous, j'espère que le grand amour que j'ai pour la vérité, qui seule m'a donné la hardiesse de vous écrire, et qui vous fait aimer de tous ceux qui la chérissent,

vous portera à m'accorder l'effet de ma prière, et à satisfaire à tous mes doutes, et même à ma curiosité. Je suis, etc.

RÉPONSE DE M. DESCARTES'.

(Lettre 4 du tome II. Version.)

MONSIEUR,

Encore que l'auteur des objections qui me furent hier envoyées n'ait point voulu être connu ni de nom ni de visage, toutefois il n'a pu si bien se cacher qu'il ne se soit fait connoître par la partie qui est en lui la meilleure, à savoir par l'esprit ; et pourceque je reconnois qu'il est fort subtil et fort savant, je n'aurai point de honte d'être vaincu et enseigné par un homme de sa sorte: mais pourcequ'il dit lui-même, qu'il ne s'est point adressé à moi à dessein de contester, mais seulement par un désir de découvrir la vérité, je lui répondrai pur ici en peu de mots, afin de réserver quelque chose pour son entretien. Car je crois qu'on peut agir plus sûrement par lettres avec ceux qui aiment la dispute; mais pour ceux qui ne cherchent que

1 « Datée du 16 juillet 1647. »

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