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fatras d'entités scolastiques; en sorte que je n'ai pu m'empêcher de rire quand j'ai vu ce grand nombre de raisons que cet homme, sans doute peu méchant, a ramassées avec grand soin et travail, pour montrer que les enfants n'ont point la connoissance actuelle de Dieu tandis qu'ils sont au ventre de leur mère, comme si par là il avoit trouvé un beau moyen de me combattre. Secondement, que je n'ai aussi jamais enseigné qu'il falloit nier qu'il y eût un Dieu, ou que Dieu pouvoit nous tromper; ou qu'il falloit révoquer toutes choses en doute; ou que l'on ne devoit donner aucune créance aux sens; ou que le sommeil ne se pouvoit distinguer de la veille, et autres choses semblables qui m'ont quelquefois été objectées par des calomniateurs ignorants; mais que j'ai rejeté toutes ces choses en paroles très expresses, et que je les ai même réfutées par des arguments très forts, et j'ose même dire plus forts qu'aucun autre ait fait avant moi : et afin de le pouvoir faire plus commodément et plus efficacement, j'ai proposé toutes ces choses comme douteuses au commencement de mes Méditations; mais je ne suis pas le premier qui les ai inventées; il y a longtemps qu'on a les oreilles battues de semblables. doutes proposés par les sceptiques. Mais qu'y a-t-il de plus inique que d'attribuer à un auteur des opinions qu'il ne propose que pour les réfuter?

Qu'y a-t-il de plus impertinent que de feindre qu'on les propose, et qu'elles ne sont pas encore réfutées, et partant que celui qui rapporte les arguments dont se servent les athées est lui-même un athée pour un temps? Qu'y a-t-il de plus puéril que de dire que s'il vient à mourir avant que d'avoir écrit ou inventé la démonstration qu'il espère, il meurt comme un athée; et qu'il a enseigné par avance une pernicieuse doctrine, contre la maxime communément reçue, qui dit qu'il n'est pas permis de faire du mal pour en tirer du bien, et choses semblables? Quelqu'un dira peut-être que je n'ai pas rapporté ces fausses opinions comme venant d'autrui, mais comme miennes; mais qu'importe cela? puisque dans le même livre où je les ai rapportées, je les ai aussi toutes réfutées; et même qu'on peut voir aisément par le titre du livre que j'étois fort éloigné de les croire, puisque j'y promettois des démonstrations touchant l'existence de Dieu. Et peut-on s'imaginer qu'il y en ait de si sots, ou de si simples, que de se persuader que celui qui compose un livre qui porte ce titre ignore, quand il trace les premières pages, ce qu'il a entrepris de démontrer dans les suivantes? De plus, la façon d'écrire que je m'étois proposée, qui étoit en forme de méditations, et que j'avois choisie comme fort propre pour expliquer plus clairement les raisons que j'avois à

déduire, m'obligeoit de ne pas proposer ces objections autrement que comme miennes. Que si cette raison ne satisfait pas ceux qui se mêlent de censurer mes écrits, je voudrois bien savoir ce qu'ils disent des Écritures saintes, avec lesquelles nuls autres écrits qui viennent de la main des hommes ne doivent être comparés, lorsqu'ils y voient certaines choses qui ne se peuvent bien entendre, si l'on ne suppose qu'elles sont rapportées comme étant dites par des impies, ou du moins par d'autres que par le saint Esprit ou les prophètes; telles que sont ces paroles de l'Ecclésiastique, chapitre second: Ne vaut-il pas mieux boire et manger et faire goûter à son âme des fruits de son travail? et cela vient de la main de Dieu. Qui. est-ce qui en pourra dévorer autant, ou qui pourra se gorger de plaisirs autant que moi? Et au chapitre suivant: J'ai souhaité en mon cœur, pensant aux enfants des hommes, que Dieu les éprouvât, et fit connoître qu'ils sont semblables aux bêtes. C'est pourquoi, l'homme et les chevaux périssent de même façon, leur condition est pareille; comme l'homme meurt, ceux-ci meurent; ils ont tous une pareille respiration, et l'homme n'a rien de plus que le cheval, etc. Pensent-ils que le saint Esprit nous enseigne en ce lieu-là qu'il faut faire bonne chère, qu'il n'y a qu'à se donner du bon temps, et que nos âmes ne sont pas plus immortelles que celles

des chevaux? Je ne pense pas qu'ils soient enragés et perdus à ce point; mais aussi ne doivent-ils pas me calomnier, si je n'ai pas gardé en écrivant des précautions qui n'ont jamais été observées par aucun autre qui ait écrit, non pas même par le SaintEsprit.

Et en troisième lieu, je donne avis à l'auteur de ces libelles que je n'ai jamais écrit que Dieu ne doit pas être dit seulement négativement, mais même positivement la cause efficiente de soi-même, ainsi qu'il assure fort inconsidérément en la page 8 de son dernier livre. Qu'il cherche dans mes écrits, qu'il les lise, qu'il les parcoure d'un bout à l'autre, au lieu d'y trouver rien de semblable, il y trouvera tout le contraire. Et il n'y a pas un de ceux qui ont lu mes écrits, ou qui me connoissent tant soit peu, ou du moins qui ne me tiennent pas tout-à-fait pour un fat ou pour un insensé, qui ne sache que je suis fort éloigné d'avoir des opinions si monstrueuses. Et c'est ce qui fait que j'admire grandement quel peut être le dessein de ces calomniateurs; car s'ils prétendent de persuader aux hommes que j'ai écrit des choses toutes contraires à celles qui se trouvent dans mes écrits, ils devroient auparavant prendre le soin de supprimer tous ceux que j'ai publiés, et même d'effacer de la mémoire de ceux qui les ont lus tout ce qu'ils en ont retenu; car tandis qu'ils ne le font

point, ils se nuisent plus qu'à moi. J'admire aussi qu'ils s'élèvent si fort, et avec tant de chaleur et d'animosité, contre une personne qui ne les a jamais ni attaqués, ni nui en aucune chose, mais qui pourroit peut-être bien leur nuire s'ils m'avoient irrité; et que cependant ils ne disent mot à plusieurs autres qui ont réfuté leur doctrine par des livres entiers, et qui se sont moqués d'eux comme de gens simples et extravagants. Je ne veux pourtant rien ajouter ici qui puisse davantage les détourner du dessein qu'ils peuvent avoir de m'attaquer par leurs libelles; c'est avec plaisir que je vois qu'ils m'estiment assez pour m'attaquer de la sorte; mais cependant je souhaite qu'ils reviennent en leur bon sens.

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Ceci a été écrit à Egmont, en Hollande, sur la fin du mois de décembre en l'année 1647.

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