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Il est vrai que j'ai dit en quelque endroit qu'elles se rapportent toutes à deux principales, à savoir à la perception de l'entendement et à la détermination de la volonté; mais notre auteur les appelle d'un nom fort impropre l'entendement et la volonté, après quoi il divise ce qu'il a appelé entendement en perception et jugement; en quoi il s'éloigne de mon opinion: car pour moi, voyant qu'outre la perception, qui est absolument requise avant que nous puissions juger, il est encore besoin d'une affirmation ou d'une négation pour établir la forme d'un jugement; et prenant garde que souvent il nous est libre d'arrêter et de suspendre notre consentement, encore que nous ayons la perception de la chose dont nous devons juger, j'ai rapporté cet acte de notre jugement, qui ne consiste que dans le consentement que nous donnons, c'est-à-dire dans l'affirmation ou dans la négation de ce dont nous jugeons, à la détermination de la volonté, plutôt qu'à la perception de l'entendement. Après cela, faisant le dénombrement des espèces de perception, il ne compte que le sentiment, la réminiscence, et l'imagination: d'où l'on peut inférer qu'il n'admet aucune intellection pure, c'est-à-dire aucune intellection qui soit indépendante de toute image corporelle; et partant on peut penser qu'il est de cette opinion, qu'on ne peut avoir aucune connoissance de Dieu

ni de l'âme humaine, ni d'aucune autre chose incorporelle; de quoi je ne puis m'imaginer d'autre cause, sinon que les pensées qu'il a de ces choses sont si confuses, qu'il n'en conçoit aucune qui soit pure et entièrement détachée de toute image corporelle.

Enfin, après tous ces articles, il a ajouté ces paroles, qu'il a tirées d'un de mes écrits': Il n'y en a point qui parviennent plus aisément à une haute réputation de piété que les superstitieux et les hypocrites; par lesquelles je ne puis deviner ce qu'il a voulu dire, si ce n'est peut-être qu'il a imité les hypocrites, en ce que souvent il a dit les choses autrement qu'il ne les pensoit; mais je ne pense pas qu'il puisse jamais parvenir par ce moyen à une grande réputation de piété.

Au reste, je suis ici contraint de confesser que j'ai beaucoup de confusion d'avoir autrefois loué cet auteur comme un homme d'un esprit fort vif et pénétrant, et d'avoir écrit en quelque endroit que je ne pensois pas qu'il enseignât aucunes opinions que je ne voulusse bien reconnoître pour miennes. Il est vrai que pour lors je n'avois encore vu de lui aucun écrit où il n'eût été un fidèle copiste, si ce n'est peutêtre en un seul mot qu'il s'étoit hasardé de dire

* « Épître dédicatoire à la princesse Élizabeth, en tête des Principes. » 2 « Lettre à G. Voëtius. »

de lui-même, mais qui lui avoit si mal succédé, et dont il avoit été si sévèrement repris par ses collègues, que cela me faisoit croire qu'il n'entreprendroit plus rien de semblable; et pourceque je voyois qu'en tout le reste il embrassoit avec grande affection des opinions que j'estimois être très véritables, j' ttribuois cela à la force et à la vivacité de son esprit. Mais maintenant plusieurs expériences m'obligent de croire que c'est plutôt l'amour de la nouveauté que celle de la vérité qui l'emporte. Et d'autant qu'il trouve trop vieux et trop hors d'usage tout ce qu'il a appris d'autrui, et que rien ne lui paroît assez nouveau que ce qu'il tire de sa propre cervelle, et aussi qu'il est si peu heureux en ses inventions, que je n'ai jamais remarqué aucun mot en ses écrits ( si ce n'est qu'il l'eût tiré de ceux des autres) que je ne jugeasse contenir quelque erreur ; je me sens obligé d'avertir ici tous ceux qui le tiennent pour un grand défenseur de mes opinions qu'il n'y en a presque aucune, non seulement en ce qui concerne les choses métaphysiques, où il ne feint point de me contredire ouvertement, mais aussi en, celles qui concernent les choses physiques, qu'il ne propose mal, et dont il ne corrompe le sens. De sorte que je suis plus indigné de voir qu'un tel docteur s'ingère d'enseigner mes opinions, et prenne à tâche d'interpréter mes écrits et d'y faire des commen

taires, que d'en voir quelques autres qui les combattent avec aigreur et animosité.

Car je n'en ai encore vu pas un qui ne m'ait attribué des opinions tout-à-fait différentes des miennes, et même si absurdes et si impertinentes, que je n'appréhende pas qu'on puisse jamais persuader à des personnes tant soit peu raisonnables que je sois l'auteur de telles opinions. C'est ainsi qu'à ce moment même que j'écris, on me vient d'apporter deux libelles tout nouvellement composés par un écrivain de cette farine, dans le premier desquels il est dit qu'il y a certains novateurs qui tâchent d'ôter toute la créance que l'on peut avoir aux sens, et qui soutiennent qu'un philosophe peut nier qu'il y ait un Dieu, et douter de son existence, après avoir admis d'ailleurs que l'idée, l'espèce et la connoissance actuelle de Dieu est naturellement empreinte en notre esprit. Et dans l'autre il est dit que ces novateurs prononcent hardiment que Dieu ne doit pas être dit seulement négativement, mais même positivement la cause efficiente de soi-même. Voilà tout ce dont il s'agit dans l'un et dans l'autre de ces libelles, qui ne contiennent rien de plus, sinon un ramas d'arguments pour prouver, premièrement, que les enfants dans le ventre de leurs mères n'ont aucune connoissance actuelle de Dieu, et partant, que nous n'avons aucune idée ou espèce actuelle de Dieu naturellement empreinte en notre es

prit; secondement, qu'il ne faut pas nier qu'il y ait un Dieu, et que ceux-là qui le nient doivent être tenus pour des athées, et sont punissables par les lois; enfin, que Dieu n'est pas la cause efficiente de soimême. Toutes lesquelles choses je pourrois à la vérité dissimuler, comme n'étant point écrites contre moi, à cause que mon nom ne se trouve point dans ces écrits, et qu'il n'y a pas une opinion de celles qui y sont impugnées que je ne tienne pour très fausse et tout-à-fait absurde: mais néanmoins, pourcequ'elles ressemblent fort à quelques unes qui m'ont déjà été plusieurs fois faussement imputées par des gens de cette robe, et qu'on n'en connoît point d'autres à qui on les puisse attribuer; et aussi pourceque tout le monde sait que c'est contre moi que ces libelles ont été faits, je prendrai ici occasion d'avertir leur auteur, premièrement, que lorsque j'ai dit que l'idée de Dieu est naturellement en nous, je n'ai jamais entendu autre chose que ce que lui-même, dans la sixième section de son second livre, dit en termes exprès être véritable, c'est à savoir, que la nature a mis en nous une faculté par laquelle nous pouvons connoître Dieu; mais que je n'ai jamais écrit ni pensé que telles idées fussent actuelles ou qu'elles fussent des espèces distinctes de la faculté même que nous avons de penser. Et même je dirai plus, qu'il n'y a personne qui soit si éloigné que moi de tout ce

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