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torité de la raison. Cette autorité reconnue donnc lieu aux trois formules suivantes : « Ne rien admettre pour vrai qui ne soit clairement et distinctement conçu comme vrai. Ne retenir une conclusion quand on a oublié les prémisses, c'est-à-dire quand on se souvient qu'on l'a trouvée évidente sans apercevoir actuellement son évidence, que si d'abord on a prouvé que nos facultés naturelles, appliquées à leur objet propre et dans la juste mesure de leur extension, ne peuvent nous tromper. Admettre la distinction réelle entre deux substances sur cet unique fondement qu'elles peuvent être conçues exister séparément l'une de l'autre. »

RAPPORTS DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA FOI.

La philosophie, d'abord servante, puis auxiliaire de la foi, devient ainsi sa rivale; et la question de savoir des deux principes lequel doit céder dans un conflit naît tout aussitôt, ou du moins acquiert une nouvelle importance. Bayle, Leibnitz, Malebranche, tous les philosophes du dixseptième siècle, ont étudié cette question capitale; ils ne l'ont pas fait, ils n'ont pas pu le faire avec assez d'indépendance et d'impartialité. La religion et la philosophie ne diffèrent pas seulement, comme on l'a cru, par leur origine; et c'est une pensée plus brillante que juste de ne voir dans la révélation qu'une anticipation de la Providence sur les découvertes à venir de l'esprit humain. D'autres différences naissent entre la religion et la philosophie de la différence même de leur origine: la révélation, qui prononce au nom de Dieu sur le sort de l'humanité, n'a d'autre borne que nos besoins et la volonté de Dieu; la philosophie, qui s'adresse à la raison, a nécessairement pour limites les limites mêmes de notre intelligence. Leur but est le même, car elles viennent l'une et l'autre pour élever l'homme jusqu'à Dieu; mais la philosophie agite des problèmes que la religion dédaigne, et la religion nous révèle des vérités que la philosophie n'atteint pas.

La révélation, qui n'omet rien de ce qui regarde notre destinée morale, exclut toute spéculation d'une importance purement scientifique; la philosophie, qui ne peut embrasser que ce qui est susceptible de démonstration, renonce à des questions importantes, pour lesquelles les méthodes lui manquent, et, poursuivant ses recherches dans une autre direction, ne nous apprend pas seulement à quitter la terre, mais à la connaître. La foi ne donne que le nécessaire; elle ne révèle que le fait; elle livre le comment à nos disputes; elle détruit l'inquiétude et non la curiosité; elle annonce la solution et laisse subsister le problème. Intelligible pour tous, universelle, elle ne dédaigne aucune intelligence, et fait balbutier ses dogmes aux petits enfants, tandis que la philosophie s'adresse à des esprits cultivés seulement. L'une a pour base psychologique le besoin de se soumettre, et l'autre le besoin de juger par soi-même, de voir par ses propres yeux, de ne relever que de soi. La philosophie est, par essence, l'esprit d'examen et de liberté; et la religion, l'esprit d'abnégation, de renonciation, d'obéissance. Il y a des esprits qui se jettent dans la foi, en haine de la raison, par mépris ou par désespoir; d'autres l'embrassent par fatigue, et pour y trouver le repos après les orages de la liberté. D'autres enfin se trompent sur la nature de la religion et sur celle de la philosophie; ils croient qu'on peut avoir la foi sans accepter le dogme sur tous les points avec une confiance implicite, ou qu'on mérite encore le nom de philosophe quand on reconnaît une autre autorité que celle de la raison. Égale erreur des deux côtés : la religion et la philosophie reposent chacune sur un principe absolu, et par conséquent leur séparation est éternelle.

Toute confusion entre la religion et la philosophie ne peut donc qu'égarer les esprits. Il ne s'ensuit pas qu'elles doivent se combattre; loin de là, car si une religion est vraie, elle est nécessairement d'accord sur tous les points avec une phi

losophie bien faite. Si la foi vient de Dieu, c'est aussi de lui que vient la raison; il ne peut pas nous avoir formés pour croire naturellement et invinciblement ce qu'il nous ordonnerait ensuite par ses prophètes de rejeter et de détester. La philosophie, en définitive, ne peut nuire à une religion véritable, quoiqu'une école particulière puisse être opposée à la religion.

Pour soutenir l'identité de la religion et de la philosophic, il faudrait être étranger à toute psychologie, et ne tenir aucun compte de la diversité de penchants et de sentiments qui se rencontre parmi les hommes. Cette opinion suppose en outre que ceux qui l'admettent ne croient à la vérité d'aucune religion, s'ils pensent que toute religion est une philosophie incomplète, ou qu'ils ne reconnaissent pas l'autorité de la raison, s'ils pensent que toute spéculation philosophique ne doit être qu'un commentaire de la parole révélée. L'homme a le droit et il sent le besoin de chercher la vérité par luimême, et il n'en résulte pas que Dieu n'ait pu la lui révéler directement sur les points qui concernent le salut. Par conséquent l'existence, la légitimité et l'indépendance de la philosophie son incontestables : la foi en demeure separée par son origine et par sa nature; et tout ce que l'on peut affirmer, c'est qu'une religion vraie et une philosophie bien faite ne peuvent manquer d'être d'accord.

Mais il y a de plus entre la religion et la philosophie cette différence, qu'une religion ne peut se tromper sans périr, car elle parle au nom de Dieu; une philosophie, au contraire, est la recherche incertaine de la vérité, et n'a rien d'infaillible que la lumière même qui la guide. Il ne suffit donc pas de dire, pour éclairer les consciences, que la religion vraie et la philosophie vraie ne peuvent se combattre '; c'est un principe général excellent, mais qui suppose la reli

1 Cf. Leibnitz, De verá methodo philosophia et theologiæ.

gion bien interprétée et la philosophie bien faite; ce n'est pas une règle de conduite. Distinguer dans ses opinions et admettre comme philosophe ce qu'on rejette comme chrétien, c'est tenter une scission impossible et faire deux hommes d'un seul 1. Il n'y a donc pas lieu à hésiter; si l'on veut rester attaché à une croyance religieuse tout en faisant de la philosophie, il faut prendre son parti, dès le commencement, de renoncer purement et simplement à celles de ses découvertes qui ne seront pas d'accord avec la foi. C'est dans ce sens que Descartes, avant de douter, a voulu mettre à part comme dans une arche sainte les vérités révélées. Ce sage et ferme génie a cru qu'il pouvait être philosophe et rester chrétien; mais il a compris en même temps qu'il y avait séparation complète et profonde entre la religion et la philosophie; qu'on pouvait, selon sa croyance, les subordonner l'une à l'autre, mais qu'on ne pouvait les identifier et les unir. N'oublions pas seulement, pour rester fidèles à l'esprit de Descartes et à la vérité, que le principe de la révélation, pour être admis, doit être contrôlé par la raison 2; la raison, en le prenant pour maître, le choisit et ne le subit pas, et fait en abdiquant acte de souveraineté.

AUTORITÉ DE LA CONSCIENCE.

Je pense, done je suis, n'est pas un enthymème dont la majeure serait : « Point de phénomène sans substance, » ou : « Point d'action sans argent. » Il n'y a point là de conclu

1 Concile de Latran, V, sess. 8: «Toute assertion contraire à la foi est absolument fausse.» S. Aug., ép. 145 à Marcellin: « Si quæ ratio contra divinarum Scripturarum auctoritatem redditur, quamlibet acuta sit, fallit verisimilitudine, nam vera esse non potest. »

2 Clém. d'Al. Strom., 1. I : « Græca philosophia ad doctrinam Salvatoris accedens, non potentiorem facit veritatem, sed sophisticam adversùs eam impressionem imbecillem reddens, propulsansque dolosas contra veritatem insidias, congruens vineæ sepimentum et vallum dicitur. »

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sion ni d'antécédenet on doit dire avec vérité que l'être dépend moins de la pensée que la pensée ne dépend de l'être. Mais, quoiqu'on ne puisse concevoir la pensée sans un être qui pense, aucun être ne peut être connu sans une action ou un phénomène qui manifeste son existence; en sorte que la connaissance de l'être est donnée dans la connaissance de ses phénomènes, précisément parce que l'existence du phénomène dépend de la substance.

Ce principe de la philosophie cartésienne, Je pense, donc je suis, est ce que les adversaires du cartésianisme ont attaqué avec le plus de persévérance; et cela se conçoit, car, ce principe admis, l'autorité de la conscience et de la raison s'ensuit nécessairement. On disait : Ce n'est pas un raisonnement. Il est vrai, ce n'en est pas un, c'est un fait incontestable ; mais reconnaître que ce fait est vrai et qu'il ne peut (tre contesté, c'est reconnaître que le scepticisme le plus hardi s'arrête devant la conscience, et qu'il y a au moins une affirmation qui résiste à toutes les tentatives que l'on peut essayer contre elle. On disait aussi : Ce n'est pas un premier principe; et pour le montrer on s'appuyait sur la synthèse même de Descartes, qui se conclut en trois propositions: Je pense, donc je suis; je suis et j'ai l'idée de Dieu; Dieu est véridique; donc je dois me fier à mes facultés. Il résulte de cette synthèse ainsi construite que si je ne dois me fier à mes facultés qu'après avoir vérifié l'existence de Dieu, je ne puis rien affirmer auparavant. Cette objection est solide contre le système de Descartes en ce qui touche la nécessité de l'intervention de l'idée de Dicu, mais elle ne prouve rien contre le Je pense, donc je suis.

Enfin on opposait à Descartes que cet enthymème, Je pens?,

Lorsque quelqu'un dit: Je pense, donc je suis, il ne conclut pas son existence de sa pensée comme par la force de quelque syllogisme, mais comme une chose connue de soi. (Réponse à Mersenne.)

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