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propre, ou même avec plus de soin, pour ce que, se représentant que lui et eux font un tout dont il n'est pas la meilleure partie, il préfère souvent leurs intérêts aux siens, et ne craint pas de se perdre pour les sauver. L'affection que les gens d'honneur ont pour leurs amis est de cette nature, bien qu'elle soit rarement si parfaite; et celle qu'ils ont pour leur maîtresse en participe beaucoup, mais elle participe aussi un peu de l'autre.

Art. 83. De la différence qui est entre la simple affection, l'amitié et la dévotion.

On peut, ce me semble, avec meilleure raison, distinguer l'amour par l'estime qu'on fait de ce qu'on aime, à comparaison de soi-même : car lorsqu'on estime l'objet de son amour moins que soi, on n'a pour lui qu'une simple affection; lorsqu'on l'estime à l'égal de soi, cela se nomme amitié ; et lorsqu'on l'estime davantage, la passion qu'on a peut être nommée dévotion. Ainsi on peut avoir de l'affection pour une fleur, pour un oiseau, pour un cheval; mais, à moins que d'avoir l'esprit fort déréglé, on ne peut avoir de l'amitié que pour des hommes. Et ils sont tellement l'objet de cette passion, qu'il n'y a point d'homme si imparfait qu'on ne puisse avoir pour lui une amitié très-parfaite lorsqu'on en est aimé et qu'on a l'âme véritablement noble et généreuse, suivant ce qui sera expliqué ci-après en l'article 144 et 146. Pour ce qui est de la dévoțion, son principal objet est sans doute la souveraine Divinité, à laquelle on ne saurait manquer d'être dévot lorsqu'on la connaît comme il faut; mais on peut aussi avoir de la dévotion pour son prince, pour son pays, pour sa ville, et même pour un homme particulier, lorsqu'on l'estime beaucoup plus que soi. Or, la différence qui est entre ces trois sortes d'amour paraît principalement par leurs effets; car, d'autant qu'en toutes on se considère comme joint et uni à la chose aimée, on est toujours prêt d'abandonner la moindre partie du tout qu'on compose avec elle pour conserver l'autre. Ce qui fait qu'en la simple affection l'on se préfère toujours à ce qu'on aime, et qu'au contraire en la dévotion l'on préfère tellement la chose aimée à soi-même qu'on ne craint pas de mourir pour la conserver. De quoi on a vu souvent des exemples en ceux qui se sont exposés à une mort certaine pour la défense de leur prince ou de leur ville, et même aussi quelquefois pour des personnes particulières auxquelles ils s'étaient dévoués.

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Art. 86. La définition du désir.

La passion du désir est une agitation de l'âme causée par les esprits qui la disposent à vouloir pour l'avenir les choses qu'elle se représente lui être convenables. Ainsi on ne désire pas seule

'a présence du bien absent, mais aussi la conservation du et de plus l'absence du mal, tant de celui qu'on a déjà 'i qu'on croit pouvoir recevoir au temps à venir.

FUXIEME PARTIE

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nble que c'est toujours un même mouvement qui porte a la recherche du bien, et ensemble à la fuite du mal qui lui est contraire. J'y remarque seulement cette différence, que le désir qu'on a lorsqu'on tend vers quelque bien est accompagné d'amour, et ensuite d'espérance et de joie; au lieu que le même désir, lorsqu'on tend à s'éloigner du mal contraire à ce bien, est accompagné de haine, de crainte et de tristesse ; ce qui est cause qu'on le juge contraire à soi-même. Mais si on veut le considérer lorsqu'il se rapporte également en même temps à quelque bien pour le rechercher, et au mal opposé pour l'éviter, on peut voir très-évidemment que ce n'est qu'une seule passion qui fait l'un et l'autre.

Art. 88. Quelles sont ces diverses espèces.

Il y aurait plus de raison de distinguer le désir en autant de diverses espèces qu'il y a de divers objets qu'on recherche; car, par exemple, la curiosité, qui n'est autre chose qu'un désir de connaître, diffère beaucoup du désir de gloire, et celui-ci du désir de vengeance, et ainsi des autres. Mais il suffit ici de savoir qu'il y en a autant que d'espèces d'amour ou de haine, et que les plus considérables et les plus forts sont ceux qui naissent de l'agrément et de l'horreur.

Art. 89. Quel est le désir qui naît de l'horreur.

Or, encore que ce ne soit qu'un même désir qui tend à la recherche d'un bien et à la fuite du mal qui lui est contraire,

Art. 84. Qu'il n'y a pas tant d'espèces de haine que d'amo’E.

Au reste, encore que la haine soit directement opposée à l'am ur, on ne la distingue pas toutefois en autant d'espèces, à cause qu'on ne remarque pas tant la différence qui est entre les maux desquels on est séparé de volonté qu'on fait celle qui est entre les biens auxquels on est joint.

Art. 85. De l'agrément et de l'horreur.

Et je ne trouve qu'une seule distinction considérable qui soit pareille en l'une et en l'autre. Elle consiste en ce que les objets tant de l'amour que de la haine peuvent être représentés à l'âme par les sens extérieurs, ou bien par les intérieurs et par sa propre raison car nous appelons communément bien ou mal ce que nos sens intérieurs ou notre raison nous font juger convenable ou contraire à notre nature; mais nous appelons beau ou laid ce qui nous est ainsi représenté par nos sens extérieurs, principalement par celui de la vue, lequel seul est plus considéré que tous les autres: d'où naissent deux espèces d'amour, à savoir, celle qu'on a pour les choses bonnes, et celle qu'on a pour les belles, à laquelle on peut donner le nom d'agrément, afin de ne la pas confondre avec l'autre, ni aussi avec le désir, auquel on attribue souvent le nom d'amour et de là naissent en même façon deux espèces de haine, l'une desquelles se rapporte aux choses mauvaises, l'autre à celles qui sont laides; et cette dernière peut être appelée horreur ou aversion, afin de la distinguer. Mais ce qu'il y a ici de plus remarquable, c'est que ces passions d'agrément et d'horreur ont coutume d'être plus violentes que les autres espèces d'amour ou de haine, à cause que ce qui vient à l'âme par les sens la touche plus fort que ce qui lui est représenté par sa raison, et que toutefois elles ont ordinairement moins de vérité : en sorte que de toutes les passions ce sont celles-ci qui trompent le plus, et dont on doit le plus soigneusement se garder.

Art. 86. La définition du désir.

La passion du désir est une agitation de l'âme causée par les esprits qui la disposent à vouloir pour l'avenir les choses qu'elle se représente lui être convenables. Ainsi on ne désire pas soule

ment la présence du bien absent, mais aussi la conservation du présent, et de plus l'absence du mal, tant de celui qu'on a déjà que de celui qu'on croit pouvoir recevoir au temps à venir.

Art. 87. Que c'est une passion qui n'a point de contraire.

Je sais bien que communément dans l'école on oppose la passion qui tend à la recherche du bien, laquelle seule on nomme désir, à celle qui tend à la fuite du mal, laquelle on nomme aversion. Mais, d'autant qu'il n'y a aucun bien dont la privation ne soit un mal, ni aucun mal considéré comme une chose positive dont la privation ne soit un bien, et qu'en recherchant, par exemple, les richesses, on fuit nécessairement la pauvreté, en fuyant les maladies on recherche la santé, et ainsi des autres, il me semble que c'est toujours un même mouvement qui porte à la recherche du bien, et ensemble à la fuite du mal qui lui est contraire. J'y remarque seulement cette différence, que le désir qu'on a lorsqu'on tend vers quelque bien est accompagné d'amour, et ensuite d'espérance et de joie; au lieu que le même désir, lorsqu'on tend à s'éloigner du mal contraire à ce bien, est accompagné de haine, de crainte et de tristesse ; ce qui est cause qu'on le juge contraire à soi-même. Mais si on veut le considérer lorsqu'il se rapporte également en même temps à quelque bien pour le rechercher, et au mal opposé pour l'éviter, on peut voir très-évidemment que ce n'est qu'une seule passion qui fait l'un et l'autre.

Art. 88. Quelles sont ces diverses espèces.

Il y aurait plus de raison de distinguer le désir en autant de diverses espèces qu'il y a de divers objets qu'on recherche; car, par exemple, la curiosité, qui n'est autre chose qu'un désir de connaître, diffère beaucoup du désir de gloire, et celui-ci du désir de vengeance, et ainsi des autres. Mais il suffit ici de savoir qu'il y en a autant que d'espèces d'amour ou de haine, et que les plus considérables et les plus forts sont ceux qui naissent de l'agrément et de l'horreur.

Art. 89. Quel est le désir qui naît de l'horreur.

Or, encore que ce ne soit qu'un même désir qui tend à la recherche d'un bien et à la fuite du mal qui lui est contraire,

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