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petite glande qui est au milieu du cerveau, d'où elle rayonne en tout le reste du corps par l'entremise des esprits, des nerfs et même du sang, qui, participant aux impressions des esprits, les peut porter par les artères en tous les membres; et, nous souvenant de ce qui a été dit ci-dessus de la machine de notre corps, à savoir, que les petits filets de nos nerfs sont tellement distribués en toutes ses parties, qu'à l'occasion des divers mouvements qui y sont excités par les objets sensibles ils ouvrent diversement les pores du cerveau, ce qui fait que les esprits animaux contenus en ces cavités entrent diversement dans les muscles, au moyen de quoi ils peuvent mouvoir les membres en toutes les diverses façons qu'ils sont capables d'être mus, et aussi que toutes les autres causes qui peuvent diversement mouvoir les esprits suffisent pour les conduire en divers muscles; ajoutons ici que la petite glande qui est le principal siége de l'âme est tellement suspendue entre les cavités qui contiennent ces esprits, qu'elle peut être mue par eux en autant de diverses façons qu'il y a de diversités sensibles dans les objets; mais qu'elle peut aussi être diversement mue par l'âme, laquelle est de telle nature qu'elle reçoit autant de diverses impressions en elle, c'est-à-dire qu'elle a autant de diverses perceptions, qu'il arrive de divers mouvements en cette glande; comme aussi réciproquement la machine du corps est tellement composée que de cela seul que cette glande est diversement mue par l'âme, ou par telle autre cause que ce puisse être, elle pousse les esprits qui l'environnent vers les pores du cerveau, qui les conduisent par les nerfs dans les muscles, au moyen de quoi elle leur fait mouvoir les membres.

Art. 55. Exemple de la façon que les impressions des objets s'unissent en la glande qui est au milieu du cerveau.

Ainsi, par exemple, si nous voyons quelque animal venir vers nous, la lumière réfléchie de son corps en peint deux images, une en chacun de nos yeux; et ces deux images en forment deux autres, par l'entremise des nerfs optiques, dans la superficie intérieure du cerveau qui regarde ses cavités; puis, de là, par l'entremise des esprits dont ses cavités sont remplies, ces images rayonnent en telle sorte vers la petite glande que ces esprits environnent, que le mouvement qui compose chaque point de l'une des images tend vers le même point de la glande vers

lequel tend le mouvement qui forme le point de l'autre image, laquelle représente la même partie de cet animal: au moyen de quoi les deux images qui sont dans le cerveau n'en composent qu'une seule sur la glande, qui, agissant immédiatement contre l'âme, lui fait voir la figure de cet animal.

Art. 36. Exemple de la façon que les passions sont excitées en l'âme.

Et, outre cela, si cette figure est fort étrangère et fort effroyable, c'est-à-dire si elle a beaucoup de rapport avec les choses qui ont été auparavant nuisibles au corps, cela excite en l'âme la passion de la crainte, et ensuite celle de la hardiesse, ou bien celle de la peur et de l'épouvante, selon le divers tempérament du corps ou la force de l'âme, et selon qu'on s'est auparavant garanti par la défense ou par la fuite contre les choses nuisibles auxquelles l'impression présente a du rapport; car cela rend le cerveau tellement disposé en quelques hommes, que les esprits réfléchis de l'image ainsi formée sur la glande vont de là se rendre partie dans les nerfs qui servent à tourner le dos et remuer les jambes pour s'enfuir, et partie en ceux qui élargissent ou étrécissent tellement les orifices du cœur, ou bien qui agitent tellement les autres parties d'où le sang lui est envoyé, que, ce sang y étant raréfié d'autre façon que de coutume, il envoie des esprits au cerveau qui sont propres à entretenir et fortifier la passion de la peur, c'est-à-dire qui sont propres à tenir ouverts ou bien à ouvrir derechef les pores du cerveau qui les conduisent dans les mêmes nerfs : car de cela seul que ces esprits entrent en ces pores ils excitent un mouvement particulier en cette glande, lequel est institué de la nature pour faire sentir à l'âme cette passion; et pour ce que ces pores se rapportent principalement aux petits nerfs qui servent à resserrer ou élargir les orifices du cœur, cela fait que l'âme la sent principalement comme dans le cœur.

Art. 37. Comme il paraît qu'elles sont toutes causées par quelque mouvement des esprits.

Et pour ce que le semblable arrive en toutes les autres passions, à savoir, qu'elles sont principalement causées par les esprits qui sont contenus dans les cavités du cerveau, en tant qu'ils prennent leur cours vers les nerfs qui servent à élargir ou étrécir les orifices du cœur, ou à pousser diversement vers

lui le sang qui est dans les autres parties, ou, en quelque autre façon que ce soit, à entretenir la même passion, on peut clairement entendre de ceci pourquoi j'ai mis ci-dessus en leur définition qu'elles sont causées par quelque mouvement particulier des esprits.

Art. 38. Exemple des mouvements du corps qui accompagnent les passions et ne dépendent point de l'âme.

Au reste, en même façon que le cours que prennent ces esprits vers les nerfs du cœur suffit pour donner le mouvement à la glande par lequel la peur est mise dans l'âme, ainsi aussi, par cela seul que quelques esprits vont en même temps vers les nerfs qui servent à remuer les jambes pour fuir, ils causent un autre mouvement en la même glande par le moyen duquel l'âme sent et aperçoit cette fuite, laquelle peut en cette façon être excitée dans le corps par la seule disposition des organes et sans que l'âme y contribue.

Art. 39. Comment une même cause peut exciter diverses passions en divers hommes.

La même impression que la présence d'un objet effroyable fait sur la glande, et qui cause la peur en quelques hommes, peut exciter en d'autres le courage et la hardiesse; dont la raison est que tous les cerveaux ne sont pas disposés en même façon, et que le même mouvement de la glande qui en quelquesuns excite la peur fait dans les autres que les esprits entrent dans les pores du cerveau qui les conduisent partie dans les nerfs qui servent à remuer les mains pour se défendre, et parlie en ceux qui agitent et poussent le sang vers le cœur en la façon qui est requise pour produire des esprits propres à continuer cette défense et en retenir la volonté.

Art. 40. Quel est le principal effet des passions.

Car il est besoin de remarquer que le principal effet de toutes les passions dans les hommes est qu'elles incitent et disposent leur âme à vouloir les choses auxquelles elles préparent leur corps: en sorte que le sentiment de la peur l'incite à vouloir fuir, celui de la hardiesse à vouloir combattre, et ainsi des autres.

Art. 41. Quel est le pouvoir de l'âme au regard du corps.

Mais la volonté est tellement libre de sa nature, qu'elle ne peut jamais être contrainte: et des deux sortes de pensées que j'ai distinguées en l'âme, dont les unes sont ses actions, à savoir, ses volontés; les autres, ses passions, en prenant ce mot en sa plus générale signification, qui comprend toutes sortes de perceptions; les premières sont absolument en son pouvoir, et ne peuvent qu'indirectement être changées par le corps, comme au contraire les dernières dépendent absolument des actions qui les conduisent, et elles ne peuvent qu'indirectement être changées par l'âme, excepté lorsqu'elle est elle-même leur cause. Et toute l'action de l'âme consiste en ce que, par cela scul qu'elle veut quelque chose, elle fait que la petite glande à qui elle est étroitement jointe se meut en la façon qui est requise pour produire l'effet qui se rapporte à cette volonté.

Art. 42. Comment on trouve en sa mémoire les choses dont on veut se souvenir.

Ainsi, lorsque l'âme veut se souvenir de quelque chose, cette volonté fait que la glande se penchant successivement vers divers côtés pousse les esprits vers divers endroits du cerveau, jusques à ce qu'ils rencontrent celui où sont les traces que l'objet dont on veut se souvenir y a laissées : car ces traces ne sont autre chose sinon que les pores du cerveau, par où les esprits ont auparavant pris leur cours à cause de la présence de cet objet, ont acquis par cela une plus grande facilité que les autres à être ouverts derechef en même façon par les esprits qui reviennent vers eux; en sorte que ces esprits rencontrant ces pores entrent dedans plus facilement que dans les autres, au moyen de quoi ils excitent un mouvement particulier en la glande, lequel représente à l'âme le même objet et lui fait connaître qu'il est celui duquel elle voulait se souvenir.

Art. 43. Comment l'âme peut imaginer, être attentive et mouvoir le corps.

Ainsi, quand on veut imaginer quelque chose qu'on n'a jamais vue, cette volonté a la force de faire que la glande se meut en la façon qui est requise pour pousser les esprits vers les pores du cerveau par l'ouverture desquels cette chose peut être représentée; ainsi, quand on veut arrêter son attention à considérer

quelque temps un même objet, cette volonté retient la glande pendant ce temps-là penchée vers un même côté; ainsi, enfin, quand on veut marcher ou mouvoir son corps en quelque façon, cette volonté fait que la glande pousse les esprits vers les muscles qui servent à cet effet.

Art. 44. Que chaque volonté est naturellement jointe à quelque mouvement de la glande; mais que, par industrie ou par habitude, on la peut joindre à d'autres.

Toutefois ce n'est pas toujours la volonté d'exercer en nous quelque mouvement ou quelque autre effet qui peut faire que nous l'excitons; mais cela change selon que la nature ou l'habitude ont diversement joint chaque mouvement de la glande à chaque pensée. Ainsi, par exemple, si on veut disposer ses yeux à regarder un objet fort éloigné, cette volonté fait que leur pru nelle s'élargit; et si on les veut disposer à regarder un objet fort proche, cette volonté fait qu'elle s'étrécit : mais si on pense seulement à élargir la prunelle, on a beau en avoir la volonté, on ne l'élargit point pour cela, d'autant que la nature n'a pas joint le mouvement de la glande qui sert à pousser les esprits vers le nerf optique en la façon qui est requise pour élargir ou étrécir la prunelle avec la volonté de l'élargir ou étrécir, mais bien avec celle de regarder des objets éloignés ou proches. Et lorsqu'en parlant nous ne pensons qu'au sens de ce que nous voulons dire, cela fait que nous remuons la langue et les lèvres beaucoup plus promptement et beaucoup mieux que si nous pensions à les remuer en toutes les façons qui sont requises pour proférer les mêmes paroles, d'autant que l'habitude que nous avons acquise en apprenant à parler a fait que nous avons joint l'action de l'âme, qui, par l'entremise de la glande, peut mouvoir la langue et les lèvres, avec la signification des paroles qui suivent de ces mouvements plutôt qu'avec les mouvements mêmes,

Art. 45. Quel est le pouvoir de l'âme au regard de ses passions.

Nos passions ne peuvent pas aussi directement être excitées ni ôtées par l'action de notre volonté, mais elles peuvent l'être indirectement par la représentation des choses qui ont coutume d'être jointes avec les passions que nous voulons avoir, et qui sont contraires à celles que nous voulons rejeter. Ainsi, pour exciter en soi la hardiesse et ôter la peur, il ne suffit pas d'en

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