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j'ai déjà tant de fois expliqué comment nous avons l'idée de Dieu, que je ne le puis encore ici répéter sans ennuyer les lec

teurs.

OBJECTION DOUZIÈME.

Sur la quatrième Méditation.

DU VRAI ET DU FAUX.

« Et ainsi je connais que l'erreur, en tant que telle, n'est pas « quelque chose de réel qui dépende de Dieu, mais que c'est <<< seulement un défaut; et partant, que pour faillir je n'ai pas « besoin de quelque faculté qui m'ait été donnée de Dieu parti«< culièrement pour cet effet. »

Il est certain que l'ignorance est seulement un défaut, et qu'il n'est pas besoin d'aucune faculté positive pour ignorer; mais quant à l'erreur, la chose n'est pas si manifeste : car il semble que si les pierres et les autres choses inanimées ne peuvent errer, c'est seulement parce qu'elles n'ont pas la faculté de raisonner ni d'imaginer ; et partant il faut conclure que pour errer il est besoin d'un entendement, ou du moins d'une imagination (qui sont des facultés toutes deux positives), accordés à tous ceux qui se trompent, mais aussi à eux seuls.

Outre cela, M. Descartes ajoute: «J'aperçois que mes erreurs « dépendent du concours de deux causes, à savoir de la faculté « de connaître qui est en moi et de la faculté d'élire ou bien << de mon libre arbitre. » Ce qui me semble avoir de la contradiction avec les choses qui ont été dites auparavant. Où il faut aussi remarquer que la liberté du franc arbitre est supposée sans être prouvée, quoique cette supposition soit contraire à l'opinion des calvinistes.

RÉPONSE.

Encore que pour faillir il soit besoin de la faculté de raisonner, ou pour mieux dire de juger, c'est-à-dire d'affirmer et de nier, d'autant que c'en est le défaut, il ne s'ensuit pas pour cela que ce défaut soit réel, non plus que l'aveuglement n'est pas appelé réel, quoique les pierres ne soient pas dites aveugles

pour cela seulement qu'elles ne sont pas capables de voir. Et je suis étonné de n'avoir encore pu rencontrer dans toutes ces objections aucune conséquence qui me semblât être bien déduite de ses principes.

Je n'ai rien supposé ou avancé touchant la liberté que ce que nous ressentons tous les jours en nous-mêmes, et qui est trèsconnu par la lumière naturelle; et je ne puis comprendre pourquoi il est dit ici que cela répugne ou a de la contradiction avec ce qui a été dit auparavant.

Mais encore que peut-être il y en ait plusieurs qui, lorsqu'ils considèrent la préordination de Dieu, ne peuvent comprendre comment notre liberté peut subsister et s'accorder avec elle, il n'y a néanmoins personne qui, se regardant soi-même, ne ressente et n'expérimente que la volonté et la liberté ne sont qu'une même chose, ou plutôt qu'il n'y a point de différence entre ce qui est volontaire et ce qui est libre. Et ce n'est pas ici le lieu d'examiner quelle est en cela l'opinion des calvinistes.

OBJECTION TREIZIÈME.

Sur la quatrième Méditation.

«Par exemple, examinant ces jours passés si quelque chose « existait véritablement dans le monde, et prenant garde que « de cela seul que j'examinais cette question, il suivait très« évidemment que j'existais moi-même, je ne pouvais pas m'em« pêcher de juger qu'une chose que je concevais si clairement <«< était vraie; non que je m'y trouvasse forcé par une cause «< extérieure, mais seulement parce que d'une grande clarté qui « était en mon entendement a suivi une grande inclination en << ma volonté, et ainsi je me suis porté à croire avec d'autant «< plus de liberté que je me suis trouvé avec moins d'indiffé

«rence. >>>

Cette façon de parler, une grande clarté dans l'entendement, est métaphorique, et partant n'est pas propre à entrer dans un argument or celui qui n'a aucun doute prétend avoir une semblable clarté, et sa volonté n'a pas une moindre inclination pour affirmer ce dont il n'a aucun doute que celui qui a une parfaite science. Cette clarté peut donc bien être la cause pourquoi quelqu'un aura et défendra avec opiniâtreté quelque opi

nion, mais elle ne lui saurait faire connaître avec certitude qu'elle est vraie.

De plus, non-seulement savoir qu'une chose est vraie, mais aussi la croire ou lui donner son aveu ou consentement, ce sont choses qui ne dépendent point de la volonté; car les choses qui nous sont prouvées par de bons arguments ou racontées comme croyables, soit que nous le voulions ou non, nous sommes contraints de les croire. Il est bien vrai qu'affirmer ou nier, soutenir ou réfuter des propositions, ce sont des actes de la volonté; mais il ne s'ensuit pas que le consentement et l'aveu intérieur dépendent de la volonté.

Et partant, la conclusion qui suit n'est pas suffisamment démontrée : « Et c'est dans ce mauvais usage de notre liberté que << consiste cette privation qui constitue la forme de l'erreur. »

RÉPONSE.

Il importe peu que cette façon de parler, une grande clarté, soit propre ou non à entrer dans un argument, pourvu qu'elle soit propre pour expliquer nettement notre pensée, comme elle l'est en effet. Car il n'y a personne qui ne sache que par ce mot, une clarté dans l'entendement, on entend une clarté ou perspicuité de connaissance, que tous ceux-là n'ont peut-être pas qui pensent l'avoir; mais cela n'empêche pas qu'elle ne diffère beaucoup d'une opinion obstinée qui a été conçue sans une évidente perception

Or, quand il est dit ici que, soit que nous voulions ou que nous ne voulions pas, nous donnons notre créance aux choses que nous concevons clairement, c'est de même que si on disait que, soit que nous voulions ou que nous ne voulions pas, nous voulons et désirons les choses bonnes quand elles nous sont clairement connues; car cette façon de parler, soit que nous ne voulions pas, n'a point de lieu en telles occasions, parce qu'il y a de la contradiction à vouloir et ne vouloir pas une même chose.

OBJECTION QUATORZIÈME.

Sur la cinquième Méditation.

DE L ESSENCE DES CHOSES CORPORELLES.

« Comme, par exemple, lorsque j'imagine un triangle, en«< core qu'il n'y ait peut-être en aucun lieu du monde hors de << ma pensée une telle figure, et qu'il n'y en ait jamais eu, il ne <<< laisse pas néanmoins d'y avoir une certaine nature, ou forme, « ou essence déterminée de cette figure, laquelle est immuable « et éternelle, que je n'ai point inventée, et qui ne dépend en <«< aucune façon de mon esprit, comme il paraît de ce que l'on << peut démontrer diverses propriétés de ce triangle. »

S'il n'y a point de triangle en aucun lieu du monde, je ne puis comprendre comment il a une nature; car ce qui n'est nulle part n'est point du tout, et n'a donc point aussi d'être ou de nature. L'idée que notre esprit conçoit du triangle vient d'un autre triangle que nous avons vu ou inventé sur les choses que nous avons vues; mais depuis qu'une fois nous avons appelé du nom de triangle la chose d'où nous pensons que l'idée du triangle tire son origine, encore que cette chose périsse, le nom demeure toujours. De même, si nous avons une fois conçu par la pensée que tous les angles d'un triangle pris ensemble sont égaux à deux droits, et que nous ayons donné cet autre nom au triangle: qu'il est une chose qui a trois angles égaux à deux droits; quand il n'y aurait au monde aucun triangle, le nom néanmoins ne laisserait pas de demeurer. Et ainsi la vérité de cette proposition sera éternelle, que le triangle est une chose qui a trois angles égaux à deux droits; mais la nature du triangle ne sera pas pour cela éternelle; car s'il arrivait par hasard que tout triangle généralement pérît, elle cesserait aussi d'être.

De même cette proposition, l'homme est un animal, sera vraie éternellement à cause des noms; mais supposé que le genre humain fût anéanti, il n'y aurait plus de nature humaine.

D'où il est évident que l'essence, en tant qu'elle est distinguée de l'existence, n'est rien autre chose qu'un assemblage de noms par le verbe est; et partant l'essence sans l'existence est une fiction de notre esprit et il semble que comme l'image d'un

homme qui est dans l'esprit est à cet homme, ainsi l'essence est à l'existence; ou bien comme cette proposition, Socrate est homme, est à celle-ci, Socrate est ou existe, ainsi l'essence de Socrate est à l'existence du même Socrate. Or ceci : Socrate est homme, quand Socrate n'existe point, ne signifie autre chose qu'un assemblage de noms, et ce mot est ou étre a sous soi l'image de l'unité d'une chose qui est désignée par deux noms.

RÉPONSE.

La distinction qui est entre l'essence et l'existence est connue de tout le monde ; et ce qui est dit ici des noms éternels, au lieu des concepts ou des idées d'une éternelle vérité, a déjà été cidevant assez réfuté et rejeté.

OBJECTION QUINZIÈME.

Sur la sixième Méditation.

DE L'EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES.

<< Car Dieu ne m'ayant donné aucune faculté pour connaître <<< que cela soit (à savoir, que Dieu, par lui-même ou par l'en<< tremise de quelque créature plus noble que le corps, m'envoie « les idées du corps), mais, au contraire, m'ayant donné une <«< grande inclination à croire qu'elles me sont envoyées ou « qu'elles partent des choses corporelles; je ne vois pas com<<ment on pourrait l'excuser de tromperie si en effet ses idées << partaient d'ailleurs ou m'étaient envoyées par d'autres causes << que par des choses corporelles, et partant il faut avouer qu'il «< y a des choses corporelles qui existent. >>

C'est la commune opinion que les médecins ne pèchent point qui déçoivent les malades pour leur propre santé, ni les pères qui trompent leurs enfants pour leur propre bien, et que le mal de la tromperie ne consiste pas dans la fausseté des paroles, mais dans la malice de celui qui trompe. Que M. Descartes prenne donc garde si cette proposition: Dieu ne nous peut jamais tromper, prise universellement, est vraie; car si elle n'est pas vraie, ainsi universellement prise, cette conclusion n'est pas bonne donc il y a des choses corporelles qui existent.

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