Page images
PDF
EPUB

PROPOSITION PREMIÈRE.

L'existence de Dieu se connaît de la seule considération de sa nature.

DEMONSTRATION.

Dire que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d'une chose, c'est le même que de dire que cet attribut est vrai de cette chose, et qu'on peut assurer qu'il est en elle (par la définition neuvième);

Or est-il que l'existence nécessaire est contenue dans la nature ou dans le concept de Dieu (par l'axiome dixième) :

Donc il est vrai de dire que l'existence nécessaire est en Dieu, ou bien que Dieu existe.

Et ce syllogisme est le même dont je me suis servi en ma réponse au sixième article de ces objections; et sa conclusion peut être connue sans preuve par ceux qui sont libres de tous préjugés, comme il a été dit en la cinquième demande. Mais, parce qu'il n'est pas aisé de parvenir à une si grande clarté d'esprit, nous tâcherons de prouver la même chose par d'autres voies.

PROPOSITION SECONDE.

L'existence de Dicu est démontrée par ses effets, de cela seul que son
idée est en nous

DÉMONSTRATION.

La réalité objective de chacune de nos idées requiert une cause dans laquelle cette même réalité soit contenue, non pas simplement objectivement, mais formellement ou éminemment (par l'axiome cinquième);

Or est-il que nous avons en nous l'idée de Dieu (par les définitions deuxième et huitième), et que la réalité objective de cette idée n'est point contenue en nous, ni formellement, ni éminemment (par l'axiome sixième), et qu'elle ne peut être contenue dans aucun autre que dans Dieu même (par la définition huitième):

Donc cette idée de Dieu qui est en nous demande Dieu pour sa cause; et par conséquent Dieu existe (par l'axiome troisième).

PROPOSITION TROISIÈME.

L'existence de Dieu est encore démontrée de ce que nous-même, qui
avons son idée, nous existons,

DÉMONSTRATION.

Si j'avais la puissance de me conserver moi-même, j'aurais aussi, à plus forte raison, le pouvoir de me donner toutes les perfections qui me manquent (par les axiomes huitième et neuvième), car ces perfections ne sont que des attributs de la substance, et moi je suis une substance;

Mais tions, car autrement je les posséderais déjà (par l'axiome septième):

Je n'ai pas la puissance de me donner toutes ces perfec

Donc je n'ai pas la puissance de me conserver moi-même. En après, je ne puis exister sans être conservé tant que j'existe, soit par moi-même, supposé que j'en aie le pouvoir, soit par un autre qui ait cette puissance (par les axiomes premier et deuxième);

Or est-il que j'existe, et toutefois je n'ai pas la puissance de me conserver moi-même, comme je le viens de prouver : Donc je suis conservé par un autre.

De plus, celui par qui je suis conservé a en soi formellement ou éminemment tout ce qui est en moi (par l'axiome quatrième);

Or est-il que j'ai en moi la perception de plusieurs perfections qui me manquent, et celle aussi de l'idée de Dieu (par les définitions deuxième et huitième):

Donc la perception de ces mêmes perfections est aussi en celui par qui je suis conservé.

Enfin, celui-là même par qui je suis conservé ne peut avoir la perception d'aucunes perfections qui lui manquent, c'est-àdire qu'il n'ait point en soi formellement ou éminemment (par l'axiome septième); car ayant la puissance de me conserver, comme il a été dit maintenant, il aurait à plus forte raison le pouvoir de se les donner lui-même, si elles lui manquaient (par les axiomes huitième et neuvième);

Or est-il qu'il a la perception de toutes les perfections que je reconnais me manquer, et que je conçois ne pouvoir être qu'en Dieu seul, comme je le viens de prouver:

Donc il les a toutes en soi formellement ou éminemment ; et ainsi il est Dieu.

COROLLAIRE

Dieu a créé le ciel et la terre, et tout ce qui y est contenu; et outre cela il peut faire toutes les choses que nous concevons clairement, en la manière que nous les

concevons.

DÉMONSTRATION.

Toutes ces choses suivent clairement de la proposition précédente. Car nous y avons prouvé l'existence de Dieu, parce qu'il est nécessaire qu'il y ait un être qui existe dans lequel toutes les perfections dont il y a en nous quelque idée soient contenues formellement ou éminemment;

Or est-il que nous avons en nous l'idée d'une puissance si grande que, par celui-là seul en qui elle réside, non-seulement le ciel et la terre, etc., doivent avoir été créés, mais aussi toutes les autres choses que nous concevons comme possibles peuvent être produites :

Donc, en prouvant l'existence de Dieu, nous avons aussi prouvé de lui toutes ces choses.

PROPOSITION QUATRIEME.

L'esprit et le corps sont réellement distincts.

DÉMONSTRATION.

Tout ce que nous concevons clairement peut-être fait par Dieu en la manière que nous le concevons (par le corollaire précédent);

Mais nous concevons clairement l'esprit, c'est-à-dire une substance qui pense, sans le corps, c'est-à-dire sans une substance étendue (par la demande seconde); et d'autre part nous concevons aussi clairement le corps sans l'esprit, ainsi que chacun l'accorde facilement :

Donc, au moins, par la toute-puissance de Dieu, l'esprit peut être sans le corps, et le corps sans l'esprit.

Maintenant les substances qui peuvent être l'une sans l'au

tre sont réellement distinctes (par la définition dixième); Or est-il que l'esprit et le corps sont les substances (par les définitions cinquième, sixième et septième) qui peuvent être l'une sans l'autre, comme je le viens de prouver :

Donc l'esprit et le corps sont réellement distincts.

Et il faut remarquer que je me suis ici servi de la toutepuissance de Dieu pour en tirer ma preuve ; non qu'il soit besoin de quelque puissance extraordinaire pour séparer l'esprit d'avec le corps, mais pour ce que n'ayant traité que de Dieu seul dans les propositions précédentes, je ne la pouvais tirer d'ailleurs que de lui. Et il importe fort peu par quelle puissance deux choses soient séparées pour connaître qu'elles sont réellement distinctes.

TROISIÈMES OBJECTIONS.

FAITES PAR M. HOBBES, CÉLÈBRE PHILOSOPHE ANGLAIS;
AVEC LES RÉPONSES DE L'AUTEUR.

ODJECTION PREMIÈRE

Sur la première Méditation.

DES CHOSES QUI PEUVENT ÊTRE RÉVOQUÉES EN DOUTE.

Il paraît assez, par ce qui a été dit dans cette Méditation, qu'il n'y a point de marque certaine et évidente par laquelle nous puissions reconnaître et distinguer nos songes d'avec la veille et d'avec une vraie perception des sens; et partant, que ces images ou ces fantômes que nous sentons étant éveillés, ne plus ne moins que ceux que nous apercevons étant endormis, ne sont point des accidents attachés à des objets extérieurs, et ne sont point des preuves suffisantes pour montrer que ces objets extérieurs existent véritablement. C'est pourquoi, si, sans

nous aider d'aucun autre raisonnement, nous suivons seulement le témoignage de nos sens, nous aurons juste sujet de douter si quelque chose existe ou non. Nous reconnaissons donc la vérité de cette Méditation. Mais d'autant que Platon a parlé de cette incertitude des choses sensibles, et plusieurs autres auciens philosophes avant et après lui, et qu'il est aisé de rcmarquer la difficulté qu'il y a de discerner la veille du sommeil, j'eusse voulu que cet excellent auteur de nouvelles spéculations se fût abstenu de publier des choses si vieilles.

RÉPONSE.

Les raisons de douter qui sont ici reçues pour vraies par ce philosophe n'ont été proposées par moi que comme vraisemblables; et je m'en suis servi, non pour les débiter comme nouvelles, mais en partie pour préparer les esprits des lecteurs à considérer les choses intellectuelles, et les distinguer des corporelles, à quoi elles m'ont toujours semblé très-nécessaires; en partie pour y répondre dans les Méditations suivantes, et en partie aussi pour faire voir combien les vérités que je propose ensuite sont fermes et assurées, puisqu'elles ne peuvent être ébranlées par des doutes si généraux et si extraordinaires. Et ce n'a point été pour acquérir de la gloire que je les ai rapportées, mais je pense n'avoir pas été moins obligé de les expliquer qu'un médecin de décrire la maladie dont il a entrepris d'enseigner la cure.

OBJECTION DEUXIÈME.

Sur la seconde Méditation.

DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN

« Je suis une chose qui pense. » C'est fort bien dit; car de ce que je pense ou de ce que j'ai une idée, soit en veillant, soit en dormant, l'on infère que je suis pensant; car ces deux choses, je pense et je suis pensant, signifient la même chose. De ce que je suis pensant, il s'ensuit que je suis; parce que ce qui pense n'est pas un rien. Mais, où notre auteur ajoute « c'est-à-dire un esprit, une âme, un entendement, une raison, » de là naît un

« PreviousContinue »