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la volonté pour son principe, mais lui-même néanmoins n'est pas une pensée. Ainsi, se promener n'est pas une pensée, mais bien le sentiment ou la connaissance que l'on a qu'on se promène.

II. Par le nom d'idée, j'entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées. De sorte que je ne puis rien exprimer par des paroles lorsque j'entends ce que je dis, que de cela même il ne soit certain que j'ai en moi l'idée de la chose qui est signifiée par mes paroles. Et ainsi je n'appelle pas du nom d'idée les seules images qui sont dépeintes en la fantaisie; au contraire, je ne les appelle point ici de ce nom, en tant qu'elles sont en la fantaisie corporelle, c'est-à-dire en tant qu'elles sont dépeintes en quelques parties du cerveau, mais sculement en tant qu'elles informent l'esprit même qui s'applique à cette partie du cerveau.

III. Par la réalité objective d'une idée j'entends l'entité ou l'être de la chose représentée par cette idée, en tant que cette entité est dans l'idée; et de la même façon on peut dire une perfection objective ou un artifice objectif, etc. Car tout ce que nous concevons comme étant dans les objets des idées, tout cela est objectivement ou par représentation dans les idées mêmes.

IV. Les mêmes choses sont dites être formellement dans les objets des idées quand elles sont en eux telles que nous les concevons; et elles sont dites y être éminemment quand elles n'y sont pas à la vérité telles, mais qu'elles sont si grandes qu'elles peuvent suppléer à ce défaut par leur excellence.

V. Toute chose dans laquelle réside immédiatement comme dans un sujet, ou par laquelle existe quelque chose que nous apercevons, c'est-à-dire quelque propriété, qualité ou attribut dont nous avons en nous une réelle idée, s'appelle substance; car nous n'avons pas d'autre idée de la substance précisément prise, sinon qu'elle est une chose dans laquelle existe formellement ou éminemment cette propriété ou qualité que nous apercevons, ou qui est objectivement dans quelqu'une de nos idées, d'autant que la lumière naturelle nous enseigne que le néant ne peut avoir aucun attribut qui soit récl.

VI. La substance dans laquelle réside immédiatement la pensée est ici appeléc esprit. Et toutefois ce nom est équivoque, en ce qu'on l'attribue aussi quelquefois au vent et aux liqueurs

fort subtiles; mais je n'en sache point de plus propre. VII. La substance qui est le sujet immédiat de l'extension locale et des accidents qui présupposent cette extension, comme sont la figure, la situation et le mouvement de lieu, etc., s'appelle corps. Mais de savoir si la substance qui est appelée esprit est la même que celle que nous appelons corps, ou bien si ce sont deux substances diverses, c'est ce qui sera examiné ci-après.

VIII. La substance que nous entendons être souverainement parfaite, et dans laquelle nous ne concevons rien qui enferme quelque défaut ou limitation de perfection, s'appelle Dieu.

IX. Quand nous disons que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d'une chose, c'est de même que si nous disions que cet attribut est vrai de cette chose, et qu'on peut assurer qu'il est en elle.

X. Deux substances sont dites être réellement distinctes quand chacune d'elles peut exister sans l'autre.

DEMANDES.

Je demande premièrement que les lecteurs considèrent combien faibles sont les raisons qui leur ont fait jusqu'ici ajouter foi à leurs sens, et combien sont incertains tous les jugements qu'ils ont depuis appuyés sur eux; et qu'ils repassent si longtemps et si souvent cette considération en leur esprit, qu'enfin ils acquièrent l'habitude de ne se plus fier si fort en leurs sens; car j'estime que cela est nécessaire pour se rendre capable de connaître la vérité des choses métaphysiques, lesquelles ne dépendent point des sens.

En second lieu, je demande qu'ils considèrent leur propre esprit et tous ceux de ses attributs dont ils reconnaîtront ne pouvoir en aucune façon douter, encore même qu'ils supposassent que tout ce qu'ils ont jamais reçu par les sens fût entièrement faux; et qu'ils ne cessent point de le considérer que premièrement ils n'aient acquis l'usage de le concevoir distinctement, et de croire qu'il est plus aisé à connaître que toutes les choses corporelles.

En troisième lieu, qu'ils examinent diligemment les propositions qui n'ont pas besoin de preuve pour être connues, et dout chacun trouve les notions en soi-même, comme sont cellesci, « qu'une même chose ne peut pas être et n'ètre pas tout

« ensemble, que le néant ne peut être la cause efficiente d'aucune chose, » et autres semblables; et qu'ainsi ils exercent cette clarté de l'entendement qui leur a été donnée par la nature, mais que les perceptions des sens ont accoutumé de troubler et d'obscurcir; qu'ils l'exercent, dis-je, toute pure et délivrée de leurs préjugés, car par ce moyen la vérité des axiomes suivants leur sera fort évidente.

En quatrième lieu, qu'ils examinent les idées de ces natures qui contiennent en elles un assemblage de plusieurs attributs ensemble, comme est la nature du triangle, celle du carré ou de quelque autre figure, comme aussi la nature de l'esprit, la nature du corps, et par-dessus toutes la nature de Dieu ou d'un Être souverainement parfait. Et qu'ils prennent garde qu'on peut assurer avec vérité que toutes ces choses-là sont en elles que nous concevons clairement y être contenues: par exemple, parce que dans la nature du triangle rectiligne cette propriété se trouve contenue, que ses trois angles sont égaux à deux droits, et que dans la nature du corps ou d'une chose étendue la divisibilité y est comprise; car nous ne concevons point de chose étendue si petite que nous ne la puissions diviser, au moins par la pensée; il est vrai de dire que les trois angles de tout triangle rectiligne sont égaux à deux droits, et que tout corps est divisible.

En cinquième lieu, je demande qu'ils s'arrêtent longtemps à contempler la nature de l'Étre souverainement parfait, et, entre autres choses, qu'ils considèrent que dans les idées de toutes les autres natures l'existence possible se trouve bien contenue, mais que dans l'idée de Dieu ce n'est pas seulement une existence possible qui se trouve contenue, mais une existence absolument nécessaire. Car de cela seul, et sans aucun raisonnement,,ils connaîtront que Dieu existe; et il ne leur sera pas moins clair et évident, sans autre preuve, qu'il est manifeste que deux est un nombre pair, et que trois est un nombre impair, et choses semblables. Car il y a des choses qui sont ainsi connues sans preuves par quelques-uns, que d'autres n'entendent que par un long discours et raisonnement.

En sixième lieu, que, considérant avec soin tous les exemples d'une claire et distincte perception, et tous ceux dont la perception est obscure et confuse, desquels j'ai parlé dans mes Méditations, ils s'accoutument à distinguer les choses qui sont

clairement connues de celles qui sont obscures; car cela s'apprend mieux par des exemples que par des règles; et je pense qu'on n'en peut donner aucun exemple dont je n'aie touché quelque chose.

En septième lieu, je demande que les lecteurs, prenant garde qu'ils n'ont jamais reconnu aucune fausseté dans les choses qu'ils ont clairement conçues, et qu'au contraire ils n'ont jamais rencontré, sinon par hasard, aucune vérité dans les choses qu'ils n'ont conçues qu'avec obscurité, ils considèrent que ce serait une chose tout à fait déraisonnable, si, pour quelques préjugés des sens ou pour quelques suppositions faites à plaisir, et fondées sur quelque chose d'obscur et d'inconnu, ils révoquaient en doute les choses que l'entendement conçoit clairement et distinctement; au moyen de quoi ils admettront facilement les axiomes suivants pour vrais et pour indubitables, bien que j'avoue que plusieurs d'entre eux eussent pu être mieux expliqués, et eussent dû être plutôt proposés comme des théorèmes que comme des axiomes, si j'eusse voulu être plus exact.

AXIOMES OU NOTIONS COMMUNES.

I. Il n'y a aucune chose existante de laquelle on ne puisse demander quelle est la cause pourquoi elle existe; car cela même se peut demander de Dieu; non qu'il ait besoin d'aucune cause pour exister, mais parce que l'immensité même de sa nature est la cause ou la raison pour laquelle il n'a besoin d'aucune cause pour exister.

II. Le temps présent ne dépend point de celui qui l'a immédiatement précédé; c'est pourquoi il n'est pas besoin d'une moindre cause pour conserver une chose que pour la produire une première fois.

III. Aucune chose, ni aucune perfection de cette chose actuellement existante, ne peut avoir le néant, ou une chose non existante, pour la cause de son existence.

IV. Toute la réalité ou perfection qui est dans une chose se rencontre formellement ou éminemment dans sa cause première et totale.

V. D'où il suit aussi que la réalité objective de nos idées requiert une cause dans laquelle cette même réalité soit conte

nue, non pas simplement objectivement, mais formellement ou éminemment. Et il faut remarquer que cet axiome doit si nécessairement être admis, que de lui seul dépend la connaissance de toutes les choses, tant sensibles qu'insensibles. Car d'où savons-nous, par exemple, que le ciel existe? est-ce parce que nous le voyons? mais cette vision ne touche point l'esprit, sinon en tant qu'elle est une idée, une idée dis-je, inhérente en l'esprit même, et non pas une image dépeinte en la fantaisie; et, à l'occasion de cette idée, nous ne pouvons pas juger que le ciel existe, si ce n'est que nous supposions que toute idée doit avoir une cause de sa réalité objective qui soit réellement existante; laquelle cause nous jugeons que c'est le ciel même, et ainsi des autres.

VI. Il y a divers degrés de réalité, c'est-à-dire d'entité ou de perfection car la substance a plus de réalité que l'accident ou le mode, et la substance infinie que la finie; c'est pourquoi aussi il y a plus de réalité objective dans l'idée de la substance que dans celle de l'accident, et dans l'idée de la substance infinie que dans l'idée de la substance finie.

VII. La volonté se porte volontairement et librement, car cela est de son essence, mais néanmoins infailliblement, au bien qui lui est clairement connu : c'est pourquoi, si elle vient à connaître quelques perfections qu'elle n'ait pas, elle se les donnera aussitôt si elles sont en sa puissance; car elle connaîtra que ce lui est un plus grand bien de les avoir que de ne les avoir pas.

VIII. Ce qui peut faire le plus, ou le plus difficile, peut aussi faire le moins, ou le plus facile.

IX. C'est une chose plus grande et plus difficile de créer ou conserver une substance que de créer ou conserver ses attributs ou propriétés; mais ce n'est pas une chose plus grande, ou plus difficile de créer une chose que de la conserver, ainsi qu'il a déjà été dit.

X. Dans l'idée ou le concept de chaque chose, l'existence y est contenue, parce que nous ne pouvons rien concevoir que sous la forme d'une chose qui existe; mais avec cette différence que, dans le concept d'une chose limitée, l'existence possible ou contingente est seulement contenue; et dans le concept d'un Etre souverainement parfait, la parfaite et nécessaire y est comprise.

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