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Différences de détails

originaux.

le disions plus haut, à la hauteur des plus beaux dessins de la collection de Windsor. Je fus fort surpris de la supériorité de sentiment de ces œuvres sur les têtes des deux peintures. J'avoue que celles du tableau de Darmstadt me parurent s'en rapprocher peut-être un peu plus, autant que j'en pus juger, malgré la mauvaise exposition du tableau. Les peintures présentent entre elles des différences qui nous frappèrent. Et d'abord, la Vierge n'est entre les deux pas exécutée d'après le même modèle et se ressent davantage, dans la page de Darmstadt, du premier sentiment de l'art d'Holbein. En outre, le bourgmestre y est plus incliné de pose, et je ne sais quelle profonde componction semble aussi transfigurer les femmes agenouillées, chez qui, dans la peinture de Dresde, l'âme se reflète moins sur les traits. L'architecture offre également des différences. Dans cette dernière peinture, elle dégage davantage les figures, ce qui est une amélioration. En somme, il y a plus que de la témérité à poser en fait, comme on l'a avancé, que la peinture de Dresde ne serait qu'une copie de main étrangère à Holbein. Si le ton, si l'accent primitif de la peinture de Darmstadt donnent à penser qu'elle a été le premier original, l'autre peinture n'en est pas moins aussi un original, que l'artiste a tracé, qu'il aura peut-être ensuite laissé ébaucher par quelqu'un de ses élèves, mais qu'il aura définitivement repris en sous-œuvre dans la totalité. Un simple copiste aurait-il su introduire de lui-même les changements qui se font remarquer? aurait-il eu ce faire magis

tral, ce riche sentiment de palette, cette forte séve de grand peintre qui rachètent si bien certaines négligences dans la peinture de Dresde? On a dit, et cette conjecture est plus que probable, que cette œuvre a été exécutée par Holbein à l'un de ses voyages de Bâle, après ses premiers séjours en Angleterre, alors qu'il avait changé sa manière et acquis dans l'exécution pittoresque plus d'ampleur et plus d'accent (1).

Ce qu'on vient de lire était écrit depuis six ans, quand nous apprîmes, Ziegler et moi, que les grands connaisseurs, MM. Kügler et Waagen, avaient émis des doutes sur la peinture de Dresde, tandis que M. Zahn accordait le prix d'excellence à cette dernière. J'ai près de moi sur ce sujet si intéressant un livre de M. Wornum, conservateur de la Galerie nationale de Londres (2), puis le premier volume, leseul publié encore, d'un ouvrage sur Holbein et son temps, par un élève de M. Waagen, M. le docteur

(1) Je ne sache pas que la Vierge de Darmstadt ait été gravée. Celle de Dresde l'a été plusieurs fois : et d'abord par Boëce dans le recueil du Musée de Dresde, puis de dimension plus grande en planche séparée par Maurice Steinla, dont c'est le chef-d'œuvre. Il y en a aussi une fort belle lithographie par Hanfstängl. Pour moi, j'avais été tellement frappé, ainsi que la personne de ma famille qui m'accompagnait, de la beauté suprême de cet Holbein, que j'en ai fait faire, avec la permission du roi de Saxe (cette autorisation est indispensable pour reproduire la peinture), une copie peinte par un artiste mecklenbourgeois de grand talent, M. Julius Grüder, et c'est un de mes plus précieux souvenirs.

(2) Some account of the Life and Works of Hans Holbein, painter of Augsbourg, by Ralph Nicholson Wornum, Keeper and secretary of the National Gallery. 8°. London, Chapman and Hall, 1867.

Alfred Woltmann (1). Par la même occasion, j'ai lu un excellent article de la Revue d'Édimbourg (2) qui examine ces deux livres avec la compétence d'un esprit éclairé. Le premier ouvrage, un peu confus, est néanmoins rempli de bonnes informations puisées aux sources; le second est une étude de main de maître, supérieure comme jugement aux travaux un peu légers et arbitraires de M. Waagen. M. Wornum, avec un superbe dédain, met étrangement trop bas l'œuvre de Dresde; M. Woltmann la replace à son véritable rang. Évidemment, ce n'est point une pure répétition; c'est encore moins une copie. Comme nous l'avions pressenti, Ziegler et moi, c'est aussi un original, une œuvre capitale du grand peintre, qui révèle dans le ton grisâtre de ses ombres, mais aussi dans la supériorité d'énergie pittola palette moins jeune d'Holbein.

resque,

pas

La Madone de Darmstadt et de Dresde n'est la seule grande Vierge qu'il ait peinte; il y a peu d'années qu'on vient d'en découvrir une autre qui fait aujourd'hui grand bruit en Suisse et qui ne manquera pas d'éveiller vivement en Europe l'attention de tout le monde des arts. Malheureusement cette œuvre importante, cachée sans doute et égarée pendant les troubles religieux, n'était pas d'une conservation parfaite, quand le possesseur actuel, M. Zetter, de Soleure, en a fait l'acquisition. Elle a été restaurée, en 1865, avec adresse par le conser

(1) Holbein und seine Zeit, von Dr Alfred WOLTMANN, Erster Theil. 8°. Leipzig, 1866. La publication du second tome est très-prochaine. (2) Edinburg Review, no 155, april 1867, p. 410.

Madone de Soleure

par Holbein, découverte.

nouvellement

vateur de la galerie d'Augsbourg, M. Eigner, qui avait eu déjà l'occasion d'exercer discrètement sa main sur des productions d'Holbein en mauvais état.

Le tableau, qui très-probablement avait été exécuté pour une des chapelles latérales de la cathédrale de Saint-Ours, à Soleure, la plus belle église de la Suisse, est à peu près de la dimension de celui de la Vierge de Meyer. La forme en est hexagone, cintrée dans le haut. La Madone figure au centre, assise sur un trône élevé de quelques marches recouvertes d'un tapis rayé de blanc et de rouge sur fond vert. Sa figure à double menton, comme la Vierge de Meyer, respire une santé divine. L'Enfant-Dieu, d'une beauté rayonnante, la main droite levée pour bénir, repose sur les genoux de sa mère, dont le visage s'épanouit d'une céleste joie maternelle en le tenant embrassé. La tête de la Vierge est ceinte d'une couronne d'or enchâssée de pierreries et dont toutes les pointes sont garnies de perles. De dessous la couronne s'échappe un léger voile qui laisse transparaître le front et les cheveux. Un manteau bleu de ciel, sans manches, est fixé aux épaules par un cordon. Une robe rouge clair laisse à découvert le col et la poitrine, et, tombant à larges flots sur une des marches, va couvrir deux écus armoriés, sans doute ceux des donateurs du tableau. A la droite est saint Martin de Tours; à gauche, saint Ours, l'un des héros de la légion Thébéenne, et qui souffrit le martyre à Soleure (1). Le saint Martin

(1) La Vie des Saints place au troisième siècle l'histoire du martyre

offre toute l'élévation d'aspect, toute l'onction que comporte un des grands personnages de l'armée céleste. Sur sa mitre est brodée la figure de saint Nicolas. Sa chasuble violette, doublée de rouge relevé d'or, porte dans son tissu l'histoire du Centenier des Écritures, et en broderie celle du Sauveur devant Caïphe, avec un ange et un couronnement d'épines. L'anneau épiscopal brille sur le gant de sa main gauche, et de la droite le saint dépose une aumône dans la sébile d'un mendiant agenouillé, plus d'à moitié caché derrière la tunique de la Vierge. Le saint Ours, bardé de toutes pièces en chevalier, casque à plumes flottantes d'autruche, la main gauche armée d'un gantelet de fer et posant sur la garde de son épée, tient de la droite une grande bannière à croix blanche. L'armure du saint est traitée avec un soin exquis. Sous les pieds du chevalier est le monogramme d'Holbein, H. H., avec la date de cette année 1522 qui fut une des plus remplies de l'artiste. La forme du monogramme daté rappelle identiquement celui du Christ mort de 1521, qui est au Musée de Bâle. Quant à l'architecture, elle est traitée avec une sobriété remarquable, sans doute

rouge

de saint Maurice et de ses compagnons, dits la Légion Thébéenne, ainsi nommée pour avoir, à ce qu'on suppose, été levée dans la Thébaïde. Toute composée de chrétiens, elle avait ses quartiers en Orient, c'està-dire en Syrie et en Cilicie, au temps des empereurs Dioclétien et Maximien. Ses principaux officiers étaient Maurice, Exupère et Candide. Maximien fit passer la légion dans les Gaules et voulut s'en servir pour étouffer le christianisme. Sur son refus unanime, elle fut deux fois décimée, et c'est alors que saint Ours et saint Victor, qui y servaient, souffrirent le martyre à Soleure, aujourd'hui capitale d'un des cantons catholiques de la Suisse, sur la rivière d'Aar.

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