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en été qu'en hiver. Il réfulte de cette oppofition, une compenfation qui fait paroître ce fleuve toujours égal.

2o. L'lfter eft donc un des fleuves qui coulent en Scythie. On rencontre enfuite le Tyras; il vient du nord, & fort d'un grand lac qui fépare la Scythie de la Neuride: les Grecs, qu'on appelle Tyrices, habitent vers fon embouchure.

3o. L'Hypanis eft le troifième; il vient de la Scythie, & coule d'un grand lac, autour duquel, ordinairement, paiffent des chevaux blancs fauvages: ce lac s'appelle, avec raison, la mère de l'Hypanis. Je remarquerai que Pomponius Méla dit auffi (L. 111, ch. 1): Hypanis ex grandi palude oritur quam matrem ejus accola appellant. Cette rivière, qui prend fa fource dans ce lac, eft petite, & fon eau eft douce pendant cinq journées de navigation; mais enfuite, à quatre journées de la mer, elle devient très-amère. Cette ametume provient d'une fontaine qu'elle reçoit, & qui est si amère, que, quoiqu'elle foit petite, elle ne laiffe pas de gâter les eaux de cette rivière, qui eft grande, entre les petites. Cette fontaine eft fur les frontières des Scythes Arotères & des Alazons, & porte le même nom que l'endroit d'où elle fort. On la nomme, en langue Scythe, Exampée, qui fignifie en grec, voies facrées. Le Tyras & l'Hypanis s'approchent l'un de l'autre dans le pays des Alazons; mais bientôt après ils fe détournent, & laiffent entre eux un grand intervalle.

4°. Le Boristhène eft le quatrième fleuve, & le plus grand de ce pays, après l'Ifter. C'eft auffi, à mon avis, le plus fécond de tous les fleuves, nonfeulement de la Scythie, mais du monde, fi l'on en excepte le Nil, avec lequel il n'y en a pas un qui puiffe entrer en comparaifon; il fournit au bétail de beaux & d'excellens pâturages. On y pêche abondamment toutes fortes de beaux poiffons. Son eau eft très-agréable à boire, & elle est toujours claire & limpide, quoique les fleuves voifins foient limoneux. On recueille fur fes bords d'excellentes moiffons, & dans les endroits où l'on n'en fait point, l'herbe y vient fort haute & en abondance. Le fel fe cryftallife de lui même à fon embouchure & en quantité. Il produit de gros poiffons fans arêtes; on les fale: on les appelle entacées. On y trouve aussi beaucoup d'autres chofes dignes d'admiration.

Jufqu'au pays appelé Gerrhus, il y a quarante journées de navigation, & l'on fait que ce fleuve vient du nord; mais on ne connoît ni le pays qu'il traverse, ni les nations qui les habitent. Il y a néanmoins beaucoup d'apparence qu'il traverfe un pays défert, avant de venir fur les terres des Scythes agricoles. Ces Scythes habitent fur fes bords pendant l'efpace de dix journées de navigation. Ce fleuve & le Nil font les feuls dont je ne puis indiquer les fources; & je ne crois pas, ajoute Hérodote, » qu'aucun Grec en fache davantage ». Quand le Borifthène eft près de la mer, l'Hypanis mêle avec lui fes eaux, en fe jetant dans le même

marais. La langue de terre qui eft entre ces deux fleuves, fe nomme le promontoire d'Hippolais: on y a bâti un temple à Cérès. Au-delà de ce temple, vers le bord de l'Hypanis, habitent les Boryfthenètes. Ici Hérodote s'arrête, & dit: en voilà affez fur le Borifthène. Mais ne l'ayant pas mis à l'article de ce fleuve, je crois devoir ajouter ici quelques

éclairciffemens.

Hérodote traite cette prefqu'île, qui eft encore connue, d'éperon de navire de la terre; ce qui indique la forme avancée & pointue de la prefqu'ile. Voici ce que dit Dion Chryfoftôme, à l'occasion du Borysthène :

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« Le Borysthène a donné fon nom à la ville des » Boryfthéniens, à caufe de la grandeur & de la » beauté de fes eaux; mais cette ville eft fur l'Hy>> panis: elle occupe actuellement le même empla» cement qu'autrefois, un peu au-deffus du pro» montoire Hippolais, & vis-à-vis. Cette partie » de pays, aux environs de laquelle fe joignent 'Hypanis & le Boryfthène, eft folide, & fe ter» mine en pointe comme l'éperon d'un vaiffeau. » Ces deux rivières forment, depuis leur con» fluent jufqu'à la mer, un lac d'environ deux cens » ftades en longueur, fur autant de largeur. La plus » grande partie de ce lac eft remplie de vase, & » tranquille, dans les temps fereins, comme un lac » nullement agité. Le fleuve paroît à droite, & » la force de fon courant fait conjecturer à ceux » qui navigent deffus, qu'il eft très - profond à » fon embouchure. En effet, fans la rapidité de » fon cours, il s'y engorgeroit aisément lorfque le » vent du midi vient à fouffler avec violence, à » l'oppofite de cette embouchure ».

5o. On rencontre enfuite le Panticapes; c'eft la' cinquième rivière: elle vient auffi du nord, fort d'un lac, entre dans l'Hylée, & après l'avoir traverfé, elle mêle fes eaux avec ceux du Borysthène. Les Scythes agricoles habitent entre ces deux rivières.

6o. La fixième est l'Hypaciris: elle fort d'un lacy traverse , par le milieu, les terres des Scythes Nomades, & fe jette dans la mer, près de la ville de Carciniteis, & ferme, à droite, le pays d'Hylée, & ce que l'on appelle la courfe d'Achille.

7°. Le feptième fleuve eft le Gerrhus ; il s'éloigne du Borifthène vers l'endroit où ce fleuve commence à être connu, depuis le Gerrhus, pays qui lui donne fon nom. En coulant vers la mer, il fépare les Scythes nomades des Scythes royaux, & fe jette dans l'Hypaciris.

8°. Le huitième enfin, eft le Tanaïs; il vient d'un pays fort éloigné, & fort d'un grand lac, d'où il fe jette dans un autre encore plus grand, que l'on appelle Meotis, qui fépare les Scythes royaux des Sauromates. L'Hyrgis fe décharge dans le Tanais.

Tels font les fleuves célèbres dont la Scythie a l'avantage d'être arrofée. L'herbe que produit ce pays, eft la meilleure pour le bétail, & la plus

fucculente que nous connoiffions, comme on peut le remarquer en ouvrant les beftiaux qui en font nourris. Les Scythes ont donc en abondance les chofes qui font les plus néceffaires à la vie.

Quant à leurs loix & à leurs coutumes, les voici, dit Hérodote ( L. IV, ch. 59), telles qu'elles font établies chez eux. Ils cherchent à fe rendre propices principalement Vesta, enfuite Jupiter & la Terre, qu'ils croient femme de Jupiter; & après ces trois divinités, Apollon, Vénus, Uranie, Hercule, Mars. Tous les Scythes reconnoiffent ces divinités; mais les Scythes royaux facrifient auffi à Neptune. En langue Scythe, Vefta s'appelle Tabiti; Jupiter, Papaus, nom qui, à mon avis, ajoute Hérodote, lui convient parfaitement; la Terre, Apia; Apollon, tofiros; Vénus Uranie, Artimpafa; Neptune, Thamimafadas. Ils élevoient des autels, des ftatues & des temples à Mars, & n'en élevoient qu'à lui.

Les Scythes facrifioient de la même manière dans tous les lieux facrés; ces facrifices fe faifoient ainfi; la victime eft debout, les deux pieds de devant attachés avec une corde. Celui qui doit l'immoler fe tient derrière, tire à lui le bout de la corde & la fait tomber. Tandis qu'elle tombe, il invoque, le dieu auquel il va la facrifier; il lui met enfuite une corde au cou, & ferre la corde avec un bâton qu'il tourne: c'eft ainfi qu'il l'étrangle, fans allumer de feu, fans faire de libations, & fans aucune cérémonie préparatoire (1). La victime étranglée, le facrificateur la dépouille, & fe difpofe à la faire cuire.

Comme il n'y a point de bois en Scythie, voici comment ils ont imaginé de faire cuire la victime. Quand ils l'ont dépouillée, ils enlèvent toute la chair de deffus les os, & la mettent dans des chaudières, lorfqu'ils en ont. Les chaudières de ce pays reffemblent beaucoup aux cratères de Lesbos, excepté qu'elles font beaucoup plus grandes. On allume deffous du feu avec les os de la victime. Mais s'ils n'ont point de chaudières, ils mettent toutes les chairs, avec de l'eau, dans la peau de l'animal, & allument les os deffous. Ces os font un très - bon feu, & cette peau tient aisément les chairs défoffées; ainfi le bœuf fe fait cuire lui-même. Pareille chofe s'obferve à l'égard des autres victimes. Quand Le tout eft cuit, le facrificateur offre les prémices de la chair & des entrailles, en les jetant devant lui. Ils immolent auffi d'autres animaux, & principalement des chevaux.

Telles font les espèces d'animaux que les Scythes facrifient à ces dieux, & tels font les procédés ; mais voici les rites qu'ils obfervent à l'égard du dieu

(1) On voit qu'Hérodote met ici en oppofition la fimplicité des facrifices des Scythes, avec ce qui fe pratiquoit dans la Grèce. Je n'en dis rien ici, parce que je pense que l'article des SACRIFICES fera traité favamment & amplement dans le dictionnaire d'Antiquités,

Mars. Dans chaque nôme on lui confacre un temple de la manière fuivante. Dans un champ destiné aux aflemblées de la nation, on entaffe des fagots de même bois, & on en fait une pile de trois ftades en longueur & en largeur; mais moins en hauteur. Sur cette pile on pratique une espèce de plate-forme carrée!, dont trois côtés font inacceffibles; le quatrième va en pente, de manière qu'on puiffe y monter. On y entaffe, tous les ans, cent-cinquante charretées de ce même bois, pour relever la pile qui s'affaiffe par les injures des faifons. Au haut de cette pile, chaque nation Scythe plante un vieux cimeterre de fer, qui lui tient lieu de fimulacre de Mars; ils offrent, tous les ans, à ce cimeterre, des facrifices de chevaux, & d'autres animaux, & lui immolent plus de victimes qu'à tous les autres dicux; ils lui facrifient auffi le centième de tous les prifonniers qu'ils font fur leurs ennemis; mais non de la même manière que les animaux. La cérémonie en eft bien différente.

Ils font d'abord des libations avec du vin, fur la tête de ces victimes humaines, les égorgent enfuite fur un vase, portent ce vafe au haut de la pile, & en répandent le fang fur le cimeterre. Pendant que l'on porte ce fang au haut de la pile, ceux qui font en bas coupent le bras droit, avec l'épaule, à tous ceux qu'ils ont immolės, & les jettent en l'air. Lorsqu'ils ont ainfi mutilé toutes les victimes, ils fe retirent: le bras reste où il tombe, & le corps demeure étendu dans un autre endroit.

& ne

Tels font les facrifices établis parmi ces peuples; mais ils n'immolent jamais de pourceaux, vculent pas même en nourrir dans leur pays.

Quant à la guerre, voici les ufages qu'ils obfervent. Un Scythe boit du fang du premier homme qu'il renverfe, coupe la tête à tous ceux qu'il tue dans les combats, & les porte au roi. Quand il lui a préfenté la tête d'un ennemi, il a part à tout le butin; fans cela il en feroit privé. Pour écorcher une tête, le Scythe fait d'abord une incifion à l'entour, vers les oreilles; & la prenant par le haut, il en arrache la peau en la fecouant (2). Il pêtrit enfuite cette peau entre les mains après en avoir enlevé la chair avec une côte de bœuf; & quand il l'a bien amollie, il s'en fert comme d'une ferviette. Il la fufpend à la bride du cheval qu'il monte, & s'en fait honneur: car, plus un Scythe peut avoir de ces fortes de ferviettes, plus il eft eftimé vaillant & courageux. Il s'en trouve beaucoup qui coufent enfemble plufieurs peaux humaines, comme des capes de bergers, & qui s'en font des vêtemens. Plufieurs auffi écorchent jufqu'aux ongles inclufivement, la main droite des ennemis qu'ils ont tués, & en font des couvercles à leurs carquois. La peau d'homme eft en effet épaiffe; &, de toutes les peaux, c'eft prefque

(2) C'eft auffi ce que pratiquent les fauvages de l'Amérique feptentrionale, pour enlever, ce qu'ils appelent une chevelure.

Ja plus brillante par fa blant d'autres enfin écorchent les hommes depuis la tête jufqu'aux pieds, & lorfqu'ils en ont étendu les peaux fur des morceaux de bois, ils les portent fur leurs chevaux. Telles font les coutumes reçues parmi ces pouples.

Les Scythes (ibid. §. 65), n'emploient pas à l'ufage que je vais dire, toutes fortes de têtes indifféremment, mais celles de leurs plus grands ennemis. Ils fcient le crâne au-deffous des fourcils & les nettoient. Les pauvres fe contentent de le revêtir par dehors d'un morceau de cuir de boeuf, fans apprêt: les riches, non-feulement le couvrent d'un cuir de boeuf en-dehors, mais ils le dorent auffi en-dedans, & s'en fervent, tant les pauvres que les riches, comme d'une coupe à boire. Ils font les mêmes chofes des têtes de leurs proches, fi, après avoir eu quelques querelles enfemble, ils ont remporté fur eux la victoire en préfence du roi. S'il vient chez eux quelque étranger dont is faffent cas, ils lui préfentent ces têtes, lui content comment ceux à qui elles appartenoient les ont attaqués, quoiqu'ils fuffent leurs parens, & comment ils les ont vaincus. Ils en tirent vanité, & appellent cela des actions de valeur.

Chaque gouverneur donne tous les ans un feftin dans fon nome, où l'on fert du vin mêlé avec de reau dans un crâne. Tous ceux qui ont tué des ennemis, boivent de ce vin; ceux qui n'ont rien fait de femblable, n'en goûtent pas. Ils font hontcufement affis par terre, & c'eft pour eux une grande ignominie. Tous ceux qui ont tué un grand nombre d'ennemis, boivent en même temps dans deux coupes jointes enfemble.

Les devins font en grand nombre parmi les Scythes, & fe fervent de baguettes de faule pour exercer la divination. Ils apportent des faisceaux de baguettes, les pofent à terre, les délient; & lorfqu'ils ont mis à part chaque baguette, ils prédifent (ou du moins ils croient prédire) l'avenir. Pendant qu'ils font ces prédictions, ils reprennent les baguettes l'une après l'autre, & les remuent enfemble. Ils ont appris de leurs ancêtres cette manière de deviner. Les Enarées (1), qui font des hommés efféminés, difent qu'ils tiennent de Vénus le don de la divination. Ils fe fervent, pour exercer leur art, d'écorce de tilleul. Ils fendent en trois cette écorce, l'entortillent autour de leurs doigts, puis ils la défont, & devinent enfuite.

Quand le roi des Scythes tombe malade, il envoie chercher trois des plus célèbres d'entre ces devins, qui exercent leur art de la manière que j'ai dit. Ils lui difent ordinairement que tel

(1) Ce nom, qu'Hérodote dit être fcythe, a fort embarraffé les commentateurs, & le P. Bouhier croyoit que c'étoit une faute, & qu'il falloit corriger le texte. Ce nom fe trouve dans les îles de la mer du fud, pour dire, un homme puiffant dans la nation. Géographie ancienne. Tome III.

& tel, dont ils difent les noms, ont fait un faux ferment, en jurant par les lares du palais. Les Scythes, en effet, jurent affez ordinairement par les lares du palais, quand ils veulent faire le plus grand des formens (2).

Auff-tôt on fait l'accufé, l'un d'un côté, l'autre de l'autre quand on l'a amené, ils lui déclarent que par l'art de la divination, ils font fürs qu'il a fait un faux ferment en jurant par les lares du palais, & qu'ainfi il eft la caufe de la maladie du roi. Si l'accufé nie le crime & s'indigne qu'on ait pu le lui imputer, le roi fait venir le double d'autres devins. Si ceux-ci atteftent vrai le fait avancé par les premiers devins, alors on regarde l'accufé comme convaincu, & on lui tranche la tête, & fes biens font confifqués au profit des premiers devins. Si les devins que le roi a mandės en fecond lieu déclarent l'accufé innocent, on en fait venir d'autres, puis d'autres encore; & s'il eft déchargé de l'accufation par le plus grand nombre, la fentence qui l'abfout eft l'arrêt de mort des premiers devins (3).

Voici comment on les fait mourir. On remplit de menu bois un chariot, auquel on attèle des boeufs on renferme les devins au milieu de ces fagots, les mains liées derrière le dos, & un baillon à la bouche. On met enfuite le feu aux fagots, puis on chaffe les boeufs en les épouvantant. Plufieurs de ces animaux font brûlés avec les devins, d'autres fe fauvent à demi-brûlés, lorfque la flamme a confumé le timon. C'eft ainfi qu'on brûle les devins, non-feulement pour ce crime, mais même d'autres caufes, & on les appelle alors faux devins.

Le roi fait mourir les enfans mâles de ceux qu'il punit de mort; mais il ne fait aucun mal aux quelqu'un, quel qu'il puiffe être, ils verfent du filles. Lorfque les Scythes font un traité avec vin dans une grande coupe de terre, & les conlégères incifions au corps avec un couteau ou une tractans y mêlent de leur fang, en fe faifant de épée; après quoi ils trempent dans cette coupe un cimeterre, des flèches, une hache & un javelot. Ces cérémonies achevées, ils prononcent une longue formule de prières, & boivent ensuite une partie de ce qui eft dans cette coupe; &, après eux, les perfonnes les plus diftinguées de leur fuite.

Les tombeaux (§. 71) de leurs rois font dans un canton qu'on appelle Gerrhes, où le Boryfthènes commence à être navigable. Quand le roi vient à mourir, ils font, en cet endroit, une grande

(2) On obferve que les Turcs jurent auffi par la Porte Ottomane.

(3) Ainfi, dans tous pays, il s'eft trouvé des hommes qui ont abufe de la foibleffe des princes pour vexer les peuples, & s'enrichir de leurs dépouilles. On fent bien qu'en Scythie, à moins que les Enarées ne fuffent ennemis, les feconds donnoient rarement le démenti aux premiers.

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foffe carrée. Cette foffe achevée, ils enduifent le corps de cire, lui fendent le ventre; &, après l'avoir nettoyé & rempli de fouchei broyé (1), de parfums, de graines d'hache & d'anis, ils le recoufert. On porte enfuite le corps fur un char, dans une autre province, dont les habitans fe coupent, comme les Scythes royaux, un peu de l'oreille, fe rafent les cheveux autour de la tête, fe font des incifions aux bras, fe déchirent le front & le nez, & fe paffent des flèches au travers de la main gauche. De-là on porte le corps du roi fur un char, dans une autre province de fes états, & les habitans de celle où il a été porté d'abord, fuivent le convoi: quand on lui a fait parcourir toutes les provinces & toutes les rations foumifes à fon obéiffance, il arrive dans le pays de Gerrhes, à l'extrémité de la Scythie, & on le place dans le lieu de fa fepulture, fur un lit de verdure & de feuilles entaffées. On place enfuite autour du corps des piques & l'on pofe pardeflus des pièces de bois, que l'on couvre de branches de faule. On met dans l'efpace vuide de cette foffe, une des concubines du roi, que l'on a étranglée auparavant, fon échanfon, fon cuifinier, fon écuyer, fon miniftre, un de fes ferviteurs, des chevaux; en un mot, les premices de toutes les autres chofes à fon ufage & des coupes d'or: ils ne connoiffent en effet, ni l'argent, ni le cuivre. Cela fait, ils rempliffent la foffe de terre, & travaillent tous, à l'envi l'un de l'autre, à élever fur le lieu de la fépulture, un tertre très-haut.

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L'année révolue, ils prennent, parmi les ferviteurs du roi, ceux qui lui étoient le plus utiles. Ces ferviteurs font tous Scythes de nation, le roi n'ayant pas d'efclaves achetés à prix d'argent, & fe faifant fervir par ceux de fes fujers auxquels il P'ordonne; ils étranglent une cinquantaine de ces ferviteurs, avec un parcil nombre de fes plus beaux chevaux. Ils leur ôtent les entrailles, leur nettoient le ventre, &, après l'avoir rempli de paille, ils le recoufunt; ils pofent, fur deux pièces de hois, un demi-cercle renverfé, puis un autre demi-ccrcle fur deux autres pièces de bois, & plufieurs autres, ainfi de fuite, qu'ils attachent de la même manière; ils élèvent enfuite, fur ces demi-cercles, les chevaux, après leur avoir fait paffer des pieux dans toute leur longueur, jufqu'au col. Les premiers demi-cercles foutiennent les épaules des chevaux, & les autres, les flancs, & la croupe; de forte que les jambes n'étant pas appuyées, reftent fufpendues. Ils leur mettent enfuite un mors & une bride, tirent la bride en avant, & l'attachent à un pieu. Cela fait, ils prennent les cinquante jenes gens qu'ils ont étranglés, les placent chacun tur un cheval, après leur avoir fait paffer, le long de l'épine du dos,

(1) Homère (Odyf. L. tv, v. Co3), met cette plante au rang de celles qui fervent d'aliment aux chevaux. M. Larcher croit que c'eft le Cyperus.

jufqu'au col, une perche, dont l'extrémité inférieure, s'emboîte dans les pièces qui traverfent le cheval. Enfin, lorfqu'ils ont arrangé ces cinquante cavaliers autour du tombeau, ils fe retirent (2).

Telles font les cérémonies qu'ils obfervent à l'égard de leurs rois. Quant aux autres Scythes, lorfqu'il meurt quelqu'un d'entre eux, fes plus proches parens le mettent fur un charriot, & le conduifent de maifon en maifon, chez leurs amis (3). Ces amis le reçoivent, & préparent chacun un feftin à ceux qui accompagnent le corps, & font pareillement fervir au mort tous les mets qu'ils préfentent aux autres. On tranfporte ainfi, de côtés & d'autres, les corps des particuliers pendant quarante jours, enfuite on les enterre. Il faut obferver cependant ici, ou que les ufages des Scythes changèrent, ou qu'ils n'étoient pas généralement les mêmes par-tout; car on voit, par quelques paffages des anciens, qu'ils les fufpendoient auffi à un arbre, & les laiffoient pourrir dans cet état. « Qu'impore à Théodore, dit » Plutarque, s'il pourrit en terre ou fur terre »? Telle eft la fepulture honorable des Scythes. On trouve auffi dans Silius Italicus ( L. XIII, v. 486):

At genus in Scythicâ fuffixa cadavera truncis,
Lenia dies fepelit, patri liquentia tabo.

Lorfque les Scythes ont donné la fépulture à un mort, ils fe purifient de la manière fuivante. Après s'ètre frotté la tête avec quelque chofe de déterfif, & fe l'être lavée, ils obfervent, à l'égard du refte du corps, ce que je vais dire. Ils inclinent trois perches l'une vers l'autre, & fur ces perches ils étendent des étoffes de laine foulée, qu'ils bandent le plus qu'ils peuvent. Ils placent enfuite, au milicu de ces perches & de ces étoffes, un vafe, dans lequel ils mettent des pierres rougies au feu.

Il croît en Scythie (ibid. §. 74), du chamvre fort reffemblant au lin, excepté qu'il eft plus gros & plus grand: il lui eft en cela de beaucoup fupérieur. Cette plante vient d'elle-même & de graine; les Thraces s'en font des vêtemens, qui reffemblent tellement à ceux de lin, qu'il faut s'y bien connoître pour les diftinguer; & quelqu'un qui n'auroit jamais vu de chanvre, les prendroit pour des étoffes de lin.

Les Scythes prennent de la graine de ce chanvre, & s'étant gliffes fur ces tentes de laine foulée, ils mettent de cette graine fur les pierres rougies au feu. Lerfqu'elle commerce à brûler, elle répand ure fi grande vapeur, qu'il n'y a point en Grèce d'étuve qui ait plus de force. Les Scytles, étourdis par cette vapeur, jettent des cris confus. Quant à leurs femmes, elles brcient, fur une pierre fableufe,

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du bois de cyprès, de cèdre, & de l'arbre qui porte l'encens; & lorfque le tout eft bien broyé, elles y mêlent un peu d'eau, & en font une pâte, dont elles fe frottent tout le corps & le vifage. Cette pâte leur donne une odeur agréable; & le lendeniain, quand elles l'ont enlevée, elles font propres, & leur beauté en a plus d'éclar.

Les Scythes ont un prodigieux éloignement pour les coutumes étrangères. les habitans d'une province ne veulent pas même fuivre celles d'une province voifine. Mais il en eft peu dont ils aient plus d'éloignement que de celles des Grecs. Anacharfis, & Scyles après lui, en font une preuve. Anacharfis ayant parcouru beaucoup de pays, & montré par-tout une grande fagelle, s'embarqua fur l'Hélefpont pour retourner dans fa patrie. Etant abordé à Cyzique, dans le temps que les Cyzicéniens étoient occupés à célébrer, avec beaucoup de pompe, la fère de la mère des dieux, il fit vou, s'il retournoit fain & fauf dans fa patrie, d'offrir à cette décile des facrifices, avec les mêmes rites & cérémonies qu'il avoit vu pratiquer par les Cyzicėniens, & d'inflituer en fon honneur la veillée de la fête. Lorfqu'il fut arrivé dans l'Hyllée, contrée de la Scythie, entiérement couverte d'arbres de toutes espèces, & fituée près de la courfe d'Achille, ayant de petites ftatues attachées fur lui, & tenant à la main un tambourin, il fut apperçu dans cet état par un Scythe, qui alla le dénoncer au roi Saulius. Le roi s'étant lui-même transporté fur les lieux, n'eut pas plutôt vu Anacharfis occupé à la célébration de cette fête, qu'il le tua d'un coup de flèche; & même encore aujourd'hui, fi l'on parle d'Anacharfis aux Scythes, ils font femblant de ne le point connoître, parce qu'il avoit voyagé en Grèce, & qu'il obfervoit des ufages étrangers. J'ai ouï dire, ajoute Hérodote (L. IV, §. 76), à Timnès, tuteur d'Ariaphitès, qu'Anacharfis étoit oncle paternel d'Idanthyrfe, roi des Scythes; qu'il étoit fils de Gnurus, petit-fils de Lycus, & arrière-petit-fils de Spargapithes. Si donc Anacharfis étoit de cette maifon, il eft certain qu'il fut tué par fon propre propre frère. Idanthyrfe étoit en effet fils de Saulius, & ce fut Saulius qui tua Anacharfis.

Je vais continuer avec Hérodote, parce que ce qu'il dit contribue à faire connoître les mœurs & l'hiftoire de cette nation, qui n'a pas fa place dans aucune des hiftoires modernes, excepté l'hiftoire univerfelle publiée en Angleterre.

Cependant j'ai entendu parler autrement aux Péloponéfiens. Ils difent qu'Anacharfis ayant été envoyé par le roi des Scythes dans les pays étrangers, devint difciple des Grecs; qu'étant de retour dans fa patrie, il dit au prince qui l'avoit envoyé, que tous les peuples de la Grèce s'appliquoient aux fciences & aux arts, excepté les Lacédémoniens; mais que ceux-ci feuls s'étudioient à parler & à répondre avec prudence & modération. Mais cette hiftoire eft une pure invention

des Grecs; Anacharfis fut donc tué, comme on vient de le dire, & il éprouva ce malheur pour avoir pratiqué des cérémonies religieufes étrangères à la Scythie, & avoir eu commerce avec' les Grecs.

Bien des années après, Scylès, fils d'Ariapithès, roi des Scythes, eut le même fort. Ariapithès avoit plufieurs enfans; mais il avoit eu Scylès d'une femme étrangère, de la ville d'Iftrie, qui lui apprit la langue & les lettres grecques. Quelque temps après Ariapithès fut tué, en trahifon, par Spargapithei, roi des Agathyrcès. Scylès étant monté fur le trône, époufa Opæa, Scythe de nation, femme de fon père, & dont le feu roi avoit eu un fils nommé Oricus.

Quoique Scylès fût roi des Scythes, les coutumes de la Scythie ne lui plaifoient nullement, & il fe fentoit d'autant plus de goût pour celles des Grees, qu'il en avoit été inftruit dès fa plus tendre enfance. Voici quelle étoit fa conduite. Toutes les fois qu'il menoit l'armée scythe vers les villes des Boryfthénites, dont les habitans fe difoient originaires de Milet, il la laiffcit devant la ville; & dès qu'il y etoit entré, il en faifoit fermer les portes. Il quittoit alors l'habit fcythe, en prenoit un à la grecque, &, vêtu de la forte, il fe promenoit fur la place publique, fans être accompagné de gardes, ni même de toute autre perfonne. Pendant ce temps, on faifoit fentinelle aux portes, de peur que quelque Scythe ne l'ap perçût avec cet habit. Outre plufieurs autres ufages des Grecs auxquels il fe conformoit, il obfervoit auffi les cérémonies dans leurs facrifices qu'il offroit aux dieux. Après avoir demeuré dans cette ville un mois, ou même davantage, il reprenoit l'habit fcythe, & alloit rejoindre fon armée. Il pratiquoit fouvent la même chofe. Il fe fit auffi bâtir un palais à Borysthènes, & y époufa une femme du

pays.

Les deftins, dit Hérodote, avoient réfolu fa perte. Voici ce qui l'occafionna: Scylès defira de fe faire initier dans les myfières de Bacchus: comme on commençoit la cérémonie, & qu'on alloit lui mettre entre les mains les chofes, facrées, il arriva un grand prodige. Il avoit, comme je l'ai dit, à Borythènes un grand palais: c'étoit un édifice fuperbe, & d'une vafte étendue, autour duquel on voyoit des fphynx & des gryphons de marbre blanc. Le dicu le frappa de fes traits, & il fut entiérement réduit en cendres. Scylès n'en continua pas moins la cérémonie qu'il avoit commencée. Les Scythes reprochent aux Grecs leurs bacchanales, & penfent qu'il eft contraire à la raifon d'imaginer un dieu qui pouffe les hommes à des extravagances. Lorfque Scylès eut été initié aux mystères de Bacchus, un habitant de Borysthènes fe rendit fecrètement à l'armée des Scythes : «Vous vous » moquez de nous, leur dit-il, parce qu'en célé» brant les bacchanales, le dieu fe rend inaître de » nous; ce dieu s'eft auffi emparé de votre roi; Kə

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