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PQ 1925 A6T 37

DE

ILLEMAIN.

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE,

Sur les Concours de 1840.

MESSIEURS,

L'Académie décerne aujourd'hui le prix qu'elle avait proposé pour un sujet tout français, l'éloge de madame de Sévigné; et elle s'est félicitée que ce nom ait appelé un talent digne de le célébrer. La femme qui fut un grand écrivain dans le siècle de Bossuet, sans écrire autre chose que des lettres à sa fille, méritait d'être louée de nos jours par une autre femme, par celle qui, dans des poésies célèbres, échappées de sa pure et modeste retraite, a donné tant de charmes à l'expression des sentiments de famille, et n'a jamais séparé l'imagination et la vertu. L'Académie couronne l'éloge de madame de Sevigné par madame Tastu.

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La cour de Louis XIV et la terre des Rochers, la vie de madame de Sévigné, son esprit éblouissant, ses conversations, ses lectures, sa tendresse, son génie qui s'est formé de tout cela, revivent dans cet éloge, quelquefois avec ses propres paroles et toujours avec une aimable vivacité, d'heureuses et simples paroles, un esprit qui ne coûte rien au naturel, une grace digne du sujet et qui lui ressemble. Le discours même qu'on va lire me dispense d'en parler davantage, et fera paraitre ce que j'ai dit bien faible.

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Quand pour la première fois un nom de femme est choisi par l'Académie française pour sujet de ce prix d'éloquence qu'une femme a cependant obtenu ‘, quand ce nom est celui de madame de Sévigné, d'agréables images se présentent d'abord à l'esprit. Qui dit Sévigné, dit la grâce vive du langage, le charme des causeries familières, les doux épanchements du cœur et l'aimable cortége des qualités, des affections et des vertus féminines. Et cependant, deux siècles passés, tout ce que ce nom réveille, toutes ces sympaties, ces riants souvenirs, ces douces émotions, tout cela, vous le voyez, c'est de la gloire.

1 En 1671, l'Académie ayant ouvert, pour la première fois, le conours pour le prix d'éloquence française que Balzac avait fondé, mademoiselle de Scudéri l'emporta sur tous ses concurrents, et son discours de la Gloire fut couronné.

La gloire! ce mot fait incliner nos têtes pensives; il nous force à jeter sur notre tâche un plus sérieux regard, car il ne s'allie à rien de frivole. Là où vous le verrez inscrit, là où le temps ne l'a point effacé, sondez hardiment, la matière est solide la force est la condition de la durée, la condition du bon et du beau, la condition de la grâce elle-même comme dans l'agile souplesse d'une danse légère, il y a beaucoup de force dans une grâce parfaite.

Avant d'en demander la preuve aux écrits de madame de Sévigné, reportons-nous un moment au siècle qu'elle a illustré; rappelons que ce siècle des grands hommes est aussi celui où les femmes ont joué, en France, le role le plus actif et le plus brillant; considérons ce qu'était, à cette époque, l'existence sociale des femmes de la haute classe, et ce qu'elle devait ajouter d'énergie à l'essor de leurs facultés.

Accoutumées à s'occuper de l'administration de leurs domaines, de la grandeur de leur maison, elles ne vivaient point en dehors des intérêts généraux. Le sacrifice des affections personnelles à la splendeur de la famille, de la famille au service du roi, c'est-àdire, de l'État, était pour elles une nécessité avouée et comprise. Or, dans cette gradation de dévouements, de l'individu à la famille, de la famille à la patrie, de la patrie à l'humanité, la mesure de nos affections est celle de notre intelligence: plus on s'élève, plus l'horizon s'agrandit.

Là seulement où les facultés intellectuelles ont pu se développer, les tendresses du cœur cèdent aux convictions de l'esprit. La femme illustre dont nous nous occupons va elle-même nous en fournir l'exemple. On

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