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tention de métier; ils auraient cru descendre. Il est vrai que nos gentilshommes ont porté quelquefois jusqu'au ridicule la vanité de n'attacher d'importance à rien, de traiter les choses d'esprit à la cavalière, de tout savoir sans avoir rien appris, dont Molière, à qui rien n'échappe, s'est moqué le premier : toutefois cette prétention tournait au profit des vrais littérateurs.

Il faut le dire cependant: si, dans cette société, les qualités étaient plus saillantes, les vices se montraient aussi plus grossiers et moins déguisés. L'escroquerie au jeu, encore admise dans la jeunesse du chevalier de Grammont, commençait à n'être plus tolérée; mais on voyait un marquis de Pomenars, chargé de procès criminels pour rapt, fausse monnaie et autres gertillesses, se présenter hardiment partout sans en être plus mal reçu; plaisantant du danger que courait sa tète, et jurant de ne se faire plus la barbe, qu'il ne sût à qui elle devait rester. Ces peccadilles n'empêchaient pas d'être honnête homme, c'est-à-dire, suivant la définition de Bussy, un homme poli et qui sait vivre.

Je ne sais si alors la vie était plus longue ou mieux distribuée; mais, malgré l'attrait de la société, les devoirs de la cour, les amusements du monde, on trouvait du temps pour la retraite et la méditation. Le carême arrivé, on suivait les offices et les sermons; on allait de temps à autre dans cette belle abbaye de Livry, guetter «< ces petits commencements de bruits » et d'air du printemps, ces premiers chants des fauvettes, des mésanges et des roitelets, assister au triomphe du mois de mai,» ou jouir «< de ces beaux jours de cristal de l'automne, qui ne sont plus

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» chauds, qui ne sont pas froids, » et revêtent les arbres « d'un magnifique brocart d'or, plus beau que » le vert de l'été. » On pensait à sa fille en revenant le soir aux rayons de la belle maîtresse d'Endymion ; puis le guidon partait pour l'armée; il fallait trouver de l'argent pour fournir aux équipages; on courait en Bourgogne, dans le vieux château de ses pères, afin de vendre ses blés, à bas prix quelquefois, pour s'être trop pressée.

Puis, voici que les États appellent en Bretagne la douairière de Sévigné ; on se met en route dans sa voiture, qu'on ne quitte pas même pour descendre cette belle rivière de Loire. On s'établit commodément sur le bateau, dans ce cabinet de nouvelle espèce, jouissant des admirables points de vue qui passent devant les portières ouvertes ; et tandis que le Bien-bon dit son bréviaire, ou s'occupe des beaux yeux de sa cassette, on lit quelques pages des Croisades du P. Maimbourg, qui nous plaisent peu, car nous n'aimons pas le style jésuite. On écrit sur ses genoux à cette chère fille, retenue comme la belle Madelonne, dans son château de Provence; on la plaint d'avoir à soutenir le train de ce royal château, où l'on se croit dans la solitude, quand il ne s'y trouve pas plus de cent personnes, tant maîtres que domestiques. On admire qu'on puisse si bien courir sans jambes, et l'on prie Dieu que ce miracle puisse durer. On s'arrête en chemin chez quelques amis à Rennes, la bonne Marbœuf veut nous avaler, nous retenir, nous loger; mais on a hâte de se rendre aux Rochers, de revoir ses bois, son mail, ses belles allées qu'on a fait planter, et dont les arbres parlent comme ceux de la forêt enchantée du Tasse :

Bella cosa far niente, dit l'un; amor odit inertes, répond l'autre. Arrive Pilois, sa bêche sur l'épaule; il a appris que madame la comtesse de Grignan est accouchée d'un petit gars, et vient faire son compliment, mieux reçu que celui de toutes les mesdames de Vitré et de tous les chevaliers du parlement de Rennes. Madame la marquise prend plaisir à la conversation de son jardinier; elle se plaît à voir « des âmes de pay

sans plus droites que des lignes, aimant la vertu » comme naturellement les chevaux trottent. » D'ailleurs, il lui parle de ce qu'il sait et de ce qu'elle aime; elle s'entend à diriger ses travaux, ordonne, fait planter, reste volontiers par un jour pluvieux, plusieurs heures durant, les pieds dans la boue, ou, par un froid piquant, enveloppée dans sa casaque, au milieu de dix ouvriers qui l'amusent, et « lui représentent au natu» rel ces tapisseries où l'on peint les ouvrages de l'hi» ver. » Heureuse, s'il ne lui arrive pas de la ville quelque chienne de carrossée, où toute une famille de Fouesnel, qui lui fait cependent sentir le prix des visites ennuyeuses, lesquelles ne vous laissent que la joie du départ.

Quelquefois ce fripon de Sévigné, las de chanter matines dans quelque abbaye, arrive à l'improviste, pour prendre sa part de la vie des Rochers. Pendant que madame de Sévigné travaille à un beau parement d'autel, ou à la chaire de tapisserie, qu'elle destine au Bien-bon, il lui lit des comédies « qu'il joue comme » Molière, les Petites Lettres, qui ont, en passant par ses mains, un prix tout particulier; la vie du brave du Guesclin, ou Don Quichotte, ou Lucien. Mais il n'a pas le même goût que sa mère pour la morale de

M. Nicole, et il la met, bon gré malgré, au régime des romans, ces longs romans en dix ou douze tomes, qui n'effrayaient point les dévoreuses de livres de ce tempslà; car il semble qu'alors on voulait du sérieux et de la constance jusque dans les amusements. Ces romans n'étaient pas, comme les nôtres, un pays que l'on parcourt en poste, et dont on ne voit les habitants qu'en passant: on y séjournait à loisir; on faisait avec les personnages une connaissance intime; on ne les quittait point brusquement; leur vie cheminait, pour ainsi dire, du même pas qne la nôtre, et on en avait pour huit jours de lecture, avant que le prince Artamène eût fait quelque progrès sur le cœur de la princesse Mandane. C'était là cependant ce que madame de Sévigné appelait une lecture frivole. Mais toute blessée qu'elle est des « méchants styles » elle ne peut s'empêcher de se laisser séduire,« comme une petite fille,» aux grands coups d'épée, aux sentiments surhumains, aux violentes passions des héros de la Calprenède.

Il est assez ordinaire aux esprits les plus judicieux et les moins romanesques, d'aimer les livres qui les transportent le plus loin possible du monde réel, et satisfont, même aux dépens de la vérité, ce besoin du grand, du bon et du beau, qui est au fond de toutes les nobles âmes.

Bientôt cependant il faut aller rejoindre, à Rennes, le duc et la duchesse de Chaulnes, ces bons gouverneurs, dont l'amitié rend la marquise l'envie de toute la Bretagne. On prend part au tumulte des États, aux repas, où les tètes bretonnes soutiennent l'honneur du pays à la honte de tout le vin qui s'y boit; aux bals, où les Beaux de la cour mettent en feu tous les cœurs

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