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les déréglements sans chagrin. Ah! Bourdaloue! quelles divines vérités vous nous avez dites aujourd'hui sur la mort! madame de Lafayette y était pour la première fois de sa vie, elle était transportée d'admiration; elle est ravie de votre souvenir et vous embrasse de tout son cœur. Je lui ai donné une belle copie de votre portrait ; il pare sa chambre, où vous n'êtes jamais oubliée. Si vous êtes encore de l'humeur dont vous étiez à Sainte-Marie, et que vous gardiez mes lettres, voyez si vous n'avez pas reçu celle du 18 février. Adieu, ma très-aimable enfant; vous dirai-je que je vous aime? c'est se moquer d'en être encore là; cependant, comme je suis ravie quand vous m'assurez de votre tendresse, je vous assure de la mienne, afin de vous donner de la joie, si vous êtes de mon humeur : et ce Grignan mérite-t-il que je lui dise un mot?

Je crois que M. d'Hacqueville vous mande toutes les nouvelles pour moi je n'en sais point, je serais toute propre à vous dire que le chancelier' a pris un lavement.

Je vis une chose hier chez Mademoiselle, qui me fit plaisir. Madame de Gèvres 2 arrive, belle, charmante et de bonne grâce; madame d'Arpajon était au-dessus de moi; je pense que la duchesse s'attendait que je lui dusse offrir ma place; ma foi, je lui devais une incivilité de l'autre jour, je la lui payai comptant, et ne branlai pas. Mademoiselle était au lit, madame de Gèvres a donc été contrainte de se mettre audessous de l'estrade; cela est fâcheux. On apporte à boire à Mademoiselle, il faut donner la serviette; je vois madame de Gèvres qui dégante sa main maigre; je pousse madame d'Arpajon; elle m'entend, et se dégante; et, d'une trèsbonne grâce, avance un pas, coupe la duchesse, et prend, et donne la serviette. La duchesse de Gèvres en a eu toute

↑ Le chancelier Séguier n'allait jamais au conseil sans avoir pris cette précaution.

1 Marie-Françoise-Angélique Duval, première femme de Léon Potier de Gèvres, duc de Tresmes.

la honte; elle était montée sur l'estrade et elle avait ôté ses gants, et tout cela, pour voir donner la serviette de plus près par madame d'Arpajon. Ma fille, je suis méchante, cela m'a réjouie, c'est bien employé : a-t-on jamais vu accourir pour ôter à madame d'Arpajon, qui est dans la ruelle, un petit honneur qui lui vient tout naturellement? Madame de Puisieux s'en est épanoui la rate. Mademoiselle n'osait lever les yeux, et moi j'avais une mine qui ne valait rien. Après cela on m'a dit cent mille biens de vous, et Mademoiselle m'a commandé de vous dire qu'elle était fort aise que vous ne soyez point noyée, et que vous soyez en bonne santé. Nous fûmes chez madame Colbert, qui me demanda de vos nouvelles : voilà de terribles bagatelles; mais je ne sais rien; vous voyez que je ne suis plus dévote : hélas ! j'aurais bien besoin des matines et de la solitude de Livry; si est-ce que je vous donnerai les deux livres de La Fontaine, quand vous devriez être en colère; il y a des endroits jolis et d'autres ennuyeux on ne veut jamais se contenter d'avoir bien fait, et en voulant mieux faire, on fait plus mal.

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A Paris, mercredi 18 mars 1671.

Je reçois deux paquets ensemble qui ont été retardés considérablement. J'apprends enfin par vous-même votre entrée à Aix mais vous ne me dites pas si votre mari était avec vous, ni de quelle manière Vardes honorait votre triomphe; du reste, vous me le représentez très-plaisamment, aussi bien que votre embarras et vos civilités déplacées. Bon Dieu! que n'étais-je avec vous! ce n'est pas que j'eusse mieux fait que vous, car je n'ai pas le don de placer si juste les noms sur les visages: au contraire, je fais tous les jours mille sottises là-dessus : mais il me semble que je vous aurais aidée, et que j'aurais fait du moins bien des révérences. Il est vrai que c'est un métier tuant que cet

excès de cérémonies et de civilités; cependant ne vous relâchez sur rien; tâchez, mon enfant, de vous ajuster aux mœurs et aux manières des gens avec qui vous avez à vi– vre; accommodez-vous un peu de ce qui n'est pas mauvais; ne vous dégoûtez point de ce qui n'est que médiocre ; faites-vous un plaisir de ce qui n'est pas ridicule.

Il y a présentement une nouvelle qui fait l'unique entretien de Paris. Le roi a commandé à M. de S... de se défaire de sa charge, et tout de suite de sortir de Paris. Savez-vous pourquoi? Pour avoir trompé au jeu, et avoir gagné cinq cent mille écus avec des cartes ajustées. Le cartier fut interrogé par le roi même : il nia d'abord; enfin, sur le pardon que Sa Majesté lui promit, il avoua qu'il faisait ce métier depuis long-temps; on dit même que cela se répandra plus loin, car il y a plusieurs maisons où il fournissait de ces bonnes cartes rangées. Le roi a eu beaucoup de peine à se résoudre à déshonorer un homme de la qualité de S.....; mais voyant que depuis deux mois tous ceux qui jouaient avec lui étaient ruinés, Sa Majesté a cru qu'il y allait de sa conscience à faire éclater cette friponnerie. S... savait si bien le jeu des autres, que toujours il faisait va-tout sur la dame de pique, parce que tous les autres piques étaient dans les autres jeux. Le roi perdait toujours à trente-un de trèfle, et disait : Le trèfle ne gagne point contre le pique en ce pays-ci. S.... avait donné trente pistoles aux valets-dechambre de madame de La Vallière, pour leur faire jeter dans la rivière toutes les cartes qu'ils avaient, sous prétexte qu'elles n'étaient point bonnes, et avait introduit son cartier. Celui qui le conduisait dans cette belle vie s'appelle Pradier, et s'est éclipsé aussitôt que le roi défendit à S.... de se trouver devant lui. S.... aurait dû, s'il avait été innocent, se mettre en prison et demander qu'on lui fit son procès; mais il n'a pas pris ce chemin, et a trouvé celui du Languedoc plus sûr bien des gens lui conseillaient celui

de la Trappe, après un malheur comme celui-là. Voilà de quoi on parle uniquement.

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Madame d'Humières m'a chargée de mille amitiés pour vous; elle s'en va à Lille, où elle sera honorée, comme vous l'êtes à Aix. Le maréchal de Bellefonds, par un pur sentiment de piété, s'est accommodé avec ses créanciers ; il leur a cédé le fonds de son bien, et donné plus de la moitié du revenu de sa charge, pour achever de payer les arré, rages. Cette exécution est belle, et fait bien voir que ses voyages à la Trappe ne sont pas inutiles. J'allai voir l'autre jour cette duchesse de Ventadour; elle était belle comme un ange. Madame la duchesse de Nevers y vint coiffée à faire rire il faut m'en croire, car vous savez comme j'aime la mode excessive. La Martin3 l'avait brétaudée par plaisir comme un patron de mode: elle avait donc tous les cheveux coupés sur la tête, et frisés naturellement par cent papillotes qui lui font souffrir mort et passion toute la nuit. Cela fait une petite tête de chou ronde, sans que rien accompagne les côtés. Ma fille, c'était la plus ridicule chose que l'on pût imaginer : elle n'avait point de coiffe; mais encore passe, elle est jeune et jolie; mais toutes ces femmes de SaintGermain, et cette La Mothe surtout, se font lestoner par la Martin; cela est au point que le roi et toutes les dames sensées en pâment de rire : elles en sont encore à cette jolie coiffure que Montgobert sait si bien; je veux dire ces boucles renversées. Voilà tout; on se divertit extrêmement à voir outrer cette nouvelle mode jusqu'à la folie.

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Avant que d'envoyer mon paquet, je fais réponse à vo

'Louise-Antoinette-Thérèse de La Châtre, maréchale d'Humières. ⚫ De premier maître-d'hôtel du roi.

3 Fameuse coiffeuse de ce temps-là.

4 Demoiselle de compagnie de madame de Grignan.

tre lettre du 11, que je reçois. Je suis plus désespérée que vous des retardements de la poste.

MONSIEUR DE BARILLON '.

J'interromps la plus aimable mère du monde pour vous dire trois mots, qui ne seront guère bien arrangés, mais qui seront vrais. Sachez donc, madame, que je vous ai toujours plus aimé que je ne vous l'ai dit, et que si jamais je gouverne, la Provence n'aura plus de gouvernante. En attendant, gouvernez-vous bien, et régnez doucement sur les peuples que Dieu a soumis à vos lois. Adieu, madame, je quitte Paris sans regret.

MADAME DE SÉVIGNÉ.

C'est ce pauvre Barillon qui m'a interrompue, et qui ne me trouve guère avancée de ne pouvoir pas encore recevoir de vos lettres sans pleurer. Je ne le puis, ma fille, mais ne souhaitez point que je le puisse; aimez mes tendresses, aimez mes faiblesses; pour moi je m'en accommode fort bien. Je les aime bien mieux que des sentiments de Sénèque et d'Epictète. Je suis douce, tendre, ma chère enfant, jusques à la folie; vous m'êtes toutes choses; je ne connais que vous. Hélas! je suis bien précisément comme vous pensez, c'est-à-dire, d'aimer ceux qui vous aiment et qui se souviennent de vous; je le sens tous les jours. Quand je trouvai Mellusine2, le cœur me battit de colère et d'émotion, elle s'approcha, comme vous savez, et me dit : Hé bien! madame, êtes-vous bien fâchée? Oui, madame, lui dis-je; on ne peut pas plus. —Ah! vraiment, je le crois, il faudra vous aller consoler. Madame, n'en prenez pas la peine, ce serait une chose inutile. Mais, me dit-elle, n'êtes-vous pas chez vous? -Non, madame, on ne m'y trouve jamais. Voilà — notre dialogue. Je vous assure qu'elle est débellée, comme dit Coulanges: il ne me semble pas qu'elle ait une Conseiller d'État, ambassadeur en Angleterre. Madame de Marans.

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