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nuit, de peur de perdre son souffle. Se bouche-t-il aussi la bouche d'en bas? >>

Cependant ces comparaisons de Plaute avec Molière, toutes à l'avantage du dernier, n'empêchent pas qu'on ne doive estimer ce comique latin, qui n'ayant pas la pureté de Térence, avait d'ailleurs tant d'autres talents, et qui, quoique inférieur à Molière, a été, pour la variété de ses caractères et de ses intrigues, ce que Rome a eu de meilleur1. On trouve aussi à la vérité dans l'Avare de Molière quelques expressions grossières, comme : « Je sais l'art de traire les hommes; » et quelques mauvaises plaisanteries, comme : « Je marierais, si je l'avais entrepris, le Grand-Turc et la République de Venise3. »

Cette comédie a été traduite en plusieurs langues, et jouée sur plus d'un théâtre d'Italie et d'Angleterre, de même que les autres pièces de Molière; mais les pièces traduites ne peuvent réussir que par l'habileté du traducteur. Un poëte anglais nommé Shadwell', aussi vain que mauvais poëte, la donna en anglais du vivant de Molière. Cet homme dit dans sa préface : « Je crois pouvoir dire, sans vanité, que Molière n'a rien perdu entre mes mains. Jamais pièce française n'a été maniée par un de nos poëtes, quelque méchant qu'il fût, qu'elle n'ait été rendue meilleure. Ce n'est

vers manque le signe qui devrait marquer le changement d'interlocuteur. Voici le texte de l'Aululaire (acte II, scène iv, vers 255260):

Quin divom atque hominum clamat continuo fidem
Suam rem periisse seque eradicarier,

De suo tigillo fumus si qua exit foras.

Quin quom it dormitum, follem obstringit ob gulam.
Cur? Ne quid animæ forte amittat dormiens.
· Etiamne obturat inferiorem gutturem?

1. Beuchot donne de cette phrase, d'après l'édition de Kehl, un texte un peu différent : « .... ce comique latin, qui n'ayant pas la pureté de Térence et fort inférieur à Molière, a été pour la va

riété.... »

2. Acte II, scène Iv, ci-après, p. 106.

3. Acte II, scène v; mais Voltaire citait de mémoire voyez P. 110.

4. « Shadivell », ici et plus loin, dans l'édition de 1739.

MOLIÈRE. VII

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ni faute d'invention ni faute d'esprit que nous empruntons des Français; mais c'est par paresse: c'est aussi par paresse que je me suis servi de l'Avare de Molière. »

On peut juger qu'un homme qui n'a pas assez d'esprit pour cacher sa vanité, n'en a pas assez pour faire mieux que Molière. La pièce de Shadwell est généralement méprisée. M. Fielding', meilleur poëte et plus modeste, a traduit l'Avare et l'a fait jouer à Londres, en 17332. Il y a ajouté réellement quelques beautés de dialogue particulières à sa nation, et sa pièce a eu près de trente représentations: succès très-rare à Londres, où les pièces qui ont le plus de cours ne sont jouées tout au plus que quinze fois.

r. « M. Fildeng. » (1739.)

2. En 1732, d'après le titre reproduit ci-dessus, p. 44, note 2; 1733, nous l'avons dit dans la même note, est la date de l'impression.

ACTEURS.

HARPAGON', père de Cléante et d'Élise, et amoureux de

Mariane.

CLÉANTE, fils d'Harpagon, amant de Mariane.

ÉLISE, fille d'Harpagon, amante de Valère.

VALÈRE, fils d'Anselme, et amant d'Élise.

MARIANE, amante de Cléante, et aimée d'Harpagon.
ANSELME, père de Valère et de Mariane.

FROSINE, femme d'intrigue.

1. « Homme rapace, homme aux doigts crochus, >> d'un mot grec latinisé par Plaute, pour être, avec beaucoup d'autres qualificatifs, appliqué à l'amour vénal :

Blandiloquentulus, harpago, mendax, cuppes, avarus....

(Trinumus, vers 214, acte II, scène 1.)

Urceus Codrus, au vers 27 de son Supplément à l'Aululaire, a appliqué le mot aux maîtres avares :

Tenaces nimium dominos nostra ætas tulit,

Quos harpagones, harpyias et tantalos

Vocare soleo, in opibus magnis pauperes....

Luigi Groto, dans son Emilia, avait donné à Molière l'exemple de faire d'Harpagon un nom propre d'avare, de grippe-sou: voyez la Notice de l'Étourdi, tome I, p. 89a. Comme le remarque CastilBlaze, un nom analogue a été choisi pour le financier farouche de la Comtesse d'Escarbagnas, le receveur des tailles Monsieur Harpin. Harpagon fut joué par Molière; son costume a été décrit ci-dessus, p. 35, à la Notice. La distribution des autres rôles a été, autant que possible, indiquée aux pages 36 et 37.

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• Chez Tite-Live (livre XXX, chapitre x), harpagones désigne les espèces de harpons retenus par des chaînes, à l'aide desquels les Carthaginois acerochaient et remorquaient les embarcations ennemies. Dans l'Aululaire même (vers 158, acte II, scène 1), et ailleurs, Plaute a employé le verbe harpagare, agripper, voler ».

Au tome I de Molière musicien, p. 478.

MAÎTRE SIMON, courtier.

MAÎTRE JACQUES, cuisinier et cocher' d'Harpagon.
LA FLÈCHE, valet de Cléante.

DAME CLAUDE, servante d'Harpagon.

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-

La scène est à Paris2.

I. La manière originale et plaisante dont maître Jacques se prête à ce cumul peu rétribué a rendu sa figure populaire et a fait, de bonne heure sans doute, de son nom la désignation de quiconque s'acquitte de plusieurs services ou emplois différents. 2. HARPAGON, etc. ANSELME, etc. CLEANTE, etc. — ÉLISE, fille d'Harpagon. VALÈRE, etc. MARIANE, fille d'Anselme. FROSINE, etc.... UN COMMISSAIRE. La scène est à Paris dans la maison d'Harpagon. (1734.) Le théâtre, dit le vieux Mémoire de.... décorations, « est une salle et, sur le derrière, un jardin. Il faut deux chiquenilles", des lunettes, un balai, une batted, une cassette, une table, une chaise, une écritoire, du papier, une robe, deux flambeaux sur la table au cinquième acte. »

a Une des anciennes formes de souquenille; le texte même de l'édition originale porte siquenille, à la scène i de l'acte III (ci-après, p. 122).

I

¿Que doit porter Harpagon, quand il se présente à Mariane (acte III, scène v, ci-après, p. 142).

Le balai que dame Claude tient à la main (acte III, scène 1).

d La canne qu'on doit entendre tomber sur les épaules de maître Jacques, à la fin des scènes I et II de l'acte III.

• Le Commissaire du cinquième acte (dont la robe est mentionnée un peu après) instrumente sans doute assis devant la table.

L'AVARE.

COMÉDIE.

ACTE I.

SCÈNE PREMIÈRE.

VALERE, ÉLISE.

VALÈRE.

Hé quoi? charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi? Je vous vois sou

pirer, hélas! au milieu de ma joie! Est-ce du regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux, et vous repentezvous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre1?

ÉLISE.

Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, à vous

1. Une promesse mutuelle de mariage a été signée la veille par les deux amants: Valère sera amené à le déclarer à la fin de la scène i de l'acte V. 2. L'imparfait du subjonctif après un présent s'explique par le sens du conditionnel impliqué dans ce qui précède : « et je ne souhaiterais même pas, je n'en ai pas la force, que les choses ne fussent pas. »

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