Page images
PDF
EPUB

côté et de l'autre les pensées et les expressions dont on se sert; ce qui suppose qu'on aura bien étudié le cœur de l'homme pour en savoir tous les ressorts et pour trouver ensuite les justes proportions du discours qu'on veut y assortir. Il faut se mettre à la place de ceux qui veulent nous entendre, et faire essai sur son propre cœur du tour qu'on donne à son discours, pour voir si l'un est fait pour l'autre, et si l'on peut s'assurer que l'auditeur sera comme forcé de se rendre 2. Il faut se renfermer, le plus qu'il est possible, dans le simple naturel ; ne pas faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand. Ce n'est pas assez qu'une chose soit belle, il faut qu'elle soit propre au sujet, qu'il n'y ait rien de trop, ni rien de manque (16).

1

La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage est de savoir celle qu'il faut mettre la première (19).

Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la paume, c'est une même balle dont joue l'un et l'autre, mais l'un la place mieux (22).

L'éloquence est une peinture de la pensée; et ainsi ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau au lieu d'un portrait (26).

Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme (29).

3

Il faut qu'on n'en puisse dire, ni : « Il est mathématicien, » ni« prédicateur, » ni : « éloquent, » mais : «< il est honnête homme. » Cette qualité universelle me plaît seule (35). Voulez-vous qu'on croie du bien de vous ? N'en dites Diseur de bons mots, mauvais caractère (46).

pas (44).

(Section I

Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer...

Qui ne sait que la vue de chats, de rats, l'écrasement d'un charbon, etc., emportent la raison hors des gonds ? Le ton de voix impose aux plus sages et change un discours et un poème de face (82). César était trop vieil, ce me semble, pour s'aller amuser à conquérir le monde. Cet amusement était bon à Auguste et à Alexandre ; c'étaient des jeunes gens, qu'il est difficile d'arrêter; mais César devait être plus mûr (132).

Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration part la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux ! (134)

Peu de chose nous console, parce que peu de chose nous afflige (136).

Nous sommes si présomptueux, que nous voudrions être connus de toute la terre et même des gens qui viendront quand nous ne serons plus; et nous sommes si vains, que l'estime de cinq ou six personnes qui nous environnent nous amuse et nous contente (148).

La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque objet qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime (158).

Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé (162).

Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser (168).

(Section II).

Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns les autres avec douleur et sans espérance, attendent leur tour. C'est l'image de la condition des hommes (199).

Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n'ayant plus qu'une heure pour l'apprendre, cette heure suffisant, s'il sait qu'il est donné, pour le faire révoquer, il est contre la nature qu'il emploie cette heure-là non à s'informer si l'arrêt est donné, mais à jouer au piquet. Ainsi il est surnaturel que l'homme, etc... 5. C'est un appesantissement de la main de Dieu (200).

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie (206).

(Section III).

La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent (267).

Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment (274).

Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point (277).

(Section IV).

Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà (294).

[ocr errors]

Pourquoi me tuez-vous ? Eh quoi ! ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin et cela serait injuste de vous tuer de la sorte; mais puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave, et cela est juste » (292).

« Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants; c'est là ma place au soleil. » Voilà le commencement de l'image de l'usurpation de toute la terre (295).

Que la noblesse est un grand avantage, qui, dès dix-huit ans, met un homme en passe connu et respecté, comme un autre pourrait avoir mérité à cinquante ans. C'est trente ans gagnés sans peine (322).

(Section V).

La raison nous commande bien plus impérieusement qu'un maître ; car en désobéissant à l'un on est malheureux, et en désobéissant à l'autre on est un sot (345).

L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas 7 que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui; l'univers n'en

sait rien.

8

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale (347).

L'éloquence continue ennuie (355).

L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête (358).

10

L'esprit de ce souverain juge du monde n'est pas si indépendant qu'il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui. Il ne faut pas le bruit d'un canon pour empêcher ses pensées ; il ne faut que le bruit d'une girouette ou d'une poulie. Ne vous étonnez pas s'il ne raisonne pas bien à présent; une mouche bourdonne à ses oreilles, c'en est assez pour le rendre incapable de bon conseil 11. Si vous voulez qu'il puisse trouver la vérité, chassez cet animal qui tient sa raison en échec et trouble cette puissante intelligence qui gouverne les villes et les royaumes. Le plaisant Dieu que voilà! O ridicolosissimo eros ! (366).

12

La mémoire est nécessaire pour toutes les opérations de la raison (369).

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre (418).

S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante, et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre 13 incompréhensible (420).

Le « moi » est haïssable (455).

(Section VI).

(Section VII).

(Edition Brunschvicg).

(1613-1680) LA ROCHEFOUCAULD*

L'amour-propre 1 est le plus grand de tous les flatteurs (II).

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui (XIX).

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement (XXVI).

Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres (xxx1).

On n'est jamais si heureux ni si malheureux qu'on s'imagine (XLIX).

La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l'esprit (LXVII).

Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement (LXXXIX).

Chacun dit du bien de son cœur, et personne n'en ose dire de son esprit (XCVIII).

L'esprit est toujours la dupe du cœur (CII).

On ne donne rien si libéralement que ses conseils (cx). On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler (CXXXVIII).

(*) FRANÇOIS, duc de LA ROCHEFOUCAULD, très grand seigneur, fut mêlé jusqu'en 1652 à la vie politique et militaire. Après la Fronde, il se retira et vécut dans la fréquentation de quelques femmes d'esprit, de Mme de La Fayette surtout, en écrivant ses Maximes (1re édition : 1665). Il a laissé également des Mémoires non sans intérêt.

Le refus des louanges est un désir d'être loué deux fois (CXLIX).

La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que par notre vanité (CLVIII).

Les vertus se perdent dans l'intérêt 2 comme les fleuves se perdent dans la mer (CLXXI).

L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu

(CCXVIII).

La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu'il faut et à ne dire que ce qu'il faut (CCL).

Rien n'empêche tant d'être naturel que l'envie de le paraître (CDXXXI).

C'est, en quelque sorte, se donner part aux belles actions que de les louer de bon cœur (CDXXXII).

La plus véritable marque d'être né avec de grandes qualités, c'est d'être né sans envie (CDXXXIII).

Il n'y a point de sots si incommodes 3 que ceux qui ont de l'esprit (CDLI).

On est quelquefois un sot avec de l'esprit, mais on ne l'est jamais avec du jugement (CDLVI).

MAXIMES.

MOLIÈRE*

(1622-1673)

I. Don Juan et monsieur Dimanche

LA VIOLETTE 1. Monsieur, voilà votre marchand, monsieur Dimanche, qui demande à vous parler.

SGANARELLE 2. Bon. Voilà ce qu'il nous faut, qu'un compliment de créancier. De quoi s'avise-t-il de nous venir

(*) JEAN-BAPTISTE POQUELIN. qui prit le surnom de MOLIÈRE, naquit à Paris et y mourut. Son père était valet de chambre tapissier du roi, charge assez relevée, que lui-même conserva. Il fit de bonnes études, puis, à partir de 1643, s'adonna entièrement au théâtre, comme auteur, acteur et directeur de troupe : l'acteur fut peut-être plus admiré que l'auteur ; quant au directeur, il montra toujours le plus absolu dévouement à ceux qu'il devait faire vivre. Après des tentatives infructueuses à Paris, de 1643 à 1645, il courut la province, où il observa beaucoup. En 1658, il s'installa de nouveau à Paris, et, en 1655, sa troupe prit le titre de « Troupe du roi • et reçut une pension du monarque, lequel honora Molière d'une protection constante et efficace.

« PreviousContinue »