Page images
PDF
EPUB

qui seule est le théâtre de la sensation, qui seule sent en dernière analyse; enfin, après des vues admirables de précision et d'élévation philosophiques sur les sentimens de la joie et de la douleur, dont la nature a été trop méconnue par plusieurs philosophes, Descartes termine ce chefd'œuvre d'analyse et de raisonnement avec une modestie toute chrétienne, en soumettant son livre au jugement des habiles et à l'autorité de l'église.

Plus je considère ce traité, plus je me persuade qu'il renferme en substance un corps complet de philosophie. En effet, pour ne pas parler de cette extraordinaire analyse, qui, après avoir fait, pour ainsi dire, de l'esprit une table rase, comme Locke s'exprima depuis dans un tout autre sens, conduit pas à pas son lecteur par l'enchaînement des preuves jusqu'à l'entière reconstruction de l'entendement; pour ne parler ici que de ces questions métaphysiques dont la destinée est de retentir à jamais sur les bancs de toutes les écoles, telles que l'existence de Dieu et des attributs divins, le libre arbitre et son accord avec la prescience divine, les notions sur l'être, l'infini et l'indéfini, la substance et l'attribut, la

pensée, l'étendue, les atomes, le vide, les mouvemens, enfin les sensations et les sentimens, où trouvera-t-on sur toutes ces choses des raisons plus fortes et plus concluantes? Quant à la logique, elle s'y trouve toute entière en substance, car il me semble que le but général de l'ouvrage doit se résoudre à ce résultat: n'admettez comme certaines que les notions qui reposent sur des premiers principes clairs et distincts.

[ocr errors]

Le traité latin des Principes de philosophie aété composé en quatre livres: l'ouvrage que l'on a publié est divisé en deux parties; les trois derniers livres ont été réunis en un seul. L'éditeur de ce recueil a pour but de représenter dans Descartes le métaphysicien, et nullement le physicien et l'astronome, et il se flatte d'avoir été fidèle jusqu'au scrupule d'une ligne dans la partie purement métaphysique. Descartes appliqué aux sciences physiques les principes de connoissance qu'il a découverts; de là l'exposition des lois mathématiques du mouvement; de là les développemens sur les mouvemens des astres, qui ne pouvoient entrer dans notre plan ni dans celui du plus grand nombre des lecteurs. Les suppressions ont occasioné quelques lacunes que nous n'avons pas

eu de peine à dissimuler, grâces à la parfaite liaison de toutes les parties métaphysiques de l'ouvrage.

Les Principes de philosophie avoient été traduits en français par Clerselier, l'un des amis de Descartes; cette traduction a le mérite de la fidélité : mais généralement diffuse et écrite dans un langage dont les formes ont vieilli, elle n'a point paru susceptible d'être exactement reproduite.

Comme l'objet de ce volume est, en présentant le texte même de Descartes commenté par lui-même et par ses plus illustres disciples, de composer de véritables Études du Cartesianisme, on a extrait du volumineux recueil des lettres de ce philosophe, et réuni avec soin les fragmens épars qui ont paru renfermer un rapport plus ou moins immédiat avec les matières traitées dans les Principes. L'ordre adopté pour le classement des morceaux qui forment cet appendice est celui même des passages du livre auquel ils servent de com

mentaire.

J'y ai joint quelques notes dans lesquelles j'ai essayé d'éclaircir quelques-uns des points généraux de la doctrine cartésienne.

Ce livre des Principes, avec les appendices

dont je l'ai fait suivre, est suffisant pour donner une idée juste des opinions de Descartes. Réunir les divers élémens de ce grand système, les exposer avec clarté et méthode, les juger d'après les progrès que la philosophie a faits depuis un demi-siècle, est une tâche difficile qui doit être accomplie par le nouvel éditeur des œuvres complètes de Descartes, M. Victor Cousin. Ce professeur, jeune encore, mais déjà célèbre, nourrit dans l'étude et la contemplation des grands génies les idées fécondes qu'il doit ajouter plus tard au domaine de la science; déjà il s'est fait l'interprète des deux philosophes qui, à eux seuls, représentent toute l'école spiritualiste des temps anciens et modernes, Platon et Descartes, types inaltérables de cette philosophie inspireé qui vit de foi et d'intelligence, qui repose sur les vérités éternelles, et que le maître de Platon avoit, suivant l'expression d'un ancien, fait descendre du ciel sur la terre.

Cette philosophie avoit été proscrite depuis un siècle comme chimérique et surannée; la métaphysique de Locke, implantée en France par Voltaire, y produisit tous les fruits qu'elle promettoit. Alors on annonça fastueusement une ré

volution philosophique; on se réjouit de voir tomber ce qu'on appeloit la scolastique et le pédantisme de l'école c'étoit Descartes et le cartésianisme, c'est-à-dire l'admirable école du dix-septième siècle; et les nouvelles doctrines trouvant leur appui dans les mœurs, triomphèrent sans combat, et s'établirent presque sans réclamation.

Tout a été dit sur cette école flétrie. Pour la juger sans retour, il suffiroit de comparer les doctrines, d'opposer les noms aux noms, les écrits aux écrits. En effet, à la métaphysique inspirée de Malebranche, opposons Condillac et la sensation; à la morale de Fénélon, Helvétius et l'intérêt personnel; aux traités de morale particulière des solitaires de Port-Royal, Volney et le Catéchisme de la loi naturelle; à la foi de Pascal, Diderot et l'athéisme; au dogmatisme d'Arnaud, Hume et le scepticisme. Enfin, tandis que les philosophes de la sensation s'indignent contre la politique de Bossuet, qui retire à tous les bras de chair, comme il s'exprime, la souveraineté de droit, pour l'attribuer à celui à qui seul appartient la gloire, la majesté, l'indépendance, voyons-les. réaliser le plus pur despotisme, en déposant avec

« PreviousContinue »