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que

s'appliquent à cette étude, il est bien préférable de s'y livrer soi-même; comme, sans doute, il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se diriger et jouir par là de la beauté des couleurs et de la lumière, que de les avoir fermés et de suivre la conduite d'un autre ; mais encore cela vaut-il mieux que de les tenir fermés et n'avoir soi pour se conduire. C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans cultiver sa raison; et le plaisir de voir les objets que notre vue découvre n'est point comparable au sentiment que fait éprouver la connoissance de ce qu'on trouve par la philosophie. Enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire dans la vie, que n'est l'usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n'ont que leur corps à conserver, cherchent incessamment de quoi le nourrir; mais les hommes, dont la principale partie est l'esprit, devroient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture; et je m'assure aussi que plusieurs d'entre eux n'y manqueroient pas, s'ils avoient l'espérance d'y réussir, et s'ils savoient combien ils en sont capables.

Il n'y a point d'âme, tant soit peu noble, qui demeure si fort attachée aux objets des sens, qu'elle ne s'en détourne quelquefois, et ne sou

haite quelque autre plus grand bien, quoiqu'elle ignore souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune favorise le plus, qui ont en plus grande abondance la santé, les honneurs, les richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les autres. Au contraire, je me persuade que ce sont eux qui soupirent avec le plus d'ardeur après un autre bien plus souverain que tous ceux qu'ils possèdent; or, ce souverain bien, considéré par la raison naturelle, sans la lumière de la foi, n'est autre chose que la connoisssance de la vérité par ses premières causes, c'est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l'étude; et parce que toutes ces choses sont entièrement vraies, il ne seroit pas difficile d'en persuader les esprits, si elles étoient bien déduites. Mais ce qui empêche de les croire, c'est que l'expérience montre que ceux qui font profession d'être philosophes sont souvent moins sages et moins raisonnables que d'autres qui ne se sont jamais appliqués à cette étude.

Mais quels sont les degrés de la sagesse auxquels on est parvenu jusqu'à présent? Le premier ne contient que des notions qui sont si claires d'elles-mêmes, qu'on les peut acquérir sans méditation; le second comprend tout ce que l'expérience des sens fait connoître; le troisième, ce que la conversation des hommes nous apprend; à quoi l'on peut ajouter, pour le quatrième, la lecture, non de tous les livres, mais surtout de

ceux qui ont été écrits par des personnes capables de nous donner de bonnes instructions; car c'est une espèce de conversation que nous avons avec leurs auteurs. Il me semble que toute la sagesse qu'on a coutume d'avoir ne s'acquiert que par ces quatre moyens; car je ne mets point ici en ligne la révélation divine, parce qu'elle ne nous conduit pas par degrés, mais nous élève tout d'un coup à une infaillible croyance.

Mais il y a eu dans tous les temps de grands hommes qui ont tâché de trouver, pour parvenir à la sagesse, un cinquième degré incomparablement plus haut et plus certain que les quatre autres; c'est de chercher les premières causes et les vrais principes dont on puisse déduire les raisons de tout ce qu'on est capable de savoir; et ce sont ceux principalement qui ont travaillé à cet objet, qu'on a nommés philosophes. Cependant je ne sache pas qu'il y en ait eu jusqu'à présent à qui ce dessein ait réussi.

Les premiers et les principaux philosophes dont nous ayons les écrits, sont Platon et Aristote, entre lesquels il n'y a aucune différence, sinon que le premier, suivant la trace de son maître Socrate, a ingénument confessé qu'il n'avoit pu rien trouver de certain; au lieu qu'Aristote a eu moins de franchise, et bien qu'il eût été vingt ans son disciple et n'eût point d'autres principes que les siens, il les a proposés comme

vrais, et comme ayant une certitude à laquelle il ne croyoit certainement pas. Or, ces deux grands hommes exercèrent une telle influence sur les temps postérieurs, que ceux qui vinrent après êux s'arrêtèrent plus à suivre leurs opinions qu'à chercher quelque chose de meilleur ; et la principale dispute que leurs disciples eurent entre eux fut pour savoir si l'on devoit mettre toutes choses en doute, ou si la vérité existoit pour quelques-unes ; ce qui les porta de part et d'autre à des erreurs extravagantes, jusque là qu'on dit qu'Épicure osoit assurer, contre tous les raisonnemens des astronomes, que le soleil n'est pas plus grand qu'il paroît.

Mais puis-je espérer d'avoir trouvé les vrais principes, les causes premières, base de toute philosophie ?

Deux raisons me permettent de le penser ; la première est qu'ils sont très-clairs, et la seconde, qu'on en peut déduire toutes les autres choses; car ces deux conditions sont les seules nécessaires pour fonder leur certitude. Or, je prouve aisément qu'ils sont très-clairs, premièrement par la manière dont je les ai découverts, en rejetant toutes les choses qui me donnoient le moindre motif de douter; car il est certain que celles qui ont résisté à un semblable examen sont les plus évidentes et les plus claires que l'esprit humain puisse connoître. Ainsi, en considérant

que celui qui veut douter de tout ne peut toutefois douter qu'il ne soit pendant qu'il doute, et que ce qui raisonne ainsi n'est pas le corps, mais l'âme ou la pensée, j'ai pris l'être ou l'existence de cette pensée pour le premier principe, duquel j'ai déduit très-clairement les suivans savoir, qu'il y a un Dieu qui est auteur de tout ce qui existe, et qui, étant la source de toute vérité, n'a point créé notre entendement de telle nature, qu'il puisse se tromper quand il porte un jugement sur des choses dont il a une perception claire et distincte.

Ce sont là tous les principes dont je me sers touchant les choses immatérielles ou métaphysiques, dont je déduis très-clairement ceux de choses corporelles ou physiques ; à savoir, qu'il y a des corps étendus en longueur, largeur et profondeur, qui ont diverses figures et se meuvent diversement. Je dis que de telles conséquences sont clairement déduites de mes principes, et il me semble ne pouvoir mieux faire que de prouver raon assertion par l'expérience de chacun, en invitant le lecteur à étudier ce livre.

Maintenant que les principes de ma philosophie sont connus, on demandera quel fruit on peut en recueillir. Le premier fruit qu'on puisse tirer de ma philosophie, est la satisfaction qu'on aura d'y trouver quelques vérités jusqu'à présent ignorées; car quoique souvent la vérité ne tou

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